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Enquête

LA RELATION CLIENT AU COEUR DU MANAGEMENT

Enquête | publié le : 01.02.2001 | Marc Landré

La nouvelle mode, c'est la gestion de la relation clientèle, le « customer relationship management », pour les initiés. Ou comment, avec l'aide de logiciels ad hoc, bouleverser l'organisation du travail pour se mettre au service du client. Mais ça ne marche pas sans l'adhésion des salariés… Ce qui n'est pas toujours facile à obtenir.

Commercial depuis dix ans chez le fabricant d'huiles de moteur Motul, Frédéric, la quarantaine, a vraiment le sentiment d'avoir changé de métier. Dorénavant, au lieu de commenter auprès de ses clients ses bonnes vieilles plaquettes de présentation, il glisse un CD-ROM dans son ordinateur portable pour vanter les mérites de ses produits. Mais ce n'est pas le seul bouleversement que la nouvelle politique commerciale de Motul, centrée sur le customer relationship management (CRM) ou « gestion de la relation clientèle », a provoqué. Désormais, l'ensemble des salariés, des commerciaux aux téléconseillers en passant par les comptables ou les agents de maintenance, doivent penser en permanence aux clients. Tous bénéficient des mêmes renseignements sur la clientèle, accessibles sur la base de données interne et réactualisés en permanence. Le principe est clair : toute information qui permet de mieux connaître la clientèle est utile et tout point de contact avec elle est un lieu privilégié de collecte et de diffusion de données. Et, pour que tout le monde puisse en profiter, Motul s'est doté d'un système d'information commun. C'est l'objet du CRM : relier les services d'une entreprise via la construction d'une base de données unique. Un partage de l'information qui peut être mal vécu… « Cela revient à céder une part de son pouvoir, explique Laurent Cornu, consultant chez IBM France. Ça remet en cause bien des positions dans l'entreprise, comme celles des forces de vente, habituées à garder l'information pour elles. » Pour la direction de Motul, peu importent les états d'âme de ses VRP. « Nos commerciaux sont plus autonomes, plus disponibles, plus réactifs et ils recrutent de nouveaux clients », se félicite Alain Piart, directeur du service clients.

Motul n'est pas la seule entreprise à avoir chamboulé ses méthodes de travail et son organisation afin de satisfaire sa clientèle. Pour François Darpas, d'Ernst & Young Entrepreneurs, l'explication de ce regain d'intérêt pour le chaland est économique. « Conquérir un nouveau client coûte cinq fois plus cher que d'en conserver un bon. Satisfaire et fidéliser sa clientèle revient moins cher et génère à terme plus de profits. » Amorcé il y a une quinzaine d'années aux États-Unis où le client n'est plus dictateur mais despote éclairé, le mouvement a débarqué il y a peu en Europe et touche désormais toutes les entreprises.

Pour fidéliser sa clientèle, le site de commerce de produits culturels et de loisirs Alapage.com mise sur un service personnalisé (suivi de la commande en temps réel, consultation des historiques d'achat, alerte par e-mail des nouveautés…) et ne fait plus de communication de masse. Aux fans de hard rock ou aux inconditionnels de Mozart, ce concurrent de Fnac.com ne propose plus le dernier opus… de Florent Pagny ou d'André Rieu. Au Crédit mutuel de Bretagne, plus question de vendre à ce cadre de 40 ans un prêt étudiant parce qu'il a été référencé comme tel à l'ouverture de son compte il y a vingt ans. « Nous voulons faire du business intelligent et proposer au client les services dont il a besoin au moment où il en a besoin », explique Alain Bongiorni, son directeur général adjoint.

Tout le monde doit rendre des comptes

Le leitmotiv actuel de toutes ces entreprises est donc la sa-tis-fac-tion du client. Ce qui suppose souvent de profondes réorganisations internes auxquelles les salariés sont priés de se soumettre. Parfois, la disparition de nombreuses tâches de back-office a multiplié les reconversions vers le commercial. À l'exemple de Carrefour qui profite de gains de productivité dans la gestion des stocks pour créer de nouveaux métiers, comme « animateur de vente » dans ses rayons. Ou de France Télécom qui reclasse vers la vente de postes téléphoniques des employés de la comptabilité, de la logistique, et même des ressources humaines.

Chez DHL, le projet CRM mis en œuvre a conduit à la refonte du pôle commercial. Pour mieux satisfaire le client, la force de vente a ainsi été scindée en trois afin de répondre aux différents types de consommateurs. Une première équipe traite les demandes des clients occasionnels, exigeants et méfiants sur la réalité de la prestation. Le discours se veut alors rassurant et la transparence totale grâce au suivi de la localisation du colis. Une deuxième cellule, dont les arguments portent sur la qualité du service, s'occupe des clients réguliers. Une troisième se consacre aux très grands comptes, comme les opérateurs de téléphonie mobile qui garantissent le remplacement en express d'un portable volé, en mettant en avant la valeur ajoutée de l'offre et sa rapidité. En toute occasion les commerciaux doivent donc se mettre à l'écoute du client et non plus tenter de vendre à tout prix le service. À eux d'adapter leur argumentaire en fonction de leur interlocuteur et de s'engager sur la qualité de leur prestation, mais aussi sur celles de l'ensemble de la chaîne, y compris des sous-traitants. Chez DHL comme chez Alapage.com, le commercial sera ainsi jugé sur la capacité d'un livreur à respecter les délais qui lui ont été impartis. Tout le monde doit aujourd'hui rendre des comptes à tout le monde et plus personne ne peut, comme par le passé, se retrancher dans son pré carré.

Inutile de dire qu'une telle révolution modifiant la culture et l'organisation de l'entreprise demande du temps, entre un et trois ans, et de l'argent, avec des budgets souvent supérieurs à 10 millions de francs. Un tel niveau d'investissement ne donne pas le droit à l'erreur et ne devrait être engagé, en toute logique, qu'avec le concours et l'approbation des salariés. Ce qui n'est pas toujours le cas… « On ne peut pas monter un CRM sans dialogue ni consensus, affirme Pierre Alard, l'un des pères du CRM en France, consultant chez Cap Gemini Ernst & Young. Le processus est forcément participatif. » Le bon mode opératoire s'appuie sur l'information, l'implication et la formation des salariés.

Après avoir abondamment communiqué, via l'intranet ou le journal interne, sur l'importance stratégique de la transformation à mettre en œuvre, la direction de Ticket Restaurant a associé les représentants du personnel au comité de pilotage du projet. « Ils ont choisi le logiciel du système d'information et réfléchi au redéploiement des équipes commerciales avec la mise en place du centre d'appels », explique Éric Sudrie, le responsable du service clients. Scénario identique pour DHL et le Crédit mutuel de Bretagne, où les salariés ont été consultés sur la réorganisation avant d'être formés au nouveau système informatique. Chez Motul, les commerciaux ont décidé quelles informations devaient être intégrées dans la base de données. Ils ont également reçu une formation informatique de six jours et réceptionné leur ordinateur six mois avant la mise en place du système d'information afin de se familiariser très en amont avec leur nouveau compagnon de route. Mais cette procédure par étapes ne suffit pas toujours. « La résistance au changement est naturelle », explique Olivier Devillard, psychosociologue et consultant en conduite du changement. Ainsi, Protection One, société de télésurveillance pour la sécurité des particuliers, a dû surmonter l'opposition de ses salariés dès la présentation du projet (voir l'encadré ci-dessous).

Dans cette recherche de satisfaction du client, les salariés d'une même entreprise doivent tous se mettre au diapason. Chez Alapage.com, par exemple, les directions produit (livres, musique, vidéos…) n'ont toujours pas la même vision que le marketing ou le service commercial… « Elles focalisent plus sur le prix des produits à mettre en ligne que sur les services annexes proposés, explique Pascale Decap, responsable du marketing. Du coup, elles peuvent prendre des initiatives, comme faire des promotions sur les pages, sans nous en informer. Nous avons parfois le sentiment que nous ne regardons pas tous dans la même direction ou que nous n'avons pas les mêmes intérêts. » Le CRM impose pourtant la transversalité et la cohésion des équipes.

Autre règle à respecter, la satisfaction des clients doit aller de pair avec celle des salariés et il est important de travailler sur leur motivation. Notamment en leur octroyant des primes lors du lancement des projets ou en instaurant une part de rémunération variable. Mais les efforts consentis par les entreprises ne sont pas toujours à la hauteur de leurs objectifs. L'erreur classique consiste à se centrer uniquement sur la technologie à mettre en place. Beaucoup veulent aller trop vite, croient que pour faire évoluer les mentalités il suffit de transformer l'organisation, de créer un centre d'appels ou d'introduire de nouveaux outils. Et oublient au passage la composante essentielle du projet : l'implication des salariés.

Protecion One convertit ses salariés
L'adoption d'un système commun d'information a été une petite révolution

« Nous sommes tous devenus des commerciaux. » Jean-Jacques Lainé, directeur marketing de Protection One, est catégorique. Depuis que sa société a mis en œuvre un vaste programme CRM il y a dix-huit mois, la philosophie du leader mondial de télésurveillance pour la sécurité des particuliers a complètement changé. « Plus personne ne doit répondre aujourd'hui de la même façon au téléphone. Nous sommes tous dans le même bain. De la technique au centre d'appels en passant par les services d'installation ou de facturation, nous devons tous véhiculer une bonne image du groupe, répondre à toutes les demandes de nos abonnés et recueillir à chaque fois un maximum d'informations afin de mieux les comprendre. »

L'origine de cette révolution ? La mauvaise connaissance des comportements et des besoins de la clientèle. « Tous nos services étaient quotidiennement en contact avec nos clients mais sans qu'ils échangent la moindre information entre eux, se souvient Jean-Jacques Lainé. Il nous était donc impossible d'avoir une vue globale d'un dossier parce que nous n'avions aucun système centralisé d'information. »

Résultat, il n'était pas rare qu'un client soit appelé plusieurs fois pour un même problème dans une journée par des personnes différentes. Bonjour la crédibilité ! La mise en place d'un système commun d'information a apporté une solution aux problèmes du passé. « Plus besoin de fax ou de coups de téléphone pour échanger des renseignements, explique le directeur marketing. Nous sommes, de plus, capables aujourd'hui de localiser en temps réel nos techniciens afin de déterminer les plus proches des lieux d'intervention. » Au départ réticents, les salariés ont fini par accepter le nouveau système après qu'une dizaine d'entre eux l'eurent testé et apporté les modifications nécessaires. « Il ne servait à rien de tenter de s'expliquer, indique Jean-Jacques Lainé. Ils étaient persuadés qu'ils allaient y perdre en qualité de travail. » Comme l'indique Laurent Cornu, d'IBM France, « il est parfois nécessaire, pour convaincre les salariés, de leur montrer sur un processus précis les résultats du CRM en termes de performance et de qualité du travail ».

Auteur

  • Marc Landré