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Une méthode soft pour sortir d’un conflit

À la une | publié le : 06.11.2017 | Lucie Tanneau

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Une méthode soft pour sortir d’un conflit

Crédit photo Lucie Tanneau

Bruno V. est directeur adjoint d’une entreprise lyonnaise1. Il a fait appel à une médiatrice pour améliorer les relations de travail dans son équipe, en butte à des conflits d’ego et des jalousies entre collègues. Récit.

Dans cette entreprise industrielle de l’agglomération lyonnaise, chaque fin de réunion se soldait régulièrement par une explication de textes. « Pourquoi tu as pris la parole sur ce dossier, tu le connais à peine ? ». « Cette affaire de salariés, c’était à moi d’en parler… » Valérie, Isabelle, Martine et Florence travaillent ensemble, au quotidien, dans le service de ressources humaines. Bruno V. leur responsable et directeur adjoint de la structure, est souvent en déplacement dans les filiales du groupe. « Quand j’étais là, ça allait, raconte-t-il, mais quand chacune me racontait sa semaine, je me rendais bien compte qu’il y avait un souci dans l’équipe ». Il organise alors des réunions de service. Le travail est fait mais n’est pas satisfaisant. « Je voyais bien que la communication était difficile », résume-t-il. Guerres de territoires, rancœurs, confrontations de caractères, ambitions… « Dès que l’une d’elles avait une promotion, un nouveau dossier à gérer, les autres interprétaient chaque décision à leur manière », ajoute Bruno. Au printemps dernier, il réalise que son équipe bat de l’aile et décide d’agir.

Les médiés doivent accepter la mission.

« Toutes sont très compétentes, et je ne voulais pas trancher entre l’une ou l’autre, ça aurait été dommage. » Il pense donc à la médiation. « Je connaissais un peu le principe, et je pense qu’une personne extérieure à l’entreprise peut aider à avancer ». Il demande à sa responsable formation de trouver un prestataire extérieur. « C’était ma zone d’interrogation : comment trouver une personne de confiance alors que la profession n’est pas réglementée et que, comme pour les naturopathes, on trouve tout et n’importe quoi sur le marché », s’inquiète le DRH. Il confie finalement ses collaboratrices à Gaëlle Walker, médiatrice professionnelle depuis quatre ans et déléguée régionale (Rhône-Alpes) de l’Association nationale des médiateurs (ANM). « On m’a appelé en me disant que les quatre personnes étaient d’accord pour tenter quelque chose », se souvient la médiatrice. « La médiation doit toujours être acceptée par les parties, sinon on ne peut rien faire, car les « médiés » doivent accepter de se parler pour trouver par eux-mêmes une sortie du conflit », reprécise-t-elle. En mai, la médiation commence.

Gaëlle Walker reçoit chacune leur tour Valérie, Isabelle, Martine et Florence dans son bureau du centre-ville de Lyon afin de comprendre la situation et poser le cadre. « Je leur ai exposé le déroulé des séances à venir, et elles m’ont expliqué pourquoi elles étaient là : mettre des mots sur les faits afin de clarifier les choses. » Après ces séances individuelles, Gaëlle Walker propose une médiation deux par deux, « car il semblait que le problème vienne de relations interpersonnelles ». Toutes acceptent le principe mais refusent une médiation collective avec Bruno V. Valérie et Isabelle se retrouvent donc face à face, dans le salon chaleureux aménagé par Gaëlle Walker. Pendant 1 h 30, chacune évoque les sujets de tensions, les uns après les autres. La médiatrice les aide à reformuler pour s’assurer qu’elles parlent de la même chose et comprennent le ressenti de l’autre. « C’était très concret et pragmatique : on parlait des réunions, du travail quotidien, d’une remarque déplaisante… »

Du mieux avant le clash.

« Très rapidement j’ai senti que la relation s’apaisait et qu’elles reprenaient confiance », se félicite-elle.

Au deuxième entretien, première victoire : les deux « médiées » arrivent ensemble en voiture, ce qui était inimaginable avant. Mais très vite, la situation dégénère à nouveau. « On a commencé à évoquer leur semaine, et en quelques minutes les colères et sentiments d’agression du quotidien sont ressortis. Ça a clashé ! » Une opportunité pour la médiatrice, qui a pu faire la synthèse de ce qui venait de se passer à chaud, en décortiquant avec les deux salariées les ressentis de l’une et de l’autre et la raison de leur colère. Une séance éprouvante. Au troisième entretien, la partie est loin d’être gagnée. « Elles étaient encore bloquées par le clash et ont eu peur d’aller plus loin », regrette Gaëlle Walker, qui aurait souhaité pouvoir disposer de séances supplémentaires.

Comme dans toutes médiations, le travail s’est poursuivi en dehors du cabinet. Les salariés ont besoin de temps pour digérer l’expérience et réaliser que, parfois, la crispation ne vient pas de là où l’on croit. Martine et Florence se retrouvent en parallèle dans le cabinet de Gaëlle pour trois séances. Un parcours compliqué par le stress. Même protégé par le cadre de la médiation, tout le monde n’arrive pas à lâcher prise. Dans l’entreprise, Bruno V. se félicite pourtant du travail accompli. « Je ne sais pas ce qu’elles se sont dit, mais depuis la fin de l’été, je constate qu’elles travaillent mieux ensemble », raconte le DRH. « On ne change pas les gens et elles ne vont toujours pas déjeuner ensemble, mais en réunion de service, j’ai vu qu’elles avaient instauré des rituels avec des soleils et des nuages pour évoquer les dossiers, et qu’elles échangent davantage sur leur travail en cours ».

Un investissement minime.

« En utilisant la technique de prise de distance, on parvient parfois à faire prendre conscience aux personnes que le nœud du conflit ne vient pas forcément de là où elles croient », analyse la médiatrice. « Parfois, on intervient dans des relations interpersonnelles, comme dans le cas de cette entreprise, et les salariés réalisent qu’ils ont diabolisé un collègue, mais qu’on peut trouver une porte de sortie en changeant d’organisation, en apprenant à parler plus clairement au collaborateur en question ou en demandant à changer de service... » Objectif : redonner une autonomie d’action au salarié à son retour dans la structure.

Dans le service de Bruno V., les quatre salariées continuent de travailler ensemble. L’une est désormais en congé maternité, ce qui a aussi compliqué la médiation. Pour les autres, la tempête semble passer. « J’ai été DRH d’une société de 4 000 personnes et je pense que la médiation n’est pas suffisante pour des gros conflits installés de longue date, mais je crois que dans ce cas précis, l’intervention a été un moyen soft de réparer les choses », estime Bruno V., même s’il constate que tout n’est pas réglé. L’investissement a été assez minime : environ 2 000 euros. « Mon directeur général m’a laissé carte blanche, même s’il ne ressentait pas de problème particulier car le travail fourni était de qualité. »

Quant à savoir si la médiation tiendra dans le temps, difficile à dire. « Dans chaque entreprise, la situation dépend de l’actualité, de la conjoncture, de la situation personnelle des protagonistes », rappelle Gaëlle Walker. « Ces salariées ont quatre manières de manager différentes, des caractères assez opposés et pour, certaines le besoin d’être rassurées ». Si le sentiment d’être mise en concurrence perdure, elles seront au moins parvenues à en prendre conscience pour tenter de mieux le vivre au quotidien.

(1) Les prénoms ont été modifiés. À noter que les salariées concernées ont préféré ne pas s’exprimer.

Auteur

  • Lucie Tanneau