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Limiter les départs, une mission délicate

À la une | publié le : 04.01.2018 | Dominique Pérez

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Limiter les départs, une mission délicate

Crédit photo Dominique Pérez

Les vannes semblent s’ouvrir, laissant augurer un flot de départs négociés ou non dans des entreprises pas toujours préparées ni désireuses de gérer un fort turnover. Fuite des « talents », départs en chaîne de collaborateurs qui désorganisent un service, comment prévoir, comment gérer ?

La peur : c’est bien souvent le sentiment qui domine dans les entreprises exposées aux départs de salariés jugés comme essentiels au business. « La démission est très souvent considérée comme un drame, un échec, constate Rosa Rossignol, consultante au sein du cabinet Carnet d’adresses RH, auteure de « Gérer efficacement un départ (éditions Dunod) ». Dans le monde anglo-saxon, on a globalement bien intégré cette donnée, et les parcours sont plus fluides. En France, directions et managers ont encore du mal à accepter que des collaborateurs les quittent. Dans un contexte où l’on demande de « l’agilité », salariés comme employeurs sont pourtant assez mal préparés. »

Prévoir les départs : exercice difficile.

Après des années de crise, tous les indicateurs sont au vert. 2018 va probablement confirmer la tendance et constituer la cinquième année consécutive de hausse du nombre des recrutements de cadres, selon l’Apec. Et, partant, cette fluidité du marché de l’emploi favorise les départs volontaires. Près de deux tiers des cadres envisagent une mobilité professionnelle dans les trois ans à venir, selon l’enquête de l’Apec parue en juin 2017, et près de quatre cadres sur dix envisagent de changer d’entreprise (+2 points par rapport à 2015).

Baisse de la productivité, de l’esprit d’équipe, changements négatifs d’attitude, départs plus tôt du bureau le soir… Trois chercheurs de la Harvard Business Review ont caractérisé treize comportements d’un salarié sur le point de démissionner, après l’analyse de questionnaires renseignés par 100 managers et 100 salariés. Des signaux d’alerte qui sont souvent les manifestations d’une insatisfaction au travail qui provoque l’envie d’aller voir ailleurs. Analyser les raisons de ces attitudes est l’un des gros défis des managers et services des ressources humaines, qui développeraient finalement assez peu d’outils ad hoc. « Les managers ont pourtant des moyens pour détecter ces signaux, explique Rosa Rossignol. Les entretiens de carrière, par exemple. Mais que font-ils de ces données ? Certaines entreprises mettent en place des indicateurs permettant d’identifier des départs potentiels et travaillent sur un organigramme de remplacement en définissant les compétences clefs du salarié. Et en essayant d’anticiper pour savoir qui sera à même de prendre son poste en cas de départ… » La démarche prédictive apportée par de nouveaux outils, avec l’analytic RH pourrait également apporter des réponses, au moins sur les caractéristiques des salariés potentiellement plus prêts à donner leur démission. « En utilisant les déterminants de l’âge, des catégories socioprofessionnelles, du type d’emploi, il est possible de faire une modélisation et d’avoir des éléments de réponse sur cette problématique, estime Guillaume Pertinant, dirigeant d’Havasu, société spécialisée dans les services et logiciels HR Analytics. Mais jusqu’à présent, les entreprises françaises semblent considérer que la démarche est encore trop techno. L’analyse prédictive est plus utilisée aujourd’hui pour analyser par exemple l’absentéisme, l’égalité professionnelle, les bilans de rémunération ou les départs en retraite. Pour les départs de salariés, il y a sans doute un problème culturel, un mélange de méconnaissance et de méfiance, expliquant qu’elles n’y ont pas recours. »

Changer pour fidéliser.

Autre solution : détecter les mouvements des salariés connectés par une surveillance accrue des réseaux sociaux : un profil Linkedin qui évolue, un salarié qui a re-toiletté son CV et laisse apparaître qu’il est « à l’écoute des opportunités » ? « Les RH risquent d’y passer leur vie, s’amuse François Geuze, consultant expert en e-consulting RH. De plus, ceci pose un problème de confidentialité : qu’est-ce qui vous autorise à surveiller les profils personnels de vos collaborateurs ? Et dans tous les cas, s’il s’agit d’un salarié mercenaire et qui l’affiche clairement, vous ne l’empêcherez pas de partir… » Interroger ceux qui partent pour mettre en place des stratégies de prévention/de fidélisation est également une possibilité.

« Les entreprises organisent des entretiens de démission, mais souvent les résultats sont biaisés, estime François Geuze. Il est difficile de connaître, à chaud, les raisons d’un départ. Beaucoup plus valides sont les entretiens menés après coup, par des experts extérieurs à l’entreprise, seul moyen d’avoir le recul suffisant. » Prendre le parti inverse, c’est-à-dire envisager qu’une mobilité externe est à considérer comme une étape « normale » dans une carrière, est une attitude beaucoup plus rare mais, pour certains, également plus efficace. La mise en place d’une stratégie de fidélisation peut également se baser sur des constats positifs… « Une démarche que je conseille est : plutôt que de demander à ceux qui partent pourquoi ils partent, de poser la question à ceux qui restent des raisons qui les font rester. Cela peut permettre de travailler les éléments positifs de l’entreprise, estime Rosa Rossignol. Et je crois beaucoup, pour détecter les malaises, prévenir un départ, à l’intervention de tout ce qui n’est pas purement une relation hiérarchique dans l’entreprise. Prévoir des mentors, que l’on peut aller voir pour dire ce qu’on a sur le cœur, prévoir des espaces de paroles « hors cadre », des déjeuners… Et si la volonté de départ est ferme et assumée, il est conseillé de laisser partir le salarié… en lui laissant une porte ouverte pour qu’il puisse revenir un jour. »

Remise en question.

Mais la prévention ou la limitation d’un turnover qui s’emballe passe souvent par une remise en question plus profonde à la fois des modes de management et de la manière dont on s’adapte aux nouveaux modes de vie et attentes des salariés et du sens que l’on donne au travail. Et qui ne concerne pas seulement les salariés que l’on souhaite conserver à tout prix. Ainsi, tâcher de retenir une petite proportion de talents qui semble nécessaires à l’entreprise sans considérer le niveau global d’engagement et le climat social est, pour certains, voué à l’échec. Le rôle des ressources humaines dans ce domaine est fondamental, et certaines entreprises en ont pris conscience en créant un poste spécifique. C’est le cas par exemple de Sodexo, qui a recruté en interne il y a quatre ans Lydie Breton, aujourd’hui 22 ans d’expérience dans l’entreprise, comme directrice innovation sociale et projet RH. Indicateurs du niveau d’engagement et de la perception de la qualité de vie au travail, définition, avec les salariés (30 000 en France sur 4 000 sites) des mesures rectificatives à apporter, les baromètres effectués auprès des collaborateurs dans leur ensemble permettent tous les deux ans de prendre le pouls. Ainsi que des focus groups avec les salariés pour tester leurs désirs en matière d’équilibre vie privée/vie professionnelle, qui aboutissent. La prochaine étape pour le groupe est de « se rapprocher des principes de l’entreprise libérée, d’apporter plus d’autonomie aux collaborateurs », confie Lydie Breton.

Digital natives : risque maximum.

La limitation de la mobilité externe peut être une conséquence d’une politique d’entreprise et non le résultat d’une stratégie spécifique visant précisément à l’endiguer. Pour une PME ou ETI située sur un marché de l’emploi très concurrentiel, le défi est de taille. Proginov, PME de 233 salariés située en Loire-Atlantique, spécialisée en logiciels de gestion d’entreprise affiche ainsi un turnover de 1 %, contre 15 % en moyenne dans des entreprises aux activités équivalentes, en appliquant quelques principes fondamentaux. Ouverture du capital aux salariés (pour un tiers, un autre tiers étant détenu par la holding et le troisième par les dirigeants), attribution d’un référent professionnel et d’un parrain à tout nouvel arrivant dans l’entreprise (95 % des stagiaires, rémunérés au Smic pendant le stage, sont recrutés), gouvernance inter-générationnelle… Pour Philippe Plantive, président du conseil d’administration de l’entreprise, « le salaire ne peut pas être le seul critère pris en compte pour choisir de rester. L’ambiance au travail, l’attention et l’écoute des managers, est à travailler tous les jours, pour proposer à tous une situation cohérente de travail. » Ne pas privilégier une catégorie de personnel par rapport à une autre est également l’un des principes de l’entreprise. Ainsi de la politique salariale, qui comprend « un fixe dans les prix du marché et une partie variable qui concerne tous les salariés, du manager à l’agent d’entretien, avec des primes et un intéressement. » Sur le marché de l’emploi de Proginov, des mastodontes du secteur chassent sur les mêmes terres, sur les réseaux sociaux « mais la grande majorité des salariés choisissent de rester, c’est une grande satisfaction et le fait d’être chassé devient presque un sujet de plaisanterie entre eux », explique Philippe Plantive.

Demande d’informations immédiates, de reconnaissance, d’autonomie… Les « digital natives », au cœur de toutes les craintes quand on évoque la mobilité externe, car considérés comme volatils et exigeants, peuvent donc aussi acquérir un sentiment d’appartenance. Les inclure dès la période de stage dans l’entreprise, les accompagner par des parrains et les reconnaître par une indemnité située au-dessus des conventions légales assurent au moment du recrutement une intégration à part entière. Or, cette pleine conscience de leurs attentes n’est pas encore partagée : « Ils ont l’habitude d’être baignés dans une pluralité d’informations venant de plusieurs sources, explique Christophe Collignon, dirigeant de Sens collectif SAS, chantre de l’entreprise libérée. Leur demander de laisser leur téléphone mobile au vestiaire ou de ne pas utiliser Internet à des fins personnels au bureau est une aberration pour eux. »

La démarche participative pour fidéliser.

Patrick Negaret, directeur de la CPAM des Yvelines (1 350 salariés) s’est beaucoup appuyé sur les jeunes pour moderniser la structure. Il y avait urgence : turnover catastrophique et absentéisme record, particulièrement sur la plateforme de services. « Quand je suis arrivé, en 2011, j’ai fait réaliser un audit : il fallait insuffler de l’autonomie, du sens, de la reconnaissance, un sentiment d’appartenance… sinon la fuite se poursuivrait. Cela supposait une transformation managériale de fond. J’ai décidé de laisser les clefs. » S’ensuit une démarche participative comprenant des groupes de travail composés de managers, représentants syndicaux et employés chargés de faire le tour des services et de recueillir les avis pour émettre des propositions. Mise en place de projets « qualité de vie au travail » ouverts à tout salarié (10 projets initiés en 2015, 150 personnes impliquées), ateliers action flash, lors desquels les collaborateurs proposent et mettent en œuvre l’optimisation de l’organisation de leurs activités (63 ateliers en 2016), propositions d’idées (1 007 déposées depuis 2015, 30 % réalisées), formations au management basé sur le partage de valeurs et l’engagement… Ces actions débouchent notamment sur une gestion du temps de travail différente, en horaires variables, proposée par les salariés. Aujourd’hui, le premier indicateur de réussite réside dans la baisse du taux d’absentéisme (moins 28 % à fin septembre 2017 par rapport fin septembre 2016) sur la plateforme de services et de moins 19 % sur le service réclamations… Prochaine étape : mettre en place le télétravail. « La moyenne d’âge des salariés est de 47 ans, mais je suis particulièrement aidé dans ma démarche par les plus jeunes, constate Patrick Négaret. Ils sont vraiment prêts à l’autonomie, l’un des fers de lance de la démarche est un téléopérateur de 23 ans. » Fidéliser en s’appuyant sur les jeunes, voilà qui pourrait changer la donne…

Auteur

  • Dominique Pérez