logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Démissionner pour mieux rebondir

À la une | publié le : 04.01.2018 | Irène Lopez

Image

Démissionner pour mieux rebondir

Crédit photo Irène Lopez

Pour encourager les Français à « bouger » et fluidifier le marché du travail, le gouvernement souhaite faire bénéficier les démissionnaires (et les indépendants) de l’assurance-chômage. Une réforme d’envergure qui peut accélérer la mobilité.

Un véritable pavé dans la mare ! L’extension de l’assurance-chômage aux démissionnaires et aux indépendants, l’une des mesures phares du second volet social porté par le gouvernement, constitue une révolution copernicienne pour les partenaires sociaux, gestionnaires de l’Unedic. Outre certains démissionnaires – mais seulement une fois tous les cinq ans ? – elle intégrerait également dans ce projet les 3,3 millions de travailleurs indépendants. Car les critères d’éligibilité aux indemnités chômage sont restrictifs : peut prétendre bénéficier d’une indemnisation celui qui réside en France et respecte certaines conditions. Avoir perdu involontairement son emploi, avoir travaillé au moins 4 mois au cours des 28 derniers mois ou n’avoir pas encore atteint l’âge et le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein. Il faut également s’inscrire à Pôle emploi dans les 12 mois suivant la perte d’emploi. Contrairement aux idées reçues, des démissionnaires peuvent déjà toucher le chômage. C’est le cas de celui qui déménage pour suivre son conjoint ou pour une personne victime de violences conjugales, de quelqu’un qui démissionne d’un emploi aidé, porte plainte suite à un contrat litigieux… Dans les faits, à peine 2 % des 2,7 millions de chômeurs indemnisés le sont après une démission.

Indemnité sous condition.

Aujourd’hui, sauf s’il obtient une rupture conventionnelle, un démissionnaire ayant décidé de rompre un CDI pour se lancer dans une autre activité, par exemple, n’est pas indemnisé. Les jeunes diplômés arrivant sur le marché de l’emploi non plus, de même que les travailleurs indépendants (profession libérale, micro-entrepreneur, agriculteur, artisan, commerçant, etc.). Dans sa volonté d’accroître la flexibilité du marché du travail et d’améliorer la mobilité professionnelle, Emmanuel Macron veut réduire la crainte que peuvent avoir les salariés de se retrouver sans rien en cas de démission pour travailler ailleurs, voire de créer leur propre activité.

Dans son programme de campagne, il expliquait que chaque salarié, « tous les cinq ans », aurait droit au chômage. « Il est difficile de faire porter par l’assurance chômage tous les démissionnaires », précise Frédéric Aknin, avocat associé chez Capstan, cabinet spécialisé en droit social. Le président de la République a, depuis son élection, précisé son projet : « Celui qui en a assez (de son travail), on ne va pas lui donner comme ça l’accès au chômage. » On le lui accordera « s’il choisit de démissionner pour changer d’activité ou développer son propre projet professionnel ». Bref, pour Frédéric Aknin, « le démissionnaire devra apporter une garantie de porter un projet à court terme ».

En contrepartie, les contrôles sur la recherche d’emploi seraient renforcés pour tous les chômeurs, afin de « mieux contrôler la réalité des recherches ». Jean Bassères, directeur général de Pôle Emploi, a confirmé le renforcement des contrôles en argumentant différemment : « Le renforcement des contrôles aura pour but de détecter les assurés découragés, ceux qui ont le plus besoin de notre accompagnement ».

La rupture conventionnelle.

Aujourd’hui, le dispositif qui permet aux salariés de mener à bien un projet professionnel hors de l’entreprise est la rupture conventionnelle car elle donne droit à l’assurance chômage. C’est une disposition juridique qui permet de mettre fin à un contrat de travail en dehors des procédures habituelles de démission et de licenciement. Ces dernières sont initiées par l’une ou l’autre des parties : le salarié décide de démissionner ou l’employeur initie un licenciement. À l’inverse, la rupture conventionnelle implique le consentement mutuel : tous deux s’accordent sur les modalités de la fin du contrat.

Instauré en 2008, c’est devenu un dispositif largement utilisé pour mettre un terme à une collaboration entre un salarié et son employeur. Entre 20 000 et 35 000 ruptures conventionnelles sont signées chaque mois, d’après les chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Toujours selon cette même source, au premier semestre 2017, le nombre de ruptures conventionnelles a connu une augmentation de 7,1 % par rapport à la même période il y a un an. Sur l’année 2016, ce sont 389 862 ruptures conventionnelles qui ont fait l’objet d’une homologation.

La fin d’une hypocrisie.

Qu’apporterait de plus l’indemnisation des démissionnaires par rapport à la convention collective ? « Les salariés dont la rupture conventionnelle est refusée par leur employeur, choisiront la démission », répond le responsable éditorial de Monster. La mise en place de l’assurance chômage pour tous, démissionnaires compris, pourrait donc faire baisser le nombre de ruptures conventionnelles. Cela permettrait surtout de sortir de l’hypocrisie actuelle. Pour Emmanuel Macron, la rupture conventionnelle est « la plupart du temps, une démission déguisée » avec un droit au chômage. Dans les chiffres élevés du chômage, on retrouve les salariés qui ont bénéficié d’une rupture conventionnelle. Or, dans 60 % des cas, c’est l’employeur qui prend l’initiative de la rupture. Pour les syndicats, certaines entreprises voient là un bon moyen de faire partir des salariés, notamment âgées ou gênants, sans la lourdeur d’une procédure de licenciement. D’ailleurs, les ruptures conventionnelles représentent 25 % des fins de contrats chez les 58-60 ans. D’où le sentiment qui prévaut chez les syndicats que la rupture conventionnelle sert en fait de déguisement aux pré-retraites.

Des avis contrastés.

Chez Monster, la mesure est perçue de façon positive. « Quand on s’apprête à prendre un risque, c’est bien d’avoir un temps pour monter son projet, autrement dit avoir un temps de préparation. Aujourd’hui, des salariés ne se sentent pas assez sécurisés. Grâce à cette réforme, ils vont pouvoir se lancer », ajoute Karl Rigal, responsable éditorial chez monster.fr. Béatrice Laboureur, consultante RH, se montre plus réservée : « Le problème va surtout être de retrouver un emploi. Les salariés ne vont pas lâcher aussi facilement la proie pour l’ombre. Certes, le contexte économique semble devenir plus favorable mais pas assez pour absorber le chômage ». La consultante n’est pas réticente à la mobilité. Au contraire. À une condition : « On ne peut pas lancer un grand projet de mobilité comme celui prôné par le gouvernement sans l’accompagner par des mesures comme la formation. Il est important de donner aux salariés démissionnaires accès à une formation de qualité pour élargir leurs compétences, se former à des comportements de management ou de gestion de la pression. C’est cela qui structure les gens, les aide à se projeter. Pour mieux se vendre ».

Un coût variable.

Quel serait le coût de l’indemnisation des démissionnaires ? Le chiffre de 14 milliards d’euros a fait fantasmer beaucoup d’acteurs du marché du travail. Muriel Pénicaud l’a qualifié de « fantaisiste ». Le think tank Institut Montaigne estime que le coût serait plutôt de 2,7 milliards d’euros pour l’accès au régime des démissionnaires et 2,1 milliards pour les indépendants. Emmanuel Macron avait lui chiffré le coût de l’extension de l’assurance-chômage aux démissionnaires, à 1,4 milliard d’euros par an. Les syndicats sont vent debout. La CFDT craint qu’elle n’entraîne, pour la financer, une baisse des allocations. Pour la CFE-CGC, elle va encourager des « effets d’aubaine » et une facture salée pour l’Unedic. Le patronat craint, pour sa part, une augmentation des cotisations à la clé. Seul point de convergence : les partenaires sociaux souhaitent un vrai débat collectif. Si elle aboutit, les premiers démissionnaires indemnisés feraient leur apparition au printemps 2018.

Auteur

  • Irène Lopez