logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Quand le numérique pollue

Décodages | Environnement | publié le : 05.12.2017 | Valérie Auribault

Image

Quand le numérique pollue

Crédit photo Valérie Auribault

Pillage des ressources naturelles, pollution de l’air et de l’eau. Les experts du green IT dénoncent les impacts du numérique sur l’environnement. Certaines entreprises commencent à réagir. Mais la prise de conscience générale se fait attendre.

« Tout le monde veut sauver la planète mais personne ne veut descendre les poubelles. » Pour Tristan Labaume, président d’Alliance Green IT, il ne suffit pas d’afficher une politique soucieuse de l’environnement. Les experts du Green IT regrettent le manque de prise de conscience des entreprises, où le green washing est trop souvent à l’œuvre. Sans oublier les carences du système éducatif en retard par rapport à la demande des entreprises qui souhaitent réellement s’engager. Rares sont, en effet, les universités ou écoles d’ingénieurs qui forment au « numérique responsable ». En la matière, l’université de La Rochelle est pionnière. Vincent Courboulay, enseignant chercheur et maître de conférences, a décidé d’enrichir ses cours « informatique et développement durable » de 18 heures consacrées à sensibiliser ses étudiants. Au programme : les bonnes pratiques du numérique et son impact social et environnemental. « Lorsque vous envoyez un mail à votre collègue dont le bureau est au bout du couloir pour savoir où il déjeune, vous émettez 7 grammes d’équivalent CO2 dans la nature, souligne Vincent Courboulay. Il est temps d’apprendre à utiliser le numérique à bon escient. » Une formation reconnue et une vraie valeur ajoutée sur le CV.

Le syndrome de l’obésiciel.

Car la pollution numérique n’a rien de virtuelle. Elle représente 2 % des émissions de gaz à effet de serre : 514 kg de gaz de serre par salarié français, 23 555 litres d’eau consommée dans la fabrication des équipements. Un gaspillage d’énergie et de ressources naturelles qui devrait doubler d’ici 2019 avec l’augmentation des objets connectés et le nombre d’internautes toujours croissant. Sans oublier les conditions de travail pour la fabrication de ces équipements souvent produits à l’autre bout de la planète. Pourtant, dans l’imaginaire collectif, le numérique reste non polluant. Rien à voir avec un pot d’échappement ou encore les rejets des usines dans l’atmosphère. Pour l’heure, certains se contentent de dénoncer la concentration des ordinateurs au sein des data centers. Mais pour les experts, là n’est pas le problème. Les acteurs du green IT pointent du doigt la fabrication, l’utilisation et la fin de vie des équipements numériques. Pour fabriquer un ordinateur, il faut l’équivalent de 100 fois son poids en matières premières. « La fabrication des équipements a un impact environnemental dévastateur : épuisement des ressources naturelles non renouvelables, pollution de l’eau, du sol et de l’air », rappelle Frédéric Bordage, consultant et co-fondateur du Club Green IT. « Certains matériaux précieux et autres minerais seront épuisés d’ici 30 ans. C’est demain », met en garde Tristan Labaume.

Certaines entreprises ont d’ores et déjà pris des mesures face à cette pollution. SoLocal Group, leader européen de la communication digitale, a traqué sa pollution numérique jusque sur son site web ce qui lui a permis, dans un même temps, de répondre au mieux aux exigences de ses clients. « À cause d’une police de caractère particulière sur notre site, nos clients attendaient un temps fou dès qu’ils se connectaient car la page se rechargeait systématiquement. Dans ce cas précis, le client ne remet pas en cause le site mais son matériel. Nous avons donc décidé de revenir à une police plus classique et nous avons considérablement réduit le temps d’affichage », explique Carole Vrignon, responsable RSE du groupe. Pour autant, il reste compliqué de faire passer le message aux développeurs ancienne génération. « Pour obtenir du papier, on coupe des arbres. Cela parle à tout le monde. Mais les conséquences du digital sont difficilement perceptibles. Et les impacts immédiats se situent souvent dans des pays lointains ce qui rend difficile la sensibilisation », poursuit Carole Vrignon.

Pour faire passer la pilule en douceur, l’entreprise a profité de son déménagement en 2016 pour repenser sa politique environnementale et son fonctionnement. « Nous avons supprimé les imprimantes individuelles dans les bureaux au profit d’imprimantes collectives dans un local, se souvient Carole Grignon. En un an, nous avons réduit nos impressions de 40 %. » D’autres entreprises se sont attelées à allonger la durée de vie de leurs produits afin d’utiliser moins d’équipements et plus longtemps. Pôle Emploi s’était engagé en incitant les salariés à éteindre les ordinateurs en fin de journée. Aujourd’hui, l’organisme prolonge l’utilisation de ses équipements numériques et les conserve pendant 8 ans. « En 30 ans, la vie d’un ordinateur en entreprise a été divisée par 3, remarque Tristan Labaume. Or, il n’est pas nécessaire de changer les ordinateurs des collaborateurs tous les 3 ans. Face au lobbying, l’utilisateur doit faire ses propres choix. » Conserver les ordinateurs 8 ans au lieu de 4, « il suffit de le décider, poursuit Frédéric Bordage. Y compris dans les PME et les TPE où une telle prise de décision génère de l’économie ». Les entreprises, victimes de la mode, veulent souvent se doter des outils dernier cri. L’obésiciel est le premier facteur d’obsolescence. Une obsolescence provoquée notamment par la durée de vie de la garantie qu’il est temps de revoir. Une obsolescence due également à l’incompatibilité de l’équipement avec un nouvel hardware.

Des ordinateurs éco-labellisés.

C’est pourquoi les fournisseurs d’équipements doivent faire partie de l’équation et intégrer le développement durable dans leur stratégie. Pour entrer chez RTE (Réseau de transport d’électricité), les fournisseurs d’équipements doivent montrer patte blanche, être éco-labellisés (ordi 3.0) et proposer des produits éco-conçus. Mais l’entreprise va plus loin. « Les équipements dont nous n’avons plus l’usage sont orientés vers d’autres utilisateurs comme les PME ou les associations. Mais aussi vers des organismes de recyclage », explique Marc Villemon, responsable Green IT chez RTE. Car les entreprises doivent dorénavant se soucier de la fin de vie de leurs équipements. En 2016, SoLocal Group a ainsi réactualisé 71 % de son matériel informatique, soit 23 tonnes de matériel électrique grâce à un partenariat avec Les Ateliers du Bocage. Née il y a 25 ans, cette société coopérative d’intérêt collectif issue du mouvement Emmaüs, a commencé son activité en récupérant les déchets en plastique, carton et bois avant de s’orienter vers le recyclage des DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques). « Chaque année, nous récupérons près de 200 000 déchets numériques de la part des entreprises et des collectivités afin de leur donner une seconde vie », explique Antoine Drouet, directeur général des Ateliers du Bocage. Unités centrales, ordinateurs, écrans, téléphones portables, imprimantes… tous ces équipements sont réparés afin d’être réemployés. Des PME, TPE et des associations récupèrent ainsi du matériel informatique à des prix attractifs et en parfait état de marche. Aujourd’hui, 22 000 associations bénéficient de ces équipements. Les DEEE qui ne peuvent plus être utilisés sont démantelés afin d’en récupérer les pièces détachées. D’autres composants comme les métaux précieux sont adressés à des organismes spécialisés.

Autres aspects de ce recyclage : l’emploi. Les Ateliers du Bocage, qui comptent actuellement 150 salariés, sont aussi une entreprise de réinsertion professionnelle. Depuis sa création, cette société a formé plusieurs centaines de personnes sur le traitement des déchets numériques et sur leur réutilisation. « Le réemploi et la réutilisation de ces outils engendrent de nouveaux métiers », ajoute Yves de Beauregard, directeur des Ateliers sans Frontières qui participent à des programmes solidaires en équipant en matériel informatique recyclé des écoles et associations de pays en développement. Réduire la fracture numérique en recyclant son matériel obsolète : Frédéric Bordage estime que « c’est aux grandes entreprises et au secteur public de montrer la voie ». Et mettre ainsi en place le marché de l’occasion du numérique et le développement de l’emploi local. « Si les entreprises du CAC 40 reconditionnaient 60 % de leur parc sortant, elles créeraient chaque année 90 emplois stables et éviteraient l’émission de 50 000 tonnes de gaz à effet de serre et la consommation de 372 millions de litres d’eau », rappelle Jean-Christophe Chaussat, DSI de Pôle Emploi. Mais pour l’heure, peu d’entre elles ont pris de telles résolutions. Le green washing est toujours de mise.

Auteur

  • Valérie Auribault