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La loi Fabius n'est pas la panacée

Dossier | publié le : 01.02.2001 | F. C.

Si l'on voulait une preuve de la conversion des socialistes à l'économie de marché, on la trouverait dans la réforme de l'épargne salariale. Sous couvert de démocratisation, elle étend aux PME des dispositifs visant à donner plus de flexibilité aux rémunérations, mais sans aller au bout d'une logique « de gauche » qui voudrait que la prise de risque de ce nouvel actionnariat s'accompagne d'un partage plus équitable du pouvoir.

Pas de triomphalisme. En créant de nouveaux outils d'épargne salariale, la loi Fabius, qui doit être adoptée dans le courant de ce mois, enrichit incontestablement la palette des modes de rémunération dans les entreprises, en particulier dans les PME. Mais il ne s'agit en aucun cas d'une révolution. Patrick Turbot, directeur du développement de Finama Asset Management, rappelait en novembre 2000, lors des VIIes Rencontres de la protection sociale, que le ministre de l'Économie n'a fait que « rendre possible ce qui était autorisé ». En effet, les entreprises de moins de 50 personnes ont la possibilité de verser une participation à leurs salariés. À cette fin, les employeurs pouvaient d'ailleurs provisionner en bénéficiant d'une franchise d'impôt. Pour Jean-Louis Laurens, d'Axa IM Paris, le succès de l'épargne salariale est relatif : si 330 milliards de francs ont été capitalisés, ce n'est rien à côté des 4 500 milliards engrangés par l'assurance vie. Par ailleurs, le nombre de salariés concernés par un dispositif d'intéressement, de participation ou de PEE, reste stable. Et on voit mal pourquoi la loi Fabius aurait un effet booster alors que de nombreux outils existent déjà.

Alors, une loi pour rien ? Pas pour Dominique Taddéi qui pointe, dans son dernier rapport de conjoncture au Conseil économique et social, l'inégalité de couverture en matière d'épargne salariale : « Alors que dans les entreprises de plus de 200 salariés 76 % des salariés sont concernés par des accords d'intéressement et de participation, ils ne sont que 6 % dans les entreprises de 10 à 49 salariés et moins de 1 % dans les entreprises de moins de 10 salariés. » Autant dire qu'il reste beaucoup de chemin à faire avant de réconcilier le capital et le travail, grande idée gaullienne née au lendemain du dernier conflit mondial. Un concept qui suppose une redistribution d'une partie des bénéfices de l'entreprise aux salariés, devenu réalité avec l'ordonnance de 1959 sur l'intéressement (voir encadré, page 75). Sur ce point, le texte de Laurent Fabius n'apporte pas grand-chose de nouveau. Mais il coupe l'herbe sous le pied du RPR, puisqu'Édouard Balladur à l'Assemblée nationale et Jean Chérioux au Sénat ont déposé des textes visant à aménager les dispositifs existants. Il conforte surtout dans leur opposition historique à l'association capital-travail les représentants de FO et de la CGT, mais aussi du parti communiste et de la gauche de la gauche.

Dans épargne salariale il y a salaire…

À son corps défendant, le ministre de l'Économie et des Finances va renforcer une tendance apparue au début des années 80 selon laquelle, au nom d'une nécessaire flexibilité, les rémunérations doivent, elles aussi, intégrer des éléments de variabilité. À côté du salaire direct et dans le cadre d'une « rémunération globale » figurent d'autres éléments, qu'il s'agisse de salaire différé prenant la forme d'une épargne salariale (intéressement, participation, stock-options, actionnariat…), de prestations de prévoyance, voire d'avantages en nature. Bien évidemment, pour couper court aux sempiternels débats sur la question, il a toujours été dit haut et fort que l'intéressement ne devait pas se substituer à la politique salariale. Et Laurent Fabius a repris cette antienne. Mais les experts du Groupe de recherche sur l'éducation et l'emploi (Gree) et de l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires), qui ont étudié les raisons pour lesquelles les entreprises se lancent dans l'épargne salariale (1), n'ont aucun doute : « L'intéressement, parce qu'il n'est pas obligatoire et parce qu'il est renégocié périodiquement, est considéré comme un élément majeur de la politique de rémunération permettant la motivation des salariés. »

Plus récemment, l'épargne salariale a été parée d'une autre vertu : puisque la France est particulièrement rétive à l'introduction d'un troisième étage de retraite, par capitalisation, pourquoi l'épargne salariale ne servirait-elle pas la cause de l'épargne retraite ? En effet, il suffit de prolonger jusqu'au départ en retraite la durée d'indisponibilité des sommes épargnées, dans des conditions socialement et fiscalement avantageuses pour le salarié comme pour l'entreprise, et de prévoir une sortie en rente, complétée ou non d'un mécanisme de réversion, pour disposer d'un ersatz de fonds de pension. Usinor Sacilor dès 1989, via son plan d'épargne groupe, et Total en 1994 se sont dotés de tels outils. Les grands spécialistes de l'épargne salariale – Inter Expansion (groupe CRI), Interépargne (Banques populaires), Sgam (Société générale) ou Caes (Crédit agricole) – n'ont d'ailleurs pas tardé à comprendre comment utiliser les plans d'épargne d'entreprise en vue de la retraite. D'où le fameux Pelt (plan d'épargne d'entreprise long terme) dont s'est inspiré Rhône-Poulenc pour négocier avec les syndicats son plan à long terme. Il reste que, même si quelques grandes entreprises ont cherché à pallier l'absence de fonds de pension par l'épargne salariale, le phénomène est très marginal. D'abord parce que le taux de remplacement assuré par les régimes par répartition est trop élevé pour qu'il y ait une forte demande de retraite supplémentaire en capitalisation. Ensuite parce que, dans un pays où les régimes professionnels (Agirc et Arrco) sont obligatoires, le dossier de la retraite n'est jamais traité au niveau de l'entreprise.

Moins d'inégalités entre PME et poids lourds

Dans un rapport dont se sont largement inspirés les rédacteurs du projet de loi Fabius, Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire général au Plan, et le député socialiste Jean-Pierre Balligand ont pourtant mis en évidence plusieurs avantages de l'épargne salariale. Elle alimente la croissance en favorisant le développement d'une politique de rémunération dynamique qui n'augmente pas les coûts fixes et n'accroît pas les rigidités. Elle favorise l'émergence d'un « nouveau contrat social » en gommant les inégalités entre PME et grandes entreprises ou en orientant les ressources de l'actionnariat dans des actions de lutte contre l'exclusion. Enfin, elle encourage le gouvernement d'entreprise et l'actionnariat salarié.

Mais les arguments du tandem Balligand-de Foucauld peuvent être retournés. Le risque d'interférence de l'épargne salariale avec la politique des salaires est un danger qui demeure avec le dispositif Fabius. Selon Joël Maurice, nouveau membre du CAE, il sera même aggravé dans la mesure où « l'élargissement des dispositifs actuels d'épargne salariale aux PME étendra ipso facto le risque de substitution de l'intéressement abondé au salaire et, corrélativement, le risque de manque à gagner pour le financement de la Sécurité sociale ».Le rapport Balligand-de Foucauld avait chiffré le coût pour les finances des organismes sociaux à 31,4 milliards de francs par an. Pour Jean-Christophe Le Duigou, responsable du secteur économie à la CGT, la loi Fabius risque tout simplement de « déséquilibrer la dynamique salariale que l'on souhaite reconstruire en France ». « En 1999, un tiers des salariés n'ont pas bénéficié d'une hausse nominale de leur pouvoir d'achat et, malgré la reprise, la part des salaires dans la valeur ajoutée n'augmente pas, restant à un niveau de 64 %. »

La nouvelle loi sur l'épargne salariale présente, toutefois, des aspects positifs. C'est le cas de l'ouverture de l'épargne salariale aux mandataires sociaux, dans les entreprises de moins de 100 salariés. Associer les décideurs au bénéfice du dispositif d'épargne salariale peut avoir un effet d'entraînement important dans les petites entreprises. Autre mesure susceptible de doper la participation : la provision pour investissement (PPI) en franchise d'impôt est portée de 25 à 50 % dans les entreprises de moins de 50 salariés. Et, pour favoriser l'intéressement, une PPI en franchise d'impôt, égale à 50 % de l'abondement versé, est instituée dans les entreprises de moins de 100 salariés. Troisième mesure structurelle, la mise en place de plans d'épargne interentreprises (PEI) permettra aux PME de se regrouper et de mutualiser ainsi le coût de gestion de l'épargne salariale. Même si ce n'est pas un gage d'efficacité, il est prévu une obligation annuelle de négocier sur un ou plusieurs dispositifs d'épargne salariale. « Les entreprises ne pourront pas faire l'économie d'une réflexion », estime, à tout le moins, Martine Tessières, membre du directoire d'Inter Expansion (groupe CRI). Mais on espérait aussi de la loi Fabius de nouvelles dispositions pour favoriser l'actionnariat salarié. Un domaine où les attentes sont très diverses, d'une entreprise à une autre. À France Télécom, 92 % des 150 000 salariés sont actionnaires de l'entreprise et détiennent 3 % du capital. Chez l'opérateur téléphonique, l'objectif est clairement de « résorber l'écart qui apparaît quand la création de valeur pour l'actionnaire est supérieure à la distribution de salaire », explique Michel Bon. La situation est tout à fait différente à Air France, où les salariés détiennent 11 % du capital. Selon Jacques Pichot, directeur général adjoint chargé de la politique sociale, « il fallait renforcer les équilibres économiques de l'entreprise et impliquer davantage le personnel dans la marche de la société ». Autre configuration : chez INergie, le P-DG Philippe Détrie a toujours pratiqué l'épargne salariale à grande échelle, considérant que « le capital d'une entreprise de services repose sur l'action de chacun ».Tous les salariés en CDI depuis le début de l'exercice précédent pourront donc acquérir 5 % du capital du groupe. Pour renforcer les droits de ces salariés actionnaires, le texte de loi ne comporte pas de grande avancée. Tout au plus, il impose à l'assemblée générale de poser la question d'une augmentation de capital réservée aux salariés quand leur participation est inférieure à 3 % du capital et de s'interroger sur la nomination d'un ou de plusieurs administrateurs représentant les actionnaires salariés quand leur participation passe la barre des 3 %.

Le monopole syndical remis en cause

La prudence du législateur s'explique : certains experts estiment qu'il ne faut pas faire prendre aux salariés des risques financiers excessifs, d'autres soutiennent que la présence de salariés actionnaires introduit un élément de rééquilibrage dans la gouvernance de l'entreprise par rapport aux actionnaires extérieurs. La représentation des salariés est d'autant plus importante quand ils détiennent une part significative du capital ou lorsque leurs votes sont susceptibles d'être utilisés pour faire échec à une tentative d'OPA, comme lors de l'affrontement Société générale-BNP. Mais les actionnaires salariés doivent-ils avoir un droit de vote individuel ou faut-il qu'ils l'exercent dans le cadre d'un collège spécifique comme c'est actuellement le cas au sein des conseils de surveillance des FCPE ? Ces représentants salariés doivent-ils siéger au conseil d'administration ? La loi Fabius prévoit qu'une fois franchi le seuil de 3 % du capital la question devra être posée au moins tous les trois ans.

Reste enfin à savoir comment seront désignés les représentants des actionnaires salariés. Le monopole syndical semble remis en cause. Mais les associations d'actionnaires salariés risquent alors d'entrer en concurrence avec les instances représentatives du personnel. La nouvelle loi sur l'épargne salariale a esquivé toutes ces vraies questions, au risque de manquer l'un des objectifs désignés par le rapport Balligand-de Foucauld : développer un actionnariat de qualité pour obtenir « un modèle à la française de gouvernance d'entreprise ». Visiblement, on en est encore loin.

(1) Retraite et Épargne salariale : les initiatives d'entreprise, rapport financé par la Mire (Mission interministérielle Recherche et Expérimentation) et la Caisse des dépôts et consignations (branche retraites), juillet 2000.

(2) Les Cahiers de Lasaire (Laboratoire social d'actions, d'innovations, de réflexions et d'échanges), n° 21, octobre 2000.

Une pleine boîte à outils

Intéressement Mis en place par l'ordonnance du 7 janvier 1959, c'est un mécanisme facultatif résultant le plus souvent d'un accord négocié pour une durée de trois ans qui définit les critères de distribution (résultats, gains de productivité) et la formule de calcul. La prime peut être proportionnelle à la rémunération ou indépendante de celle-ci. Elle ne supporte pas de charges sociales, à l'exception de la CSG, de la CRDS et du 2 % social. Elle est versée chaque année et incorporée au revenu imposable. En 1997, 14 629 entreprises avaient conclu un accord d'intéressement pour 3,03 millions de salariés.

Participation Elle est obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés depuis la loi Giraud du 25 juillet 1994 et repose sur la signature d'un accord. Plusieurs formules sont possibles, la loi prévoyant une formule type prenant en compte la masse salariale, la valeur ajoutée et la mise de côté de 5 % des capitaux propres. La participation ne supporte aucune charge sociale, sauf CSG, CRDS et 2 % social. Elle est exonérée d'impôt pour le salarié, les sommes épargnées étant bloquées cinq ans. 18 900 entreprises étaient signataires d'un accord en 1998, couvrant 4,95 millions de salariés, avec un versement moyen de 6 100 francs.

Fonds communs de placement d'entreprise (FCPE) Institués par l'ordonnance sur la participation, ils fonctionnent avec un conseil de surveillance où les salariés sont représentés. Ils peuvent investir la totalité de leurs ressources en actions. À ce jour, on dénombre 3 600 fonds gérant environ 274 milliards de francs.

Plan d'épargne d'entreprise (PEE) Ils sont mis en place à l'initiative du chef d'entreprise ou par accord collectif. Les modalités de fonctionnement sont définies dans un règlement prévoyant les critères, les modes d'alimentation (versements volontaires du salarié, primes d'intéressement et de participation) dans la limite de 25 % de la rémunération annuelle du salarié, l'abondement de l'employeur (au maximum 15 000 francs par an et par bénéficiaire, 22 500 francs sous réserve que le tiers de cette somme soit consacré à l'actionnariat) et l'utilisation de l'épargne constituée pendant les cinq ans de blocage du plan. L'abondement est exonéré de charges fiscales et sociales pour l'employeur et pour le salarié. 19,7 milliards de francs ont été déposés dans les PEE en 1997.

Plan partenarial d'épargne salariale volontaire (PPESV) Deux formules sont possibles. Soit un plan à durée fixe de dix ans minimum, soit un plan glissant avec une durée de blocage de dix ans. Il est alimenté comme le PEE. La sortie, totale ou fractionnée, se fait en capital. L'abondement est possible dans la limite de 30 000 francs, une cotisation de 8,2 % étant prélevée sur la partie supérieure à 15 000 francs. Une décote de 30 % est possible pour une augmentation de capital réservée affectée au PPESV.

Plan d'épargne interentreprises (PEI) Il est mis en place par une entreprise, une branche ou un secteur géographique pour recueillir les sommes provenant de la participation et de l'intéressement. Tous les salariés des entreprises entrant dans le périmètre de l'accord ont la possibilité d'effectuer des versements volontaires. Les salariés de toute entreprise entrant dans le champ d'application d'un accord local ou de branche ont le droit d'accéder au PEI, même si leur entreprise n'adhère pas à l'accord.

À ces différents outils d'épargne salariale il faut encore ajouter les stock-options (loi du 31 décembre 1970) ou les plans d'épargne à long terme, apparus dans les années 90, dont la durée de blocage est portée de cinq à dix ans.

Auteur

  • F. C.

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