Regarder l’automatisation dans les yeux. » Voilà l’ambitieux programme auquel nous convie la journaliste Tiffany Blandin dans son premier ouvrage Un monde sans travail. Ce dernier s’ouvre sur une ahurissante plongée dans les laboratoires des géants de la technologie, à la pointe de l’intelligence artificielle. Celle-ci, prévoient les spécialistes, est susceptible de rendre obsolètes 1,16 milliard d’emplois dans les années à venir. Un scénario qui ne relève pas de la science-fiction. Sous peu, les robots seront capables de remplacer les serveuses et les chauffeurs de bus mais aussi les avocats, les banquiers, les juristes ou encore les DRH. C’est un fait : l’automatisation n’est plus seulement une menace pour l’emploi des cols bleus. Désormais, démontre la journaliste, les cols blancs pourront bientôt être remplacés par des machines qui se perfectionnent de jour en jour grâce au procédé « d’apprentissage profond ». Sillonnant la France et les États-Unis, Tiffany Blandin pousse les portes des Gafa de la Silicon Valley mais aussi des start-up friandes d’innovations, toujours à la recherche d’investisseurs pour financer leurs dernières inventions. Ce monde semble replié sur lui-même, tout entier à l’excitation de créer de nouveaux produits et de faire du profit plus rapidement. Pourtant, la révolution numérique a son revers. L’auteure se charge d’en révéler les coulisses en alignant les portraits de « losers de l’innovation » : employés d’Intermarché violemment licenciés suite à la décision d’un algorithme de fermer des centres logistiques, indépendants ayant du mal à joindre les deux bouts ou encore « forçats d’Internet » soumis au microtravail. Ces petites mains sont le plus souvent engagées pour alimenter en données les algorithmes auto-apprenants, de façon à les rendre plus performants. Ces mêmes logiciels qui sont à l’origine de la précarisation de leurs conditions de travail ! Face à toutes ces transformations, le ton de Tiffany Blandin est à la fois effrayé et accusateur. On sent régulièrement poindre son exaspération, notamment lorsqu’elle évoque Leclerc, une « société qui idolâtre le dieu productivité ». Difficile pourtant de lui reprocher cet accent partisan tant le reste de sa démonstration est rigoureuse. Il est grand temps, conclut-elle, que nos dirigeants politiques cessent de tourner en dérision cette question de la destruction des emplois par les machines. L’intelligence artificielle porte en elle une explosion des inégalités et du chômage de masse. Faire l’autruche n’y changera rien, bien au contraire.

Un monde sans travail ?, Tiffany Blandin. Seuil. 128 pages, 10 euros.