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“Les ordonnances donnent raison à un patronat rétrograde”

Actu | Entretien | publié le : 02.10.2017 | Marie-Madeleine Sève

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“Les ordonnances donnent raison à un patronat rétrograde”

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Pour le secrétaire général de la CFDT, le gouvernement soutient une vision datée de l’entreprise. Il met les DRH au défit de développer un dialogue social de qualité.

À la sortie de la réunion de présentation des ordonnances, le 31 août, vous vous êtes déclaré déçu. Pourquoi ?

J’ai déjà dit que si les ordonnances n’entraînaient pas la casse du Code du travail redoutée par certains, elles n’apportaient pas non plus la modernisation des relations sociales promise. C’est clairement une occasion manquée. La concertation menée par le gouvernement était l’occasion d’avancer vers la codécision dans l’entreprise, ou au minimum, vers le renforcement de la présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration. Mais nos interlocuteurs n’ont pas entendu ou pas compris notre analyse de la nature de l’entreprise.

Quelle est votre analyse de l’entreprise ?

Nous estimons que dans une entreprise moderne, les salariés ont leur mot à dire. C’est le contraire d’une organisation verticale dans laquelle la prise de décision vient uniquement d’en haut et où la place du travail a du mal à être reconnue. Or, le patronat français refuse de réfléchir à ce qu’est réellement une entreprise. Le Medef ne veut pas reconnaître qu’une entreprise est une entité sociale où se côtoient des intérêts divergents, pas seulement un outil pour créer de la valeur. Le but d’un dialogue social intelligent est de permettre à ces intérêts de se confronter et de trouver un juste équilibre entre la reconnaissance du travail et les enjeux économiques. C’est cet équilibre qui permet la performance des entreprises. Au lieu de cela, les ordonnances présentées par la ministre du Travail sont classiques et ne permettent pas de rééquilibrer le lien de subordination inhérent à la condition salariale.

Les ordonnances n’apportent donc aucune amélioration au dialogue social ?

Nous avons le sentiment qu’elles donnent raison à un patronat rétrograde considérant le syndicalisme comme une épine dans le pied des entrepreneurs. Les mesures présentées limitent le pouvoir des syndicats et des représentants du personnel. C’est vrai du cofinancement des expertises demandées par le comité social et économique (CSE), prévu par l’ordonnance « relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise ». Dans nombre de PME de moins de 500 salariés, le budget de fonctionnement du comité d’entreprise est limité. Il en sera de même pour celui du CSE. Le cofinancement constituera une limitation du recours aux expertises et nuira à un syndicalisme qui pense l’articulation entre la création de richesses et le partage de la valeur ajoutée entre actionnaires et salariés.

Il est tout de même prévu la reconnaissance du parcours syndical…

Oui, et c’est très bien de valoriser l’expérience et le savoir-faire développés pendant des années par les militants syndicaux. Cela peut simplifier leur progression professionnelle ou faciliter leur retour dans une activité professionnelle à temps plein. La création d’un observatoire de la discrimination syndicale va aussi dans le bon sens.

Comment analysez-vous la fusion des institutions représentatives du personnel ?

Nous considérons que le renvoi d’un certain nombre de sujets de négociation vers la branche ou vers l’entreprise est une bonne chose. Mais nous déplorons que cela ne s’accompagne pas d’un renforcement et d’une modernisation du dialogue social. Regardez le paradoxe que nous propose le gouvernement en promouvant la négociation dans les entreprises – et nous y sommes favorables – mais en interdisant aux partenaires sociaux de négocier sur l’organisation des institutions représentatives du personnel pour qu’elles soient mieux adaptées aux réalités d’entreprise. Il y aura encore besoin de relations de proximité avec les salariés sur des problèmes quotidiens et locaux. Or, aujourd’hui, ce sont les délégués du personnel qui répondent à ce besoin. De même, les questions de santé et de qualité du travail ne devront pas être oubliées dans le futur CSE.

Que voulez-vous dire aux DRH qui accueillent positivement les ordonnances ?

Nous allons pousser les équipes CFDT dans les entreprises à les interpeller sur le thème de la qualité du dialogue social. Si les DRH veulent promouvoir un dialogue social efficace, ils doivent donner les moyens aux représentants du personnel et aux équipes syndicales d’y participer pleinement. Ils doivent adopter des principes différents de ceux qui fondent les ordonnances. Celles-ci doivent devenir un outil positif du dialogue social et économique entre direction et représentants du personnel. D’ailleurs, nous conseillerons aux équipes CFDT de négocier sur les moyens du dialogue social préalablement à tout autre sujet. Les directions d’entreprise doivent être mises face à leurs responsabilités et montrer qu’elles ne souhaitent pas l’affaiblissement de la représentation collective des salariés.

Que pensez-vous des nouvelles dispositions concernant les PME ?

On se dirige vers une décision unilatérale et systématique de l’employeur dans les entreprises de moins de 20 salariés. Le référendum organisé après la décision de l’employeur est une fumisterie. Je ne considère pas que tous les patrons de TPE sont sans éthique ni morale, mais ce dispositif permettra tous les abus. Je regrette également la nouvelle disposition ouvrant la possibilité de négociation avec les représentants du personnel non mandatés par un syndicat, dans les PME de 20 à 50 salariés. Mais, à la limite, je considère que c’est un défi lancé aux organisations syndicales. À nous de savoir nous implanter en entreprise ! Nous devrons redoubler d’efforts pour convaincre les salariés des TPE et PME qu’ils ont besoin des syndicats, et expliquer aux chefs d’entreprise l’intérêt de structurer un dialogue social efficace.

Vous estimez le patronat rétrograde. Mais les syndicats français font-ils preuve de « modernité » dans le dialogue social ?

Tous les patrons ne sont pas sur la ligne du Medef, qui a demandé la possibilité de négocier avec des élus du personnel non mandatés dans les entreprises de moins de 300 salariés. Avec pour seul objectif l’élimination des syndicats dans les PME. Le gouvernement nous a entendus et a limité cette mesure aux entreprises de moins de 50 salariés, ce qui est déjà trop. Le Medef a également œuvré avec succès pour que le recours aux expertises soit rogné. Les représentants du Medef ont une vision rétrograde du dialogue social, mais ne représentent pas toutes les entreprises. Chez Miko, Michelin ou Toyota par exemple, la direction reconnaît l’intérêt d’avoir face à elle des gens formés avec des moyens pour tenir leur rôle. Quant au comportement des syndicats… Disons que j’en ai marre du syndicalisme de lutte des classes qui nie la légitimité patronale. Tout autant que de la vision réactionnaire d’une frange du patronat cherchant à éliminer les organisations syndicales. Si ces deux attitudes gagnent du terrain, c’est la société française qui ira dans le mur.

Comment voyez-vous l’avenir du dialogue social, malgré vos critiques ?

Le dialogue social a été rationnalisé, mais pas modernisé. La nouvelle organisation entre la loi, les branches et l’entreprise est intelligente, mais le manque de moyens octroyés aux représentants du personnel pour leur permettre de jouer vraiment leur rôle n’est pas réglé. C’est une question cruciale. La CFDT ne baissera pas ses ambitions sur l’emploi, le travail, la reconnaissance et le respect des salariés. Cela passe par un dialogue social renforcé et des élus du personnel reconnus ayant les moyens de remplir leurs missions.

Mais concrètement, au niveau des équipes syndicales en entreprise ?

Notre objectif sera toujours de développer les moyens d’un dialogue social positif et équilibré. Le CHSCT est mort, mais nous allons pousser nos militants à demander le développement d’une commission du CSE chargée des questions de santé, de sécurité et de conditions de travail. Nous leur recommanderons de chercher à construire des ramifications locales du CSE pour recréer la proximité que connaissaient les DP avec les salariés sur le terrain. Nous n’allons pas cesser de renvoyer les directions d’entreprise à leur responsabilité sociale. La route est longue mais la CFDT a des militants déterminés qui construiront le progrès social du XXIe siècle.

Laurent Berger

Laurent Berger a pris ses fonctions de secrétaire général de la CFDT le 28 novembre 2012. Salarié d’une association d’insertion à Saint-Nazaire, il devient permanent à l’union locale CFDT, puis est élu secrétaire régional de l’union régionale des pays de Loire. Il accède à la commission exécutive confédérale en juin 2009. Un an après, ses responsabilités couvrent l’emploi et la sécurisation des parcours professionnels. Il est l’auteur de permis de construire (éditions Tallandier, 2015).

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève