Demande d’aménagement des horaires de travail pour le Ramadan, refus de serrer la main aux collègues féminines, prosélytisme… Cela fait des années que la religion, et notamment l’Islam, pose des difficultés aux chefs d’entreprise. Seulement voilà, par crainte d’être taxés d’islamophobes ou, plus dramatiquement, d’être traînés en justice pour discrimination, peu d’entre eux ont jusqu’ici osé prendre le problème à bras-le-corps et encore moins l’évoquer publiquement. Denis Maillard, consultant et spécialiste des questions sociales et des mutations du travail, a décidé de faire éclater la vérité et surtout de mener une rigoureuse réflexion sur le phénomène.

La première partie de son livre commence par détailler les multiples manifestations religieuses en entreprise et la manière dont les patrons essaient aujourd’hui d’y faire face. Les multiples exemples et témoignages qui jalonnent l’ouvrage montrent qu’il n’existe pas de solution toute faite mais que les dirigeants doivent, au contraire, s’adapter à chaque nouvelle situation. Un jeu d’équilibriste d’autant moins simple à réaliser que la législation en la matière n’est pas toujours très claire. Une salariée peut-elle refuser de retirer son voile ? Et les fournisseurs, sont-ils en droit de demander que les salariées avec qui ils travaillent soient non voilées ? Voilà les questions auxquelles l’ouvrage a le mérite de répondre, en examinant avec beaucoup de clarté les dernières décisions de justice.

Outre ce recadrage législatif, l’auteur n’hésite pas non plus à expliquer l’évolution du fait religieux lui-même. Car, rappelle-t-il, l’entreprise est bien le réceptacle d’une mutation plus profonde, qui concerne l’ensemble de la société. Cette hypothèse de travail est le cœur de la seconde partie du livre, particulièrement brillante. Chaussant ses lunettes de philosophe, Denis Maillard y montre avec brio que les croyants d’aujourd’hui, porteurs de revendications identitaires fortes et très individualistes, sont des purs produits de l’idéologie néolibérale. Leur vision égotiste du monde rejoint celle du management, qui n’a eu de cesse, depuis trente ans, de valoriser la personnalité des salariés. Problème : aucun chef d’entreprise n’avait prévu que l’aspect religieux allait être revendiqué aussi bruyamment par une partie d’entre eux. Alors que faire ? Denis Maillard est très clair : il faut que chacun mette ses revendications individuelles en sourdine dans la mesure où l’on « ne travaille jamais seul ». Cependant, l’ordre hiérarchique ancien étant bel et bien enterré, le sujet doit désormais être traité collectivement. La solution pour endiguer les demandes pressantes des salariés pratiquants est donc non pas de leur imposer un « non » catégorique mais plutôt de les faire réfléchir, avec leurs collègues, aux conséquences de leurs actes. Ce n’est qu’à ce prix que le fait religieux en entreprise pourra se « gérer » pacifiquement.

Denis Maillard, Fayard, 232 pages, 18 euros.