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Décodages

Flex office pour entreprise agile

Décodages | Qualité de vie au travail | publié le : 07.02.2018 | Hugo Lattard

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Flex office pour entreprise agile

Crédit photo Hugo Lattard

Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à réaménager leurs bureaux en environnement dynamique. Autrement dit, en espaces de travail modulables au gré de l’activité, dans lesquels les collaborateurs n’ont souvent pas de bureaux attitrés. Avec un double enjeu : optimiser l’occupation des locaux, et favoriser le travail collaboratif et le management agile.

Voilà bientôt trois ans que les collaborateurs d’Engie IT, la filiale digitale du groupe, auparavant dispersés entre Paris et sa couronne, ont été réunis à Saint-Ouen. Quelque 1 500 personnes, dont le cœur de métier est de concevoir l’architecture informatique et les applications numériques d’Engie. « À l’occasion de l’emménagement des équipes à Euroatrium, nous avons reconçu l’espace de travail en environnement dynamique, ce qui avait sa logique. Car pour regrouper tout le monde, si vous laissez des cloisons, vous n’allez pas y arriver », indique Agnès Leclève, alors chargée de la conduite du changement chez Engie IT, aujourd’hui responsable de la qualité de vie au travail (QVT), la santé et la sécurité. Nom du projet ? « Ensemble Autrement ». Car l’objectif était aussi « de favoriser les initiatives et l’innovation, de générer une évolution des façons de travailler et de collaborer », explique-t-elle. L’aménagement des espaces de travail d’Engie IT en flex office est un modèle du genre. Sur plusieurs étages s’y déploient des espaces largement ouverts, traversés d’allées. À la différence d’un open space classique, subsistent quelques cloisons vitrées, opaques pour abriter des lieux de réunion et de plus petites salles, dans lesquelles peuvent s’isoler une à quatre personnes. Des « bulles », acoustiques, où la voix est contenue et que l’on peut réserver pour deux heures, au maximum. De fait, le calme règne sur les plateaux, et, sur les bureaux, on ne voit plus de montagnes de dossiers, ni beaucoup de photos ou d’objets personnels. Dans un flex office, plus aucun bureau n’est attitré. Pas même pour le directeur général, Olivier Sala. Ni son DRH, Jean-Christophe Brochet, qui montre ainsi l’exemple.

« 40 % de postes libres, c’est une hérésie ».

« La formule idéale de l’environnement dynamique est de réfléchir à l’activité que l’on a à exercer le matin, et en fonction, de s’installer sur le bench le mieux adapté », indique Agnès Leclève. Mais, en pratique, les collaborateurs se mettent toujours à peu près au même endroit. « Si un matin je m’installe à la place qu’occupe régulièrement un collègue, il ne va rien dire, parce que ce n’est pas son bureau », ajoute Agnès Leclève. Pour libérer un poste de travail, les collaborateurs doivent le laisser parfaitement propre. Faire « clean desk ». Pour ranger leurs affaires, ils disposent de casiers. Chez Engie IT, le ratio est de 0,8 poste de travail par collaborateur – 500 internes et jusqu’à 1 000 prestataires externes selon les projets en cours. Mais c’est sans compter les salles de réunion et lieux de pause, qui ont été aménagés pour pouvoir brancher son portable et travailler. « Évidemment, le passage en flex office a aussi permis une rationalisation des coûts immobiliers. Mais ce n’était pas le prisme de départ », relève Agnès Leclève. L’Euroatrium a servi de modèle pour le reste du groupe. Notamment le siège d’Engie, à La Défense, dont plusieurs étages ont été reconfigurés.

Comme Engie, la plupart des fleurons du CAC 40 ont réaménagé certains de leurs bureaux en environnement dynamique. Ou sont en voie de le faire. « C’est la tendance », confirme Oliver Cros, qui dirige le studio du cabinet Design & Project de CBRE, spécialisé dans l’immobilier d’entreprise. Avec un double enjeu. D’une part, optimiser l’occupation des locaux, en sachant que le taux d’occupation des bureaux des grandes entreprises plafonne, en moyenne, à 60 %, du fait des déplacements, des RTT et congés, des arrêts maladie… « Pour les directions, 40 % de postes libres, c’est une hérésie », souligne Olivier Cros. Une fois optimisées, les surfaces ne sont pas forcément réduites mais « réattribuées à des fonctions collaboratives, des salles de réunion, des espaces pour mieux accueillir les partenaires, les prestataires, les clients ».

L’autre enjeu est managérial, car le flex office favorise le travail collaboratif. « Les entreprises sont de plus en plus friandes d’espaces dynamiques pour un management plus agile », observe Jacques de Fontgalland, architecte et dirigeant de l’agence A.R.T Réalisations. « Nos interlocuteurs nous demandent de les aider en concevant un environnement qui permette l’agilité », résume Olivier Cros, du cabinet CBRE. L’un ne va pas sans l’autre. « Si la réduction des mètres carrés dans une entreprise est le seul sujet de préoccupation, on est certain d’aller à l’échec », prévient Jacques de Fontgalland. Architecte et cofondateur du cabinet Génie des Lieux, Pierre Bouchet cite le cas d’un groupe industriel qui voulait augmenter le nombre de collaborateurs dans un bâtiment. Les RH sont entrés dans la danse en soulignant que les espaces de travail n’étaient pas assez adaptés aux nouveaux modes de management, aux métiers, ce qui nécessitait de trouver une nouvelle organisation spatiale pour répondre à ces besoins. Dès lors, « la mutualisation des postes de travail n’était plus l’objectif, mais la solution. En revanche, si le management n’est pas prêt à passer en environnement nomade, si l’immobilier est seul à porter un projet de flex office, il ne faut surtout pas le faire », prévient Pierre Bouchet.

Parmi ses réalisations, Génie des Lieux compte l’aménagement du Technopôle de Schneider Electric, à Grenoble. L’an dernier, le groupe industriel y a regroupé les 950 collaborateurs de sa business unit Energy, consacrée à la distribution électrique moyenne tension. Le bâtiment s’illustre par un aménagement intérieur, où plus aucun bureau n’est attitré, avec un ratio de 8 postes de travail pour 10 collaborateurs. « Tout l’enjeu de l’équipe projet en amont a été de faire comprendre aux collaborateurs qu’ils pouvaient travailler de n’importe où. Le principe est que le bâtiment tout entier est mon bureau », ont expliqué les architectes. C’est ce même cabinet qui a conçu l’immeuble Les Dunes, à Val-de-Fontenay, où la Société Générale a réuni pas moins de 5 000 collaborateurs, qui travaillent principalement à la digitalisation, mais aussi dans d’autres services, une partie de la direction immobilière, les achats, la communication, etc.

Réussir un environnement dynamique suppose de le « co-construire » avec l’entreprise et ses collaborateurs, insistent les professionnels. Ce qui nécessite un important travail en amont. Car la solution proposée ne doit pas être standard. Au préalable, il faut procéder à un audit des activités, questionner les usages, observer les occupations des postes de travail. « Cela nous donne une tendance », indique le cofondateur de Génie des Lieux. Chez Engie IT, passer en environnement dynamique a nécessité un an d’études. « Des enquêtes en ligne, des entretiens ont été réalisés pour être à l’écoute des besoins et envies des collaborateurs », détaille la responsable QVT, santé et sécurité d’Engie IT. Des collaborateurs volontaires ont également servi de relais « pour s’impliquer dans le projet, le déployer, l’expliquer aux autres ».

Des endroits de fortes tensions.

À Val-de-Fontenay, à la Société Générale, l’aménagement en flex office ne va pas sans poser quelques problèmes, dont vient d’être saisi le CHSCT. « Globalement, les salariés sont plutôt satisfaits », témoigne un délégué syndical CFDT, qui pointe cependant « des espaces en surbooking ». « Par endroits, les collègues savent qu’après 11 heures, ils vont devoir trouver des places dans d’autres quartiers, loin des équipes opérationnelles de leurs services. Cela entraîne des déplacements, regrette-t-il. Le flex office fonctionne bien pour les équipes en mode projet. Mais le besoin de travailler en mode projet ne justifie pas forcément un passage global en flex, témoigne ce collaborateur de la Société Générale. Même dans les équipes informatiques, où on travaille en mode agile, le temps passé en mode projet n’est pas du 100 %. »

Selon le niveau de management, le basculement en flex office n’est pas toujours évident. « Dans l’entreprise, les dirigeants sont généralement connus. C’est moins le cas du middle management. Pour eux, la question est comment se faire reconnaître dans un environnement dynamique », remarque Agnès Leclève, d’Engie IT. Pour cohabiter sans heurts dans ces espaces, il faut des règles. Quand on partage un bureau à trois ou quatre, appeler un proche, prendre un rendez-vous médical, c’est possible. Dans un environnement dynamique, avec 30 à 40 personnes autour de vous, c’est autre chose, et finalement guère différent d’un open space. Pour y remédier, les petites salles, les bulles, peuvent faire office d’espaces de confidentialité pour les conversations d’ordre personnel.

« Plus d’échange, de communication, de collaboration ».

« L’espace ouvert est un accélérateur de la qualité des relations de travail, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, observe François Hubaut, maître de conférences en ergonomie à l’Université Paris 1. Selon les situations, certains espaces de travail ouverts peuvent être des endroits de fortes tensions et générer des sentiments de harcèlement. L’apparence d’une grande accessibilité cache une grande invisibilité. Lorsque la proximité agit comme une promiscuité, la seule façon de reconstituer l’espace intime, c’est de l’intérioriser ». Mais cet expert reconnaît également que ces nouveaux espaces de travail peuvent tout autant « favoriser une dynamique favorable au travail et à la cohésion des équipes, au développement de la performance collective ».

Chez Engie IT, un observatoire a été créé dans une démarche d’amélioration continue. Les résultats de ses études montrent que les salariés sont globalement satisfaits des nouveaux espaces de travail. « Ils ont permis beaucoup plus de choses qu’on ne le pensait au départ, beaucoup plus d’échange, de communication, de collaboration », relève Agnès Leclève. Dans les espaces dynamiques, « les collaborateurs peuvent aussi bien avoir de l’insatisfaction, que de la satisfaction ou du bien-être, reconnaît Marc Deluzet, délégué général de l’Observatoire social du travail (Osi), qui a récemment consacré une étude sur le sujet (voir interview). Si l’entreprise est en restructuration, si les tâches n’ont pas été bien définies, tout cela crée autant de malaise que les espaces ». Pour y remédier, l’Osi prône le dialogue. Un dialogue préalable au réaménagement de l’espace de travail, mais aussi en continu, après la réorganisation. La course de vitesse dans laquelle sont engagées les entreprises pour se transformer ne le permet pas toujours.

Auteur

  • Hugo Lattard