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À chacun son guide pour mieux travailler ensemble

Dossier | publié le : 07.02.2018 | Valérie Auribault

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À chacun son guide pour mieux travailler ensemble

Crédit photo Valérie Auribault

Entreprises publiques et privées ne sont pas soumises aux mêmes règles. Mais après le choc des attentats de 2015, les unes comme les autres ont souhaité remettre les pendules à l’heure. Et privilégier le vivre ensemble au travers de chartes et de guides. Tour d’horizon.

« L’année 2015 a été un choc collectif pour la France dans son ensemble », souligne Patrice Obert, délégué général à l’Éthique du groupe RATP. Parmi les assaillants du Bataclan, l’un d’eux avait travaillé au sein de l’entreprise de transports. S’ajoutaient à cela les dérapages de certains chauffeurs de bus qui refusaient de saluer leurs collègues féminines ou encore de prendre le volant derrière l’une d’elles. « Ces cas ont pu être identifiés et nous l’avons confirmé publiquement. Mais ces comportements, marginaux ont été mis en exergue dans les médias. Et plus personne n’a parlé d’autre chose », regrette Patrice Obert. Pour autant, la sonnette d’alarme avait été tirée. Il fallait remettre la laïcité au cœur de l’entreprise publique.

Depuis 2005, une clause de laïcité a été intégrée dans le contrat de travail et dans les règlements intérieurs de la RATP. En 2013, des groupes de travail ont été mis en place afin d’aider à la diffusion d’un guide pratique « Laïcité et neutralité dans l’entreprise ». Puis il y a eu les attentats de l’année 2015. « En 2015, le consensus autour des valeurs de laïcité et de l’obligation de neutralité a été compris de tous », poursuit Patrice Obert. Finies les prières dans l’entreprise, dans les bus et autres équipements.

Une valeur « progressiste »

En février 2016, le Guide a été plus que largement diffusé. « Il s’agissait notamment d’être particulièrement attentif aux souffrances des femmes et de mettre un frein aux discriminations, explique Patrice Obert. Certains ont été rappelés à l’ordre afin de leur expliquer que leur comportement n’était pas conforme. Ces personnes ont compris que le fait d’être respectueux est crucial, qu’ils doivent dire bonjour aux femmes. Le message est bien passé mais nous restons prudents et attentifs. » Une sensibilisation sans relâche.

Des modules relatifs à la laïcité et à l’éthique sont dispensés à tous les employés lors de formations initiales et continues en ayant recours au réseau des centres de formation et des formateurs internes (RH, cadres supérieurs, cadres…). Les secteurs les plus sensibles ont été les premiers concernés. Reste que si la sensibilisation reste privilégiée, les sanctions ne sont pas écartées. La RATP apporte une aide juridique aux managers en cas de procédure disciplinaire pouvant aller de la sanction au licenciement. Un rappel de la laïcité soutenu par la plupart des syndicats. « Il y avait un réel besoin de clarifier un certain nombre de règles à respecter. La laïcité en fait partie, insiste Jacques Eliez, secrétaire général de la CGT-RATP. Trop de managers étaient débordés par des situations qu’ils ne savaient pas traiter. Le Guide donne les bons outils et relève du bon sens. Tous les syndicats ne semblent pas forcément d’accord mais à la CGT, il n’y a pas de tabou. Nous sommes pour la laïcité qui est une valeur progressiste. »

Le cas Paprec

Dans l’entreprise privée, la laïcité n’a pas force de loi. La liberté de conscience s’applique et avec elle la liberté de culte. Une d’entre elles est pourtant passée outre : Paprec. Un exemple de réussite, cependant. En 2014, Jean-Luc Petithuguenin, PDG de Paprec, dévoile sa nouvelle politique d’entreprise : interdiction désormais de manifester sa religion au sein de l’entreprise. Pas de voile, pas de salle de prière. Sa charte de la laïcité et de la diversité est adoptée pourtant à l’unanimité par les comités d’entreprise. Dans l’entreprise de recyclage, la discrimination n’est pas de mise. Toutes les nationalités s’y côtoient. Une cinquantaine au total. « Nous embauchons les femmes comme les hommes, les personnes porteuses d’un handicap, les diplômés et les non-diplômés comme les seniors, rappelle Jean-Luc Petithuguenin qui fait de sa politique d’entreprise un acte militant. Certaines recrues avouent postuler chez Paprec pour profiter de l’opportunité du vivre ensemble en entreprise. Des femmes musulmanes revendiquent le droit de ne pas se voiler au bureau sans pour autant apparaître comme de mauvaises musulmanes. Grâce à la charte, elles sont exonérées de cette servitude durant la journée. » Quatre ans après l’instauration de la charte, aucune transgression n’a été enregistrée parmi les 8 000 salariés. Pourtant le procédé n’est pas licite. Et plus d’une cinquantaine de débats avaient été initiés dans l’entreprise pour expliquer, convaincre. « Je suis un militant des valeurs de la République, insiste Jean-Luc Petithuguenin. Les entreprises doivent se saisir des problèmes relatifs aux inégalités entre les femmes et les hommes, au développement durable et au vivre ensemble. »

Des syndicats divisés

Le vivre ensemble lorsque l’on est un groupe présent dans 130 pays et que l’on compte 96 000 salariés a son importance. C’est pourquoi Total a publié, en juillet dernier, son premier guide pratique sur la religion au travail. Cet été, le groupe expliquait vouloir faire face aux discriminations et assurer une coexistence entre les nombreuses croyances à l’intérieur de l’entreprise et au sein des divers pays dans lesquels elle est implantée. Sans oublier le fait de vouloir répondre aux managers qui sont de plus en plus souvent confrontés aux convictions religieuses des uns et des autres. Fort de 88 pages, le guide a pour but de donner des outils aux managers. Souplesse concernant les demandes des uns et des autres tant que celles-ci n’entravent pas le bon fonctionnement de l’entreprise et des espaces partagés, précise le guide.

Cependant la nécessité d’un guide ne s’impose pas à tous. Les chartes et guides sont le plus souvent instaurés en concertation avec les syndicats. Mais ces derniers sont divisés sur le sujet de la religion au sein même des fédérations. Chez Sud-RATP, le mot d’ordre est « de faire respecter la laïcité dans l’entreprise et partout ailleurs », admet Hervé Techer, délégué central Sud-RATP. Mais l’organisation était contre la diffusion d’un guide et contre les dispositions de la loi El Khomri. « Dès lors que l’on fait une loi, les esprits sont exacerbés. On n’a jamais vu autant de voiles dans nos rues que depuis qu’il y a une loi qui l’interdit. » Se pose aussi la liberté de conscience qui englobe la liberté syndicale. « Les problèmes liés à la religion restent rares, insiste Céline Verzeletti, Secrétaire confédérale CGT. Et doivent être traités au cas par cas. Le patronat ne peut instaurer des chartes et des guides sous couvert de vouloir tout contrôler. Nous ne sommes pas des robots. Les libertés des salariés sont de plus en plus réduites. Or le lien de subordination est déjà assez fort. Rappelons que le salarié n’est pas un objet sans conscience ni expression. » Pour autant, la CGT élabore actuellement son propre guide de la laïcité pour cette année 2018. Le Guide sera distribué à tous les militants. Des débats sont déjà prévus. Le problème de la religion n’est apparu qu’il y a quelques années seulement, et les syndicats doivent s’en saisir. Une question essentielle se pose à eux, celle de la lutte contre les discriminations et les inégalités femmes-hommes qui se heurtent parfois à l’application de la religion la plus rigoriste de certains. L’autre question concernant les syndicats porte sur la liberté religieuse et le bon fonctionnement de l’entreprise, avec toutes les divergences que ces visions n’ont pas fini de révéler au sein des différentes organisations.

Auteur

  • Valérie Auribault