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Salariés engagés, réussite assurée ?

Dossier | publié le : 02.10.2017 | Lucie Tanneau

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Salariés engagés, réussite assurée ?

Crédit photo Lucie Tanneau

Les enquêtes d’engagement se sont multipliées depuis dix ans. Plus qu’une mode, elles sont la marque d’un attachement fort des entreprises à ce critère qui serait le gage de leur performance. Mais les entreprises ont-elles à ce point besoin de salariés « engagés » ? N’y a-t-il pas un risque à pousser à plus d’implication dans le travail ?

Les salariés français seraient moins engagés que les autres, 61 % contre 71 % des Américains selon la dernière étude de Korn Ferry Hay Group (2015). « Les Français sont plus critiques envers les organisations, nous n’avons pas les mêmes échelles de valeur, nuance toute de suite Solène de Margerie, en charge des études pour Korn Ferry. L’engagement des salariés français est positif, ils sont sept sur dix à être engagés. Depuis dix ans, le niveau est stable. » Et ce en dépit de différences notables entre les générations. « Les plus de 45 ans par exemple n’ont pas les mêmes attentes que les jeunes entrants », précise la consultante. Même constat du côté d’ADP, un autre gros pourvoyeur d’indices sur le sujet, où l’on indique que 56 % des salariés européens sont engagés, contre 54 % des Français. « Mais seuls 14 % des Français sont satisfaits de leur entreprise et la recommanderaient à leurs proches. Et 25 % sont satisfaits de la culture managériale, indique Carlos Fontelas De Carvalho, président d’ADP France, spécialiste de la gestion de la paie et des ressources humaines. Les Français sont culturellement plus critiques que la plupart de leurs voisins et ne répondent pas de la même façon aux enquêtes. » Il n’empêche, focalisées depuis quatre ou cinq ans sur les chiffres d’engagement de leurs collaborateurs, les entreprises s’interrogent.

« Nous sommes dans une phase d’accélération du désengagement, analyse François Dupuy, sociologue. Les entreprises ont rompu le deal. Fini le taylorisme protecteur dans lequel le salarié faisait son boulot et l’entreprise assurait l’avenir. Aujourd’hui, avec l’ouverture des marchés et de la concurrence, le contrat protection-loyauté ne fonctionne plus. Les DRH doivent innover. » En résumé, il s’agit de développer l’engagement des salariés pour les motiver à rester dans l’entreprise et à lui donner le meilleur afin de surpasser la concurrence. « L’engagement, c’est mettre dans son travail quelque chose de soi-même, qui va au-delà du contrat de travail », précise François Dupuy. « Dans le marché concurrentiel, les gens ne sont plus uniquement là pour travailler en respectant les normes. Les entreprises ont besoin de collaborateurs qui amènent des idées innovantes et offrent leur propre valeur », complète Carlos Fontelas De Carvalho. Ce sont ces collaborateurs qui amènent la performance, une majorité d’entreprises en est persuadée. Vraiment ?

Jusqu’aux années 1990, les enquêtes mesuraient la satisfaction du salarié. Depuis les années 2000, on parle d’engagement. « L’objectif est différent. Désormais les managers sont invités à se saisir de ces données pour amener un changement dans l’entreprise, débloquer les situations au quotidien, éclaire Solène de Margerie. Nos études montrent que les managers ont un rôle essentiel pour favoriser l’engagement, notamment par leur capacité à améliorer les conditions de travail au quotidien. Et à enlever les cailloux dans les chaussures de leurs collaborateurs. » Un constat partagé par Carlos Fontelas De Carvalho : « Dans nos études, les entreprises les plus engagées dépassent de 10 % leurs homologues non engagées. La clé, c’est de donner envie aux collaborateurs de participer à la croissance de l’entreprise. De faire en sorte qu’ils se disent “Grâce à moi l’entreprise a du succès”. » L’engagement serait-il une condition sine qua non de la performance ?

Travail plus collaboratif

Cette idée a de nombreux défenseurs. « Un salarié engagé est un salarié qui s’implique dans son entreprise, que ce soit par plaisir, par conscience professionnelle, par goût du travail bien fait. Il va au-delà de ce pour quoi il a été embauché. Il partage les valeurs de sa société, avec le souci de bien faire et de contribuer à sa prospérité. Et ce sera un salarié plus facile à manager en tant que patron, commente Pascal Grémiaux, qui conseille les PME sur le sujet et en fait le constat dans sa gestion quotidienne d’Eurécia, un éditeur de logiciels de gestion RH. Un salarié engagé sera aussi volontaire pour développer de nouveaux projets. » Chez ADP, on souligne que les salariés étaient très engagés il y a quinze ans, mais que les résultats financiers n’étaient pas forcément au rendez-vous. « Les analyses ont évolué. On mesure désormais le niveau d’engagement et le niveau de mise en condition. Autrement dit, on se préoccupe de savoir si le salarié a les moyens de bien faire son travail. Cela permet de relever les problèmes d’organisation du travail », explique Carlos Fontelas De Carvalho.

Trouver de nouvelles idées grâce à des façons de travailler innovantes est aujourd’hui l’objectif de toutes les entreprises. « L’enjeu, c’est de responsabiliser les collaborateurs, d’arriver à un travail plus collaboratif et d’amener de la transversalité en sortant des silos. Impossible à faire avec des salariés non engagés », analyse Daniel Baroin. Le président de l’Observatoire de l’engagement estime que le salarié doit « adhérer à l’expérience proposée par l’entreprise », grâce au sens et aux perspectives de développement qu’il trouve en son sein. Deux choses que recherchent tous les DRH et managers (lire page 48).

Richesse de profils

Le niveau d’engagement fait aussi partie des chiffres communiqués dans les rapports annuels des grands groupes, souligne Lionel Garreau, chercheur de l’université Paris-Dauphine. « C’est une mesure regardée par les investisseurs, car la corrélation entre l’engagement et la performance est une croyance largement partagée et plusieurs fois démontrée au niveau scientifique. » De bons chiffres favorisent les investissements et les possibilités de performer. De son côté, Christophe Laval, fondateur du cabinet VPHR, constate une corrélation entre hausse du niveau d’engagement et baisse de l’abstentionnisme, réduction du turnover et amélioration de la relation client. Ce spécialiste de la reconnaissance au travail souligne à l’inverse que le manque d’engagement peut représenter un coût caché. « Obtenir des résultats scientifiques sur des notions qui relèvent du ressenti est complexe, admet-il tout en estimant qu’il existe une tendance lourde dans ce sens. Les entreprises ont une réserve de productivité de 15 à 20 % en s’appuyant sur l’engagement de leurs salariés. Mais toutes ne sont pas égales face au phénomène. Dans les services où le personnel crée la valeur ajoutée, l’engagement est un levier bien plus fort que dans l’industrie, où le marketing joue un rôle, ainsi que le produit et la qualité. »

François Dupuy émet aussi des réserves. Si l’engagement est une des causes de la performance, pour le sociologue, c’est surtout le désengagement qui est un fléau. « C’est le problème du « Not paid for that » [ « pas payé pour ça » ]. On voit un problème, mais on n’intervient pas. Autrefois, quand une clé anglaise traînait à côté d’un avion, il y avait toujours quelqu’un pour la ramasser. Aujourd’hui, il n’y a plus personne. Là est le vrai problème ! Se dire qu’on est juste là pour faire la tâche qui nous a été assignée, c’est de la bureaucratie, et ça ne fonctionne pas », assène-t-il. « Les analyses des cabinets spécialisés dans les enquêtes sur l’engagement ne sont pas fiables à 100 %, met en garde Daniel Baroin, mais les réponses obtenues donnent une idée de l’acceptation du changement et de la compréhension de la stratégie. L’engagement est le substrat qui permet d’actionner l’entreprise. De là à dire que ça va changer de cinq points ses résultats… »

« Certains managers sont sceptiques sur l’intérêt de mesurer l’engagement, car les résultats créent la possibilité de juger les salariés », affirme Lionel Garreau, de Paris-Dauphine. Et ils risquent de se décourager s’ils n’arrivent pas à remotiver leurs troupes. « Un manager doit accepter des différences d’attente, de motivation et d’engagement, défend de son côté Pascal Grémiaux, fondateur d’Eurécia. Ce n’est pas parce qu’un collaborateur est moins engagé qu’il sera moins performant. Pour l’entreprise, la richesse est d’avoir une variété de profils. » L’entrepreneur est convaincu que vouloir obtenir 100 % d’engagement à tous les niveaux engendre un autre risque. « Les collaborateurs engagés sont source de progrès et moteur de changement, mais si certains le font par plaisir intellectuel ou par goût, d’autres le font pour l’argent. Et d’autres encore par ambition. » Avec ces derniers, le développement des guerres de pouvoir ou d’ego est toujours possible. Le patron attire aussi l’attention sur le danger d’exclure des gens dont l’engagement a faibli mais qui continuent pourtant de « faire le job ». Autre écueil, selon Daniel Baroin, de l’Observatoire de l’engagement, les risques psychosociaux (RPS). « Les entreprises commencent à être vigilantes vis-à-vis du surengagement. Une adhésion trop forte à la communauté de travail peut engendrer des RPS ou des burn-out. » Des maladies professionnelles en croissance exponentielle depuis une quinzaine d’années.

Une question collective

Comment concilier alors engagement, performance et salariés bien dans leur travail et dans leur vie ? Les outils pour concilier les deux sont nombreux (lire page 46). « Donner du sens est un levier important. Mais le sens sans management, sans ambiance positive, sans perspectives de développement, n’a littéralement pas de sens, juge Daniel Baroin. On aurait tendance à se tourner vers la psychologie, en disant qu’il y a des individus plus ou moins disposés à s’engager. Mais je crois que l’engagement est une question collective. Si on crée un système qui donne du sens aux salariés, on amènera l’équipe à s’engager. C’est ce qu’a fait Michelin en réorganisant le travail sur chacun de ses sites, avec l’aide de ses managers de proximité », estime de son côté François Dupuy. Avant de conclure sur l’idée qu’il serait vain de chercher une recette globale. « À chaque entreprise ses problèmes et ses solutions. Croire que des Chief Happiness Officers vont changer les choses est un enfantillage, il faut comprendre pourquoi les gens se désengagent et répondre à leur quête de sens. » Un point de vue qui suppose un engagement sans faille de la direction des ressources humaines.

L. T.

Auteur

  • Lucie Tanneau