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Fusion des IRP, que retirer des expériences de DUP ?

À la une | publié le : 02.10.2017 | Éric Béal, Frédéric Brillet, Lydie Colders

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Fusion des IRP, que retirer des expériences de DUP ?

Crédit photo Éric Béal, Frédéric Brillet, Lydie Colders

La délégation unique du personnel, ersatz de conseil social et économique, existe depuis suffisamment longtemps pour que l’on puisse en tirer quelques leçons. Histoire d’éclairer la future fusion des institutions représentatives du personnel, en partant du vécu des élus et des responsables d’entreprise concernés. Tour d’horizon.

Etam fait figure de pionnier en matière de fusion des institutions représentatives du personnel (IRP).Dès avril 2016, le groupe de lingerie signe un accord avec la CGT et la CFDT pour inclure le CHSCT dans la délégation unique du personnel (DUP) de son entrepôt de Compans (95 salariés) en Seine-et-Marne. Un autre accord du même type est signé en mai 2017 avec la seule CGT chez Elan Industries (66 salariés), filiale chargée de réaliser des prototypes, à Marcq-en-Barœul (Hauts-de-France). Jean-Paul Charlez, directeur général RH, prévoit un dernier accord pour l’entrepôt de lingerie de Goussainville (Val-d’Oise) qui compte une centaine de salariés. Des innovations significatives, pour celui qui est aussi le président de l’ANDRH, l’association nationale des DRH. Dans un groupe qui compte 2 600 salariés en France, leur portée est limitée ; elles sont la preuve que les délégués syndicaux (DS) ne sont pas hostiles au futur conseil social et économique (CSE) instauré par les ordonnances Macron. « Les élus des trois filiales étaient habitués à fonctionner en DUP regroupant le CE et les délégués du personnel », indique le DGRH. Autre explication avancée par Céline Tronet, responsable RH qui a négocié l’accord chez Elan Industries : « Les syndicats étaient d’accord à condition de fixer des séances extraordinaires en cas de problème grave lié à la sécurité au travail. » Pour obtenir la signature des DS, la direction a aussi fait quelques concessions. Chez Elan Industries, les élus ont conservé leurs vingt heures de délégation, au lieu des dix-huit prévues par la loi Rebsamen. Chez Compans, leur nombre n’a pas bougé : 9 titulaires et autant de suppléants au lieu des 5 + 5 prévus par cette même loi. Pour le reste, la responsable RH se félicite de la nouvelle organisation. « Avant, il fallait deux réunions pour la DUP et le CHSCT. Depuis, il n’y a plus qu’une réunion tous les deux mois, auxquelles les représentants de l’ancien CHSCT participent quatre fois par an. Évidemment, il s’agit de bien cadrer les choses, avec un point sur les informations économiques, puis les questions traitées auparavant par les délégués du personnel. Et enfin les problèmes de santé et de sécurité au travail », détaille-t-elle.

Cet allègement des obligations légales et du nombre de réunions est également jugé positivement par Valérie Bevalot, DRH du groupe Sogetrel (2 600 salariés), spécialiste des réseaux de communication. L’accord signé en 2015 avec la CFE-CGC, FO et la CFDT rassemble les DP et les CHSCT dans une DUP. « Notre entreprise compte 50 établissements, explique la DRH. Elle est organisée en cinq grandes directions opérationnelles géographiques dotées de quatre agences en moyenne, auxquelles il faut ajouter le siège social et un centre de services partagés. Soit, maintenant, sept entités juridiques distinctes munies d’une DUP et d’un CE. Auparavant, chaque agence avait ses propres IRP… Nous avons proposé aux syndicats de garder le même nombre d’élus par instance fusionnée dans chaque DUP, avec un même nombre d’heures de délégation. Mais au final, cela a réduit de moitié le nombre de postes. » Cette réduction d’élus potentiels n’a pas inquiété outre mesure Gilles Letant, délégué CFE-CGC : « Les syndicats avaient un mal fou à trouver des volontaires pour siéger dans chaque agence. Un grand nombre de postes étaient non pourvus. Paradoxalement, le fait de rassembler DP et CHSCT dans une instance couvrant plus de sites nous a permis de trouver de nouveaux volontaires. » Un effet de l’ouverture des discussions à des sujets plus diversifiés peut-être, mais une partie des postes restent encore sans titulaires aujourd’hui. Autres effets positifs pour le syndicaliste : la présence du médecin du travail aux réunions le concernant, depuis que celles-ci sont moins nombreuses et le fait que les représentants du personnel traitant de la santé au travail soient directement élus par les salariés, alors qu’ils étaient désignés par les élus DP et membres du CE.

Amélioration des échanges.

Malgré ces retours positifs, les experts qui entourent les CE estiment que la DUP version Rebsamen n’a pas eu le succès escompté. Les plus optimistes évaluent à une quinzaine le nombre de DUP dans les entreprises de plus de 300 personnes. Un tiers des PME plus modestes auraient également choisi ce mode d’organisation du dialogue social. « La DUP marche bien dans les entreprises ayant un seul établissement, mais elle n’est pas adaptée aux sociétés multi-établissements. Elle est plus souvent adoptée par des entreprises où les élus ont l’habitude d’un fonctionnement étroit entre le CE et le CHSCT, relève Laurent Le Dortz, responsable juridique du cabinet Syndex. Enfin, le regroupement d’instances est souvent demandé par les directions centrales, alors que les directions locales apprécient, particulièrement dans l’industrie, les compétences sur la sécurité des membres du CHSCT et la proximité avec les élus. »

Marion Quenson, assistante RH chez Nomotech (170 salariés), loue elle aussi, la simplification apportée par la DUP, qui rassemble DP, CE et CHSCT depuis mai 2016. Ce spécialiste de l’ingénierie des réseaux internes a réuni cinq sociétés et huit établissements au sein d’une union économique et sociale. « Elle a facilité le dialogue en éliminant les éventuelles différences d’interprétation du discours tenu par la direction, affirme la responsable. Nous nous réunissons tous les deux mois et les élus entendent un discours uniforme. Chacun peut poser des questions et tout le monde entend la même réponse. » Tous les responsables RH interrogés expriment ainsi leur soulagement devant la réduction des réunions et des présentations à l’identique devant un parterre d’élus différents, apportée par une DUP. Mais la fusion des IRP imposée par l’ordonnance « relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise » conduira-t-elle aussi à une amélioration du dialogue social ? Côté syndicats, c’est le scepticisme. « Le CSE va entraîner la perte des spécificités de chacune des instances, résume Didier Porte (FO). Les discussions sont plus précises avec des élus formés dans des domaines d’expertise, notamment sur la santé et la sécurité. » Deux risques menacent la qualité du dialogue social dans cette instance unique, selon le secrétaire confédéral de Force ouvrière : un recul des moyens de la représentation du personnel, avec moins d’élus et moins d’heures de délégation. Et une focalisation sur les questions économiques et la compétitivité, au détriment de celles concernant la santé et la sécurité.

Des inquiétudes peuvent se retrouver sur le terrain. Chez GEA Process Engineering France (161 salariés), la filiale d’un groupe allemand spécialisé dans les procédés pour l’industrie agroalimentaire, la DUP fonctionne depuis une vingtaine d’années. Sous la version ancienne d’un rapprochement entre le CE et les DP. Car les élus n’ont jamais voulu y ajouter le CHSCT. « Le DRH nous a consultés sur le sujet, mais il est important que cette instance demeure indépendante », estime Christophe Talibart, DS CGT. Le syndicaliste explique que sa conviction s’est forgée à la suite d’un plan social déclenché en 2015. « Il y a eu des grèves et les conditions de travail se sont beaucoup dégradées. Certains cadres ont été placardisés et un cas de burn-out a été signalé par la médecine du travail. Le CHSCT a déclenché un droit d’alerte collectif pour danger grave et imminent, et l’expertise a démontré que la brutalité de la réorganisation était responsable des risques sur la santé des salariés. Ce que je crains, c’est qu’un CHSCT dilué au sein du CSE perde ses capacités de réaction. »

Échanges constructifs.

Chez Bernétic (55 salariés), PME familiale spécialisée dans l’impression d’étiquettes, le regroupement des IRP dans une DUP n’a pas rencontré de problème. Pour autant, ce qui est possible dans une petite société où les candidats aux élections professionnelles ne sont pas légion, « est-il recommandable dans une société plus importante ? », se demande Bernard Clémence, secrétaire de la DUP. « Nous sommes quatre titulaires et autant de suppléants, tous sans étiquette syndicale, précise l’élu. Les échanges avec la direction sont plutôt constructifs. Toutefois, l’ampleur de la tâche augmente avec la croissance des effectifs. Ce qui me semble adapté pour une petite entreprise comme la nôtre, ne l’est pas forcément pour une grande. »

Mais un effectif limité ne suffit pas toujours à assurer un dialogue serein. La filiale française de Schwarzkopf compte une centaine de salariés répartis entre le siège et une soixantaine de VRP chargés de ramener des commandes pour les produits capillaires de cette marque du groupe Henkel. Cette dissémination des troupes et le nombre limité de volontaires aux élections professionnelles expliquent la présence d’une DUP couvrant les sujets des DP et du CE, depuis la création de l’entreprise. En 2016, le CHSCT y a été ajouté. « Difficile d’échanger ou même de préparer les réunions quand on est tous par monts et par vaux, justifie Aloyse Caissutti, délégué CFDT. Les deux collègues du CHSCT se retrouvaient isolés face à la direction, sans grande expérience ni formation pour négocier au mieux. » La simplification des instances n’a pourtant apporté aucune amélioration du dialogue social. « Les DG qui se succèdent tous les trois ou quatre ans sont obnubilés par le chiffre d’affaires et la rentabilité demandés par le groupe, ajoute-t-il. Ils ont toujours refusé de nous faire remplacer sur le terrain lorsque nous avons une réunion de la DUP. Résultat, nous n’avons pas le temps de nous former. Nous prenons sur notre temps de travail, alors que nous avons toujours les mêmes objectifs individuels. » Dialogue de sourds garanti.

Réunions mieux cadrées.

À l’inverse, là où la direction joue le jeu, l’évolution est claire. Chez Chèque Déjeuner, maison-mère du Groupe Up (1 000 salariés en France), l’ensemble des syndicats représentatifs (CGT, CFDT et FO) a signé un accord prévoyant la fusion des IRP en octobre 2016. Le conseil économique et social ainsi créé résulte d’un constat partagé. « La multiplication des instances nous obligeait à répéter plusieurs fois la même chose alors que des problématiques comme le temps de travail sont abordées en CHSCT comme en CE », défend Florence Quentier, la DRH groupe. Elle ajoute que cette instance unique a permis aux élus de mieux se spécialiser par dossier : gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, épargne salariale, sécurité au travail, etc. Elle ne cache pas non plus que le consentement des organisations syndicales a été facilité par l’élargissement des pouvoirs et des domaines d’intervention de la nouvelle instance. Bien au-delà des exigences de la loi Rebsamen. Le CES se compose en effet d’une instance plénière et de six sections thématiques, soit deux fois plus que ce qui est prévu par la législation : « Économie, stratégie et finance », « Emploi et compétences », « Politique sociale », « Délégation du personnel », « Hygiène, sécurité et qualité de vie au travail » et « Activités sociales et culturelles ». Il compte 30 élus, dont 15 titulaires, soit dix de plus que le minimum requis. Les suppléants bénéficient d’heures de délégation propres et jouent un rôle actif. Enfin, le CES se réunit tous les mois. « Nous n’abordons plus en séance plénière que les sujets transverses qui ont un impact sur tout le monde, comme la présentation des comptes ou le temps de travail. Les sujets plus pointus sont traités dans la section compétente. Avec ce système, nous n’avons pas moins de réunions, mais elles sont plus courtes, mieux préparées et mieux cadrées », commente la DRH.

La fusion des instances a-t-elle amélioré le dialogue social ? La réalité est forcément nuancée. Tout d’abord, le fonctionnement d’une DUP dépend beaucoup de la qualité des relations sociales existantes avant sa mise en place. Certes, elle simplifie l’organisation des réunions, les échanges d’information et parfois les contacts entre représentants du personnel. Mais pour que ça marche, il faut des élus bien formés avec des moyens pour jouer pleinement leur rôle de représentants du personnel. Et c’est sur ce point que les directions dévoileront très vite leurs intentions. Celles qui privilégieront la simplification, ne donneront rien de plus que ce qu’exige la loi. Les autres écouteront leurs élus et inventeront des dispositifs complémentaires… forcément un peu plus compliqués. Mais susceptibles d’améliorer la qualité des discussions et des négociations entre partenaires sociaux.

Jean-Christophe Berthod : Directeur associé chez Secafi, conseil en relations sociales

« Dans son format « loi 1993 », la DUP n’a pas connu un grand succès, quelle qu’ait été la taille des entreprises. Dans les TPE, les employeurs ne voyaient pas l’intérêt d’une DUP car ils avaient déjà une instance unique constituée par les DP. En outre, beaucoup d’entreprises dans la tranche 50 à 100 salariés n’ont pas de CE ni de CHSCT. Quand le dialogue social est de qualité, les partenaires sociaux préfèrent en rester à une instance unique de fait, c’est plus simple. Cela prouve que les partenaires sociaux savent faire preuve de flexibilité et de pragmatisme sur le terrain pour orchestrer le dialogue social.

La loi Rebsamen de 2015 n’a pas davantage eu de succès. Seulement 14 entreprises de plus de 300 salariés ont signé des accords de regroupement des instances conformément à cette loi. Le nombre est très faible et en plus beaucoup de ces accords sont partiels car ils ne concernent pas tous les sites d’une même entreprise. Sur certains sites, les syndicats ont refusé le regroupement des DP-CHSCT et continuent de dialoguer avec des instances séparées. Ces différences sur le terrain sont liées à des questions d’entente entre les personnes et à la qualité du dialogue social local.

La loi Rebsamen a été acceptée par les syndicats car elle maintient les prérogatives et les moyens des représentants du personnel. Mais elle ne résout en rien le manque d’implication des salariés dans les instances représentatives du personnel. Dans la DUP version Rebsamen, tous les postes de représentant du personnel ne sont pas pourvus faute de candidats. Résultat, des heures de délégation sont perdues car le système de fongibilité des heures de délégation au sein d’un même syndicat et dans le même mois s’apparente à une usine à gaz. Cela implique que les représentants du personnel élus sont obligés de faire des heures supplémentaires en délégation pour assurer leur mission qui s’ajoutent à leur travail opérationnel. C’est une vraie charge.

Le projet de loi Pénicaud va permettre aux entreprises dotées de plusieurs établissements de tout fusionner dans une instance unique. La qualité du dialogue de terrain site par site va s’en ressentir puisque tout sera concentré au siège social. Et il n’est même pas sûr que les employeurs veuillent une nouvelle réforme de la DUP. Beaucoup me disent qu’ils ne changeront rien, même s’ils ont la possibilité de fusionner. Là où le dialogue social fonctionne, les entreprises ne bougeront pas, et là où il ne marche pas, cela n’a rien à voir avec l’architecture des instances.

Propos recueillis par Frédéric Brillet

L’avis des spécialistes du droit : La fusion des IRP permettra-t-elle d’améliorer le dialogue social ?

Pour Stéphane Béal, avocat associé du cabinet Fidal (pro-employeurs) et directeur de son département droit social, la fusion des institutions représentatives du personnel est une évolution favorable. « L’inversion du mécanisme est positif. Le principe d’une IRP pour toutes les entreprises est plus simple pour tout le monde. Si le besoin se fait sentir, rien n’empêche les partenaires sociaux de créer une commission CHSCT ou DP pour travailler sur des problèmes particuliers. » Et d’expliquer que la plupart du temps, l’obligation de consultation des IRP était artificielle. « Bien souvent, les mêmes élus siègent dans les différentes instances. La direction présentait un même sujet différentes fois et le CE réclamait l’avis du CHSCT pour gagner du temps. »

De son côté, Georges Meyer, avocat au cabinet Delgado & Meyer (pro-salariés), n’est pas opposé au principe de fusion des IRP. « Je regrette que les expériences issues de la loi Rebsamen n’aient pas été prises en compte. Cette loi permettait aux partenaires sociaux de négocier des aménagements en fonction de la réalité locale. La loi Rebsamen en appelait à l’intelligence collective. À l’inverse, la fusion imposée par le gouvernement actuel impose une même règle pour toutes les entreprises. Or, le CSE ne fonctionnera que si les élus sont bien formés et adoptent une démarche proactive afin de s’organiser et de travailler en équipe. Ils devront se spécialiser sur des sujets. Si chacun doit étendre son expertise démesurément, des résultats financiers à la stratégie, en passant par la santé et les conditions de travail, le risque est réel que ces deux derniers sujets soient délaissés. »

Auteur

  • Éric Béal, Frédéric Brillet, Lydie Colders