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Qui doit piloter l’apprentissage ?

Idées | Débat | publié le : 07.02.2018 |

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Qui doit piloter l’apprentissage ?

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Le gouvernement a lancé une concertation avec les partenaires sociaux et les Régions pour réformer l’apprentissage. Il souhaite mettre les entreprises et les jeunes au cœur du dispositif. Un projet de loi est attendu pour le printemps 2018. « Notre objectif est de changer l’image de l’apprentissage et de le transformer en profondeur, de changer d’échelle et d’en faire une voie d’excellence et de réussite pour tous les jeunes » a déclaré la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.

Marie-Hélène Toutin Chargée d’études au Cereq (centre associé de Lille)

Il faut séparer la question du financement de celle de la gouvernance, même si ces deux thèmes interagissent pour définir la configuration d’ensemble. Du point de vue du pilotage, les branches capitalisent l’information en provenance des entreprises et ont ainsi les moyens d’analyser différentes données stratégiques : évolution des technologies et des process de production ; pénurie versus surplus de main-d’œuvre ; moyens mobilisés pour le renouvellement des compétences ; compétences professionnelles requises à ce jour et dans un futur proche. Le rôle des Régions est tout aussi essentiel du fait des évolutions de leur champ de compétences en matière de formation, d’emploi, de développement économique…dans le cadre de la décentralisation. Elles représentent une autorité soucieuse des problématiques de territoires hétérogènes et interdépendants : communes, bassins d’emploi, pays… Le système de pilotage de l’apprentissage doit reposer sur un équilibre entre les apports spécifiques et complémentaires de ces deux acteurs. De plus l’apprentissage ne peut être développé isolément ; il doit être coordonné avec les autres modes d’acquisition de compétences, d’accès à une qualification : formation générale, formation professionnelle en voie scolaire / en alternance… L’apprentissage est aussi soumis au fait que l’adéquation stricte formation-emploi n’est pas majoritairement vérifiée. Certes, les formations par apprentissage mènent prioritairement à des emplois cibles, à des métiers. Mais, en particulier dans le cas des formations professionnelles du supérieur, les compétences acquises sont le plus souvent transversales, dépassant le cadre d’un secteur ou d’une branche, et préparent plutôt à une fonction : le cas de l’informatique, du commerce sont sur ce point illustratifs… Enfin, même si l’apprentissage reste associé à la formation des jeunes, et constitue un moyen d’insertion à court terme, son pilotage doit s’inscrire dans une perspective de plus long terme, en apportant les bases d’un parcours d’évolution professionnelle.

David Margueritte Conseiller régional de Normandie (LR), 2e vice-président chargé de la formation et de l’apprentissage.

Muriel Pénicaud a annoncé sa volonté de procéder à une « révolution copernicienne » pour développer fortement l’apprentissage comme une voie d’excellence permettant une insertion professionnelle fluide et rapide sur le marché du travail. Les Régions partagent cet objectif qui ne saurait toutefois justifier de procéder à une expérimentation hasardeuse, déstabilisante et contre-productive. Le transfert pur et simple de la gestion de l’apprentissage aux branches professionnelles, c’est-à-dire sa privatisation, présenterait des risques de graves déséquilibres :

Financiers : les Régions assurent une péréquation efficace entre les CFA qui captent une manne financière importante par la collecte de la taxe et ceux qui en sont quasiment exclus. Territoriaux : les Régions, soucieuses de l’aménagement du territoire dont elles ont la compétence, assurent une offre de formation de proximité notamment dans les territoires ruraux. Ce maillage équilibré serait ainsi remis en cause. Éducatifs : l’apprentissage relève du champ de la formation initiale et donc soumis aux exigences d’une formation transversale de qualité contrôlée par la présence publique et assurant compétences et agilité aux apprentis quels que soient leur niveau ou leur métier. Les Régions souhaitent davantage co-construire l’offre de formation des CFA avec les branches, qui ne sont pas toutes organisées sur le plan régional, par de solides contrats d’objectifs et de moyens, fixant des diagnostics territoriaux partagés et des perspectives communes. En maîtrisant l’investissement et en co-construisant étroitement l’offre de formation avec les branches, les Régions proposent une réforme ambitieuse de l’apprentissage dont il est essentiel, par l’aménagement du territoire et la qualité de l’offre de formation, qu’elles assurent la régulation publique. Cette grande réforme doit revoir notre politique d’orientation que nous souhaitons immersive et concrète, sans laquelle aucun modèle d’organisation ou de financement ne pourra parvenir à l’objectif du gouvernement et dont nous voulons la réussite.

Jacques Chanut Président de la Fédération française du bâtiment

Le développement de l’apprentissage est lié à quatre facteurs principaux : une activité économique dynamique, un centrage sur les besoins des entreprises, une information objective des jeunes et des familles sur la réalité des métiers, des formations et de leurs débouchés, et une orientation en conséquence avec des dispositifs financiers clairs, simples et pérennes. Il est dès lors évident que les branches doivent être demain au cœur du pilotage de l’apprentissage ce que personne ne peut objectivement contester. Elles ont la capacité, grâce à leurs observatoires, d’identifier les besoins des entreprises et d’anticiper les évolutions liées aux innovations technologiques ou numériques. Ce travail se déclinera sur les territoires grâce au travail des CPREF (Commission paritaire régionale de l’emploi et de la formation). Cependant rien ne peut se faire sans instaurer des logiques de coopération, en particulier avec les conseils régionaux pour créer de véritables dynamiques territoriales. Les conseils régionaux peuvent jouer un rôle central dans l’orientation des jeunes, en partenariat étroit avec l’Éducation nationale et les branches. Ils ont également une légitimité sur la dimension locale de l’apprentissage. En effet, au-delà des aspects économiques sociaux et pédagogiques, l’apprentissage sert l’aménagement du territoire. Dans le bâtiment, la logique de proximité est essentielle pour répondre aux besoins des 400 000 entreprises réparties sur l’ensemble du territoire, et aux nécessités des jeunes dont 40 % sont mineurs. Enfin, les conseils régionaux peuvent participer à la régulation entre les différents niveaux de l’apprentissage et garantir que les niveaux supérieurs ne se développeront pas demain au détriment des premiers niveaux de qualification. Cela justifie l’élaboration avec les conseils régionaux de véritables stratégies locales garantissant la réponse aux besoins des entreprises et le développement économique des territoires, sur la base de priorités définies par les branches et d’un véritable partenariat financier.

Ce qu’il faut retenir

//Le secteur est financé par l’État, les entreprises et les Régions. Les entreprises versent la « taxe d’apprentissage » (0,68 % de leur masse salariale). 51 % de cette taxe est redirigée vers les régions, 26 % aux centres de formation d’apprentissage (CFA), établissements le plus souvent gérés par des branches professionnelles et 23 % à des organismes de type grandes écoles et universités.

//Pour pallier les freins à l’apprentissage (lenteur pour créer une formation notamment), la ministre du Travail veut que les entreprises s’engagent plus dans la co-construction des diplômes et qu’elles pilotent davantage les centres de formation.

//Le 21 décembre 2017, inquiètes à l’idée de perdre leur influence, les Régions ont claqué la porte et suspendu leurs projets d’investissement dans les centres de formation d’apprentis.

//Prochaines étapes : remise d’un rapport aux ministres du Travail, de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur fin janvier/début février 2018 ; transmission du projet de loi au Parlement au printemps et adoption définitive du projet de loi avant la fin de l’été/

En chiffres

8,2

En milliards d’euros, le coût de l’apprentissage chaque année (ministère du Travail).

412 300

Nombre de personnes qui suivaient une formation en apprentissage en 2016

9

Écart de points entre le taux de chômage des jeunes avec un diplôme en alternance en 2010 et les jeunes qui sortaient d’une filière classique (Cereq).