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Les autistes, des salariés pas comme les autres

Décodages | publié le : 02.10.2017 | Rozenn Le Saint

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Les autistes, des salariés pas comme les autres

Crédit photo Rozenn Le Saint

Rigoureux, logiques, rassurés par les tâches répétitives, les personnes atteintes d’autisme sont pourvues de qualités particulièrement appréciées des entreprises. Mais attention à favoriser leur intégration en aménageant l’organisation du travail.

« C’est le personnage du film Rain Man, joué par Dustin Hoffman, qui vient en tête en premier. Atteints du syndrome du savant, souvent qualifiés d’Asperger, les autistes de haut niveau commencent à intéresser les employeurs. Car ces personnes, souffrant d’un trouble envahissant du développement qui affecte les fonctions cérébrales, sont néanmoins perçues comme brillantes, méticuleuses, dotées d’une hypermémoire et très douées pour les calculs. Les autistes Asperger sont effectivement extrêmement à l’aise avec les chiffres, les codes informatiques et ont une appétence particulière pour les tâches répétitives. En cela, ils incarnent le salarié idéal d’un DRH d’entreprises de services du numérique (SS2I) ou d’entreprises de comptabilité.

Toutefois, leur pathologie résulte d’un trouble neurologique et provoque un défaut de transmission entre la réception et le traitement des informations. Ce qui explique « des troubles de la communication et des interactions sociales, des intérêts restreints, atypiques, des comportements à caractère répétitif, ainsi qu’une intolérance au changement »(1). « Attention à l’engouement trop important pour les autistes de type Asperger. On ne les embauche pas sans laisser du temps au temps, les sensibiliser aux codes de l’entreprise, avertir les collègues du fonctionnement des personnes autistes et aménager leurs temps et espace de travail », met en garde Laurent Delannoy, président de l’entreprise adaptée Avencod. Il l’a cofondée en 2016 en prenant le pari d’embaucher uniquement des salariés autistes. Lui a passé trente ans dans les rangs de mastodontes de l’informatique. Il s’est inspiré de l’expérience pionnière de Microsoft aux États-Unis et s’est rendu compte du potentiel des personnes autistes dans le développement et la gestion du big data, ces interminables bases de données.

1 % en emploi.

Peiné d’apprendre que sur 400 000 adultes autistes, 1 % seulement est employé, il a créé son entreprise adaptée comme sas avant leur intégration dans le milieu ordinaire. Parmi ses clients, il compte l’agence de voyage Amadeus, Thales, l’université de Nice, la société Atos, la Cnaf… Et l’an prochain, un des sept salariés de l’entreprise adaptée se fondera directement dans les effectifs d’Amadeus. Avant cela, ils travaillent en lien avec un neuropsychologue qui leur explique les codes de l’entreprise. Et vice versa. Le spécialiste se déplace chez le client pour « démystifier et apprendre la traduction du comportement d’une personne atypique », explique Laurent Delannoy. Un de ses salariés s’est fait mettre à la porte ni une ni deux parce qu’on lui avait dit qu’il terminerait toujours à 17 heures. Le jour où il y a eu besoin d’un surcroît de travail exceptionnel pour terminer une mission à temps, il n’a pas compris la nécessité de faire une heure supplémentaire… Il s’est levé et est parti, comme d’habitude, à 17 heures.

La méconnaissance du comportement des autistes et les clichés véhiculés font craindre démesurément leurs crises. Or, quand les équipes sont bien sensibilisées et leur place dans l’entreprise, bien pensée, il y a peu de risques. Ça n’est jamais arrivé chez Avencod. Des personnes autistes deviennent encadrantes d’autres salariés atteints du même syndrome. « Ce management participatif permet d’anticiper les angoisses en les identifiant avant qu’elles naissent », selon le président de l’entreprise adaptée. Aucune crise à l’horizon non plus chez Auticonsult, une entreprise d’informatique spécialisée. « Le stéréotype de l’enfant autiste qui se tape la tête contre les murs est celui que l’on retient alors que c’est extrêmement rare chez les adultes autistes, assure Flora Thiébaut, cofondatrice de cette filiale française de l’allemand Auticon, également psychologue clinicienne responsable du recrutement des personnes autistes. Nous avons débuté par l’informatique, secteur dans lequel leurs compétences sont les plus reconnues, mais nous souhaitons nous ouvrir à l’avenir sur d’autres domaines afin de donner leur chance à des profils moins adaptables. » Car à présent, la méthode est rodée. Elle intervient en amont auprès des clients chez qui les consultants autistes sont envoyés. Elle œuvre à défaire ces clichés dans les équipes qui les accueillent et à identifier un référent.

Processus d’embauche adapté.

Autre écueil, certains services RH de sociétés d’informatique veulent savoir si le recours à une entreprise dont certains salariés sont autistes, peut entrer dans le quota de 6 % de travailleurs handicapés imposé par le Code du travail. Au même titre que le recours à une entreprise adaptée. Or, Auticonsult est une entreprise classique. Si la plupart de ses salariés ont bien une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), ils ne peuvent être comptabilisés pour abaisser les obligations de ses clients. « Les objectifs chiffrés peuvent être obsédants en France, estime Flora Thiébaut. Nous ne répondons pas aux attentes des entreprises qui cherchent avant tout à remplir leurs obligations vis-à-vis de l’Agefiph. » Logiquement, les clients d’Auticonsult sont uniquement intéressés par les compétences propres des autistes en informatique. Sans avoir besoin d’organiser un processus d’embauche spécifique. « Dans une entreprise, le recruté passe quelques tests et des entretiens, parfois collectifs, ce qui ne correspond pas au fonctionnement des autistes », relate la responsable du recrutement d’Auticonsult. Pour sa part, elle met en place des tests cognitifs, non verbaux, afin d’extraire les difficultés rencontrées habituellement par les autistes.

Préparation et aménagements.

Lorsque les candidats ont fait preuve de leurs compétences, ils passent cinq jours en groupe d’une demi-douzaine de personnes dont un coach. Et ce, afin de les mettre dans une situation similaire à celle du monde du travail classique et de tester leur adaptabilité. Ils suivent des ateliers sur la communication en entreprise et la gestion du stress. Ensuite, il s’agit d’évaluer leurs facteurs d’angoisse pour préparer au cas par cas leur intégration dans la future équipe de l’entreprise cliente. « Nous prévenons par exemple qu’Untel n’enlève jamais sa casquette, nous préconisons de poser des questions fermées pour qu’il donne son avis, assurément pertinent, mais qu’il ne livrera pas forcément dans une réunion. Nous expliquons que ce n’est pas parce qu’il ne regarde pas les gens qu’il ne les écoute pas, que cela est dû à son trouble du regard », énumère la coach. Ses interlocuteurs sont surtout les responsables des services informatiques et non les RH directement, puisque les autistes sont des consultants externes. C’est à eux qu’elle fait part des légers aménagements de poste de travail nécessaires à leur intégration. Beaucoup ont une hypersensibilité sensorielle, comme des hyperacousies : ce sont les bruits qui viennent de derrière qui sont source de stress. Il suffit alors de placer le poste de travail dans un coin, dos au mur. Des casques antibruit et bouchons d’oreilles aident aussi.

Liliya Reshetnyak, présidente du cabinet Hipip’In, est elle-même autiste de type Asperger. Avant de fonder sa société en février 2017, elle a étudié les ressources humaines et a passé trois ans en tant que consultante spécialisée dans l’accompagnement au changement. Autant dire qu’elle sait de quoi elle parle lorsqu’elle précise que la moindre variation déstabilise totalement les autistes. Mieux vaut bien les préparer à la vie en entreprise. Avec sa double casquette RH et autiste, elle traduit le langage propre de chacun. Car la première chose à réaliser avant d’intégrer une personne autiste est d’éduquer l’entreprise à son fonctionnement, qu’il s’agisse de privilégier des consignes extrêmement claires, visuelles ou écrites, car l’oral est plus compliqué pour eux. Ou encore d’éviter le second degré, car ils prennent tout au pied de la lettre. « Si le manager dit « attends deux minutes » à un salarié autiste, celui-ci risque de paniquer si cela prend davantage de temps », illustre-t-elle. « Les aménagements fonctionnels sont assez simples. Ce sont les aménagements humains qui sont plus compliqués. Aux collègues de faire l’effort de ne pas être bruyants dans l’open space ou de s’habituer à la franchise des personnes autistes. Même si cela peut blesser, car elles n’ont pas de filtres », estime Philippe Bouchard, responsable de la mission handicap du groupe Randstad France. Le spécialiste de l’intérim a d’ailleurs produit un guide spécifique(2) en partenariat avec Autisme France en 2012. Les entreprises ont tout intérêt à s’en inspirer car « l’honnêteté des salariés autistes et leur capacité à se concentrer sur des tâches répétitives représentent des compétences inexploitées que l’on a du mal à trouver sur le marché de travail », assure-t-il.

Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, craint quant à elle que les autistes de type Asperger, ces petits génies, soient les arbres qui cachent la forêt d’autistes qui ne sont pas « de haut niveau » ; 12 à 15 % seraient des autistes de type Asperger, soit une minorité. Environ un tiers des autistes, à l’inverse, souffre de déficiences intellectuelles. « Mais l’immense majorité a un profil moyen. Ils ne deviendront pas des pros de l’informatique mais sont tout à fait capables de travailler à mi-temps en Établissement et service d’aide par le travail (Ésat), comme mon fils, témoigne-t-elle. Ils sont très performants en tri postal, notamment, du fait de leurs facilités liées à la discrimination visuelle. » Elle vante aussi leur fiabilité, « même s’ils sont parfois lents ». Travailler à temps complet est souvent trop lourd ; toutefois, un temps partiel convient parfaitement. Encore faut-il le trouver.

Andros, la force de l’inclusion

Jean-François Dufresne est PDG d’Andros et également parent d’un jeune adulte autiste. Il a œuvré à la création de Vivre et travailler autrement, une association d’inclusion des personnes autistes basée en Eure-et-Loir. Elle fait le relais entre les entreprises et les éducateurs spécialisés de l’hôpital de Chartres qui accompagnent les sept cols bleus autistes à l’usine voisine Andros. Leurs postes ont été adaptés. Des systèmes de code couleur pour bien séquencer toutes les tâches ont en particulier été mis au point… ce qui facilite aussi le travail des 300 autres salariés. « Pour la plupart, les adultes autistes qui travaillent à l’usine ne savent pas réellement lire ni écrire, et pourtant ils sont très logiques et structurés. Nous avons donc soigneusement découpé les tâches que l’on attend d’eux et créé une signalétique particulière. Cette approche s’est avérée très efficace pour eux mais aussi pour l’ensemble des salariés, notamment pour l’intégration des intérimaires », témoigne Yenny Gorce, responsable de l’association. Avec ce partenariat, chacun y trouve son compte. Ces salariés hors du commun intègrent le quota des 6 % de personnes handicapées des effectifs. Et leur travail rémunéré au SMIC entre dans le cadre de leur projet socio-éducatif. En prime, ils déchargent d’autres salariés des besognes répétitives laissées de côté auparavant. Une récurrence qui rassure les personnes autistes.

(1) http://handicap.gouv.fr/focus/l-autisme/espace-accompagnants/article/le-monde-du-travail

(2) http://www.autismefrance.fr/offres/doc_inline_src/577/Guide_emploi_autisme_randstad.pdf

Auteur

  • Rozenn Le Saint