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Signes religieux : enfin un mode d’emploi !

Idées | Juridique | publié le : 04.01.2018 |

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Signes religieux : enfin un mode d’emploi !

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La décision rendue le 22 novembre 2017 par la Chambre sociale est importante car elle ne se contente pas de transposer le premier arrêt de la CJUE du 14 mars 2017 visant l’ingénieure française voilée en clientèle. Elle va beaucoup plus loin en reprenant le raisonnement du second, à propos d’une entreprise belge de sécurité ayant licencié sa réceptionniste conservant son voile malgré l’interdiction figurant dans une règle collective. Ayant nettement évolué depuis l’affaire Baby-Loup (CS, 19 mars 2013), la Cour propose une solution intéressant les entreprises classiques : comment prévenir le port de signes religieux pouvant provoquer le départ de clients ?

« La volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante » autorisant une exception à l’interdiction des discriminations directes issue de la directive du 27 novembre 2000 : pas de surprise, la Chambre sociale étant tenue par la réponse que la Cour de Luxembourg avait faite à sa propre question préjudicielle le 14 mars 2017.

Conséquence concrète : l’annulation du licenciement, avec l’alternative habituelle à la discrétion de l’ingénieure : soit saisir le conseil des prud’hommes d’une demande de « réintégration » sous astreinte (en droit « de poursuite du contrat qui n’a pu être valablement rompu »), avec versement d’une indemnité équivalente à tous les salaires qu’elle aurait perçus entre son éviction et cette réintégration : en l’espèce entre juin 2009 et 2018, où la Cour de renvoi statuera. Soit l’indemnisation due en cas de licenciement nul, dont le plancher a été divisé par deux par l’ordonnance – non rétroactive ! – du 22 septembre 2017 (six mois au lieu de douze), mais faisant échec au plafonnement des dommages-intérêts.

De la laïcité de l’État à la neutralité dans l’entreprise

« L’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du Code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients. »

En transfigurant la laïcité applicable dans les seuls rapports avec la puissance publique en règle de neutralité dans l’entreprise privée, la Cour donne enfin une solution collective à une question judiciairement posée de façon individuelle mais où l’aspect collectif reste essentiel, qu’il s’agisse des co-religionnaires attentifs mais aussi des collègues atterrés par ces tensions.

Car allant plus loin que l’espèce, la Cour quitte le point de vue exclusif habituel (« et moi, et moi, et moi »), celui de la personne se prétendant discriminée, et replace l’affaire dans son contexte : la « communauté de travail » que constitue aussi une entreprise, où les collègues veulent simplement « avoir la paix » sur ces questions faisant sur-réagir et voient d’un mauvais œil ce qui peut mettre en cause sa santé économique et donc leur emploi.

Comment réguler : règlement intérieur, Charte, accord collectif ?

La Cour propose donc un mode d’emploi combinant jurisprudence communautaire, française avec l’arrêt de l’Assemblée plénière du 25 juin 2014 et notre article L. 1321-2-1 issu de la loi du 8 août 2016 : « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés (…) ».

Les entreprises concernées – mais mieux vaut prévenir que sévir car une telle clause ne peut avoir d’effet rétroactif – doivent donc initier une procédure de modification de leur règlement intérieur.

En la matière, une gradation issue de L. 1221-1 doit être rappelée.

Ainsi les risques pour la sécurité des personnes (du salarié, mais aussi des collègues ou des tiers) emportent tout : le casque de chantier doit être porté, sans aucune négociation ni tolérance possible car il en va de la vie du salarié et de la responsabilité pénale du chef d’entreprise.

Ainsi des règles d’ordre public, comme l’article L. 1321-2 rappelant que le règlement intérieur doit contenir « les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes prévues par le présent code », renvoyant à L. 1142-2-1 : « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

S’agissant des signes religieux, toute action doit en amont faire l’objet d’une concertation avec l’inspecteur du travail, car son éventuel désaveu sur une clause de neutralité mal calibrée serait désastreux.

L’entreprise reprendra donc la formulation de l’arrêt : 1. « En application de l’article L. 1321-2-1… » 2. Légitimera cette restriction : pour la CJUE, la liberté d’entreprendre justifie « la volonté d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse ». 3. Ne se limitera pas aux signes religieux, et ne l’étendra évidemment pas aux sigles syndicaux. 4. Limitera enfin cette clause générale et indifférenciée interdisant tout signe visible aux collaborateurs en « contact visuel » avec la clientèle avait énoncé la CJUE, « aux salariés se trouvant en contact avec les clients » dit la Chambre sociale. Distinguo bien compliqué à mettre en œuvre et qu’elle avait donc écarté dans son arrêt CPAM du 19 mars 2013 (« peu important que la salariée soit ou non directement en contact avec le public »), s’agissant il est vrai d’une entreprise gérant un service public.

Tout aussi problématique est l’obligation de reclassement évoquée par la Cour : « En présence d’un refus (…), il appartient à l’employeur de rechercher (…) s’il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ses clients ». Semblant faire du reclassement une obligation préalable en forme « d’accommodement raisonnable » à l’américaine sous peine de licenciement discriminatoire, CJUE puis Chambre sociale ont fait preuve de créativité car dans la directive de 2000 elle ne vise que les handicapés. Plus ennuyeux : dans notre pays de la religion laïque de l’Égalité et d’un droit de la modification fort complexe, un tel reclassement risque de faire l’objet de comparaisons (« Pourquoi X est muté, alors que Z, avec son pendentif bien visible… »). Dans l’entreprise… le groupe ? Avec sans doute la contestation de cette modification du contrat imposée pour des motifs tenant à des convictions religieuses, puis contentieux en annulation de cette mesure jugée discriminatoire… Si enfin licenciement il y a suite au refus de mutation, quel en sera le fondement ? Pas disciplinaire s’agissant d’une modification que le salarié peut refuser ; alors pour trouble objectif caractérisé ? Et si c’est le port initial du voile qui est fautif, il devra intervenir dans les brefs délais du droit disciplinaire.

Enfin procédure d’information-consultation préalable du comité d’entreprise (demain du « Comité social et économique »), puis contrôle approfondi de l’inspecteur du travail.

Dans sa pédagogique « note explicative », la Cour indique que sa solution « ne s’oppose pas à la négociation au sein de l’entreprise de chartes d’éthique portant sur les modalités du « vivre ensemble » dans la communauté de travail. Mais de telles chartes sont dénuées de caractère obligatoire et ne sauraient fonder un licenciement pour motif disciplinaire dans le cas du non-respect par un salarié des préconisations qu’elles comportent ».

Télétravail, droit à la déconnexion… les « Chartes » sont décidément à la mode. Mais si elles peuvent rechercher puis constater un consensus (cf. la Charte de laïcité du Groupe Paprec, approuvée par référendum auprès de ses 4 000 collaborateurs), elles ne peuvent servir de fondement à une quelconque sanction.

Un accord collectif ? Il peut être source de consensus… s’il est unanime. Mais une telle démarche est à éviter car les syndicats n’ont aucune vocation à négocier sur ce thème. Et dans certaines entreprises, une telle négociation pourrait pousser certains d’entre eux, sous la pression de leur base, à exiger des accommodements tout à fait déraisonnables sinon opposés.

L’arrêt est donc loin de régler tous les problèmes : mais le ministère du Travail a heureusement mis en ligne début 2017 son très complet « Guide du fait religieux en entreprise » (travail-emploi.gouv.fr/droit/guide-du-fait-religieux-dans-les-entreprises-privees) faisant le tour de cette question qui monte.