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Supervisés au fil de l’eau

À la une | publié le : 05.12.2017 | Lou-Ève Popper

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Supervisés au fil de l’eau

Crédit photo Lou-Ève Popper

Depuis plusieurs années, les RH, notamment dans le milieu du conseil, expérimentent de nouveaux modes d’évaluation, réguliers, digitaux et surtout collaboratifs.

Pas de doute, l’évaluation a encore de beaux jours devant elle. Certes, l’entretien individuel de fin d’année est aujourd’hui largement critiqué (voir page 25), autant par les DRH que par les employés. Pour autant, il n’est toujours pas question de supprimer ce temps fort d’échange entre le manager et ses subordonnés mais plutôt de le compléter par d’autres outils de mesure de la performance. L’objectif ? Ne pas mélanger les sujets de conversation, multiplier les points de regards et surtout répondre aux exigences d’évaluation permanente des salariés eux-mêmes.

L’une des principales tendances aujourd’hui est de privilégier une évaluation au fil de l’eau. D’après une enquête IDC menée pour Cornerstone on Demand en 2016, « deux tiers des entreprises françaises organisent encore des entretiens d’évaluation annuels ou semestriels. Néanmoins les stratégies d’évaluation régulière ou en continu sont de plus en plus populaires pour suivre le développement (45 %) et les performances des collaborateurs (28 %) ». Une mode qui se vérifie particulièrement au sein des cabinets d’audit et de conseil, dont l’organisation de travail, assez particulière, se conjugue assez peu avec un rythme annuel classique. « Nos consultants peuvent réaliser jusqu’à quinze missions par an et changer autant de fois de manager de proximité. Évaluer la performance à l’occasion seulement d’un entretien annuel n’aurait donc aucun sens chez nous », explique Caroline Haquet, adjointe DRH Groupe chez Mazars. Pour mesurer l’efficacité de leurs collaborateurs, le cabinet a préféré opter pour des mini-évaluations réalisées à l’issue de chaque projet. Même chose chez Deloitte. Depuis juin dernier, le cabinet d’audit et de conseil a mis en place des outils de mesure plus réguliers, comme la performance snapshot. À la fin de chaque mission, les managers sont désormais tenus de remplir un questionnaire en ligne pour indiquer si leur consultant mérite une augmentation, s’il a la capacité de travailler en équipe, s’il présente un risque de sous-performance ou encore s’il mérite d’être promu. Leurs réponses, anonymes, sont ensuite transmises aux RH.

Feedback !

Au-delà de l’organisation du travail, l’évaluation par projet a aussi été adoptée par les cabinets pour satisfaire aux exigences de la nouvelle génération. « Les jeunes d’aujourd’hui sont en demande de feedbacks très réguliers. Ils veulent sans cesse progresser et acquérir de nouvelles compétences », assure Manuelle Malot, directrice carrières et prospective à l’Edhec. Chez Deloitte, on en est bien conscient. « Les jeunes d’aujourd’hui ne veulent pas seulement une augmentation, ils veulent se développer. Sans quoi ils démissionnent au bout de quelques mois », assure Jean-Philippe Gouin, associé Human Capital. Raison pour laquelle, aux étapes clés d’une mission ou tous les trois mois, chaque manager s’engage à réaliser avec son junior un « check-out ». Le but : évoquer ensemble les objectifs atteints, les points forts du salarié et les axes d’amélioration pour la suite du projet. Au-delà d’une simple discussion, ces bilans répétés doivent aussi servir à mettre en place le plus tôt possible du coaching ou des formations courtes. Chez Mazars, ce sont les parrains qui sont chargés de prendre la température à l’occasion de plusieurs rendez-vous annuels imposés. « On encourage aussi les discussions informelles pour favoriser les occasions de feedback », ajoute Caroline Haquet.

Mais ce système d’évaluation permanente ne convient pas forcément à tout le monde. Pour certains, il s’assimilerait surtout à un contrôle plus rapproché. « Avec cette méthode, les salariés sont tout le temps sur le qui-vive. Cela peut devenir oppressant », souligne Jocelyne Yalenios, co-auteur de L’Évaluation de la performance individuelle (La Découverte), paru en juin. Sans compter que ces courts entretiens ne permettent pas de faire un véritable retour sur le travail accompli ni même d’évoquer les perspectives de carrière. C’est pourquoi la plupart des cabinets de conseil en France ont décidé de conserver l’entretien annuel. C’est le cas de Wavestone, cabinet spécialiste de la transformation des entreprises. « Les retours à la fin de chaque mission sont nécessaires. Mais il faut aussi un moment où l’on puisse poser les valises pour évoquer son parcours professionnel », souligne Fanny Rouhet, la DRH.

L’efficacité du 360°.

Pour Manuelle Malot, le danger des évaluations au fil de l’eau tient surtout au fait qu’elles font peser « une forte pression sur les managers. Alors qu’ils ne sont pas toujours sur le terrain pour établir les aptitudes de leurs collaborateurs. Sans compter que les salariés peuvent parfois travailler sur des projets transverses avec de multiples interlocuteurs ». Pour éviter une évaluation trop subjective, une des solutions serait ainsi de mettre en place un entretien à 360°, qui permettrait d’interroger à la fois la hiérarchie, les collègues, les subordonnés, les fournisseurs ou encore les clients du salarié… Une méthode qui séduit aujourd’hui de plus en plus d’entreprises. D’après l’enquête IDC précitée, 72 % des managers hexagonaux intégreraient en effet à leurs évaluations les avis des pairs et des clients. Rien d’étonnant à cela pour Jocelyne Yalenios, qui estime que cet outil collaboratif présente un double avantage : celui de « multiplier les points de vue sur le salarié et d’avoir un retour libre sur la manière dont on exerce son travail ». Car si l’évaluation à 360° est réalisée dans les règles de l’art, les réponses des participants doivent être anonymes, précise-t-elle.

C’est notamment le cas chez Aramisauto.com, où l’on pratique depuis trois ans l’évaluation à 180° (donc avec un panel d’évaluateurs un peu moins large). « Nos managers s’auto-évaluent sur leurs compétences managériales et sont également évalués par leurs n-1 ainsi que par un manager du même niveau de responsabilité qu’eux », rapporte Jonathan Piarrat, responsable du développement et de l’innovation RH de l’entreprise. « L’objectif n’est pas de sanctionner la personne mais de la faire progresser, assure-t-il. Résultat, l’outil est très bien accueilli par les salariés. La plupart de nos collaborateurs font partie de la génération Y et demandent d’eux-mêmes à être évalués. » Chez Schmidt Groupe, les managers sont eux aussi friands de ce nouvel outil. Depuis que l’entretien à 360° a été mis à disposition des cadres, la plupart d’entre eux se sont en effet portés volontaire pour l’expérimenter. Une réaction normale pour Géraldine Andrès, responsable Emploi & Talents au sein du groupe. « Le 360° permet de prendre conscience de certaines choses », assure-t-elle. Jean-Philippe Gouin tient cependant à relativiser les avantages de ce nouvel outil : « Il faut se méfier du résultat. Car les réponses des collègues peuvent être biaisées par un éventuel ressentiment personnel ». Mais pour Manuelle Malot, il n’y a pas de crainte à avoir : « J’ai confiance dans le fait que chacun accepte de jouer le jeu. Et puis ce ne sont que des statistiques. Une mauvaise appréciation, si elle n’est pas justifiée, sera donc naturellement noyée sous la masse des retours positifs », assure-t-elle.

Badger ses collègues.

Preuve supplémentaire que le collectif prend une part de plus en plus importante dans l’évaluation, les entreprises développent aujourd’hui des outils digitaux de « feedback social ». Des applications permettant à n’importe qui dans l’entreprise de donner son avis sur la performance d’un collègue à un instant T. L’éditeur de logiciel Cornerstone OnDemand propose ainsi un système permettant de « bagder » ses confrères via le réseau social d’entreprise. « Cela peut prendre la forme d’un petit mot d’encouragement, explique Geoffroy de Lestrange, responsable marketing produit Europe de Cornerstone. C’est un peu la version moderne du mail de remerciement classique. » Actuellement, de nombreuses start-up sont également sur le pont pour développer des applications mobiles grâce auxquelles les salariés peuvent commenter en continu les performances des uns et des autres, comme l’application Tag Up. « À la sortie d’une conférence téléphonique, un salarié peut féliciter son confrère sur sa bonne maîtrise de l’anglais par exemple », explique Jean-Philippe Gouin. Rien de bien méchant donc. Comme chez Cornerstone, l’idée est avant tout de valoriser son adjoint, pas de le dénigrer publiquement. L’associé chez Deloitte se veut ainsi rassurant : « N’apparaissent sur l’application que les retours positifs ».

Au-delà de la simple tape sur l’épaule virtuelle, certains outils de feedbacks sociaux proposent même de recueillir de vrais bilans de compétences grâce au Big Data. L’application Peer Precious permet ainsi, en croisant la masse de retours partagés, d’extraire un profil professionnel détaillé du collaborateur… qu’il pourra ensuite envoyer à son DRH. Car l’évaluation entre pairs permet aussi de se faire bien voir de sa hiérarchie. Caroline Haquet peut en témoigner : « Grâce au social feedback, nous pouvons détecter les talents cachés de l’entreprise, ceux qui réalisent de bonnes performances en dehors des missions traditionnelles. Notamment les personnes qui vont aider sur des projets transverses alors qu’elles ne sont pas obligées de le faire ».

Pas de ranking forcé.

Évaluation en continu, entretien à 360°, social feedback… Tous ces outils de mesure de la performance et des compétences donnent lieu à des classements de salariés. Mais dans ce domaine, les choses ont elles aussi un peu changé. Chez Mazars, on a ainsi opté pour un choc de simplification. Jusqu’en 2016, les salariés étaient classés selon huit grades. Une nomenclature désormais révolue. « Il était devenu trop compliqué pour les managers de positionner les collaborateurs avec l’ancienne grille. Cette dernière pouvait, en outre, générer des incompréhensions ou des frustrations du côté des consultants », explique Caroline Haquet. Désormais, les salariés classés (soit près de 75 % des consultants) sont répartis en trois groupes : ceux qui « sur-performent », ceux qui sont dans la moyenne et ceux qui peinent à répondre aux attentes. L’idée du ranking n’est pas de sanctionner, assure Caroline Haquet mais surtout « d’identifier les contributions de chacun afin de les récompenser au plus juste et d’accompagner les plus en difficulté dans l’acquisition de nouvelles compétences ». Même constat chez Aramisauto. Depuis juin dernier, les commerciaux de l’entreprise sont classés tous les six mois au niveau débutant, confirmé ou expert. « De cette façon, nous pouvons mettre en place des parcours individualisés, avec des formations adaptées à chacun », estime Jonathan Piarrat.

Si le classement des salariés est aujourd’hui autorisé, le ranking forcé, lui, n’est toujours pas légal en France. Pourtant, cette pratique, qui consiste à établir des quotas pré-établis de salariés plus ou moins performants, semble toujours en vogue dans certaines entreprises. En juin dernier, le groupe Sanofi a ainsi été accusé conjointement par le syndicat FO et France Inter, témoignages et e-mails privés à l’appui, de sous-évaluer certains collaborateurs de façon à les licencier plus facilement. Des attaques balayées par la direction, qui continue d’affirmer, plusieurs mois après le scandale, que « Sanofi n’a jamais réalisé de ranking forcé. C’est une pratique qui n’a jamais été envisagée par l’entreprise ». Mais l’affaire est loin d’être terminée. Pascal Lopez, délégué syndical FO, assure que le procédé a toujours cours au sein du groupe pharmaceutique : « Le ranking forcé est exécuté de manière moins industrielle qu’avant mais il existe toujours. Nous sommes en train d’assembler tous les documents pour le prouver ». Affaire à suivre donc.

Auteur

  • Lou-Ève Popper