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Idées

L’efficacité pédagogique des apprentissages en situation de travail

Idées | Management | publié le : 04.09.2017 | Fanny Barbier

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L’efficacité pédagogique des apprentissages en situation de travail

Crédit photo Fanny Barbier

Frédérique Gérard vient de soutenir une thèse sur l’évaluation des dispositifs d’apprentissage en situation de travail (AST) dans les entreprises, réalisée dans le cadre d’une convention Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche) passée entre l’entreprise Enedis et l’École doctorale connaissance, langage, modélisation de l’université Paris Nanterre. Frédérique a mené sa recherche au sein de l’équipe Apprenance et formation des adultes dirigée par Philippe Carré.

Passionnée par les questions de pédagogie, Frédérique Gérard a choisi le sujet de l’évaluation des dispositifs d’apprentissage en situation de travail (AST) avec sa directrice de thèse Sandra Enlart qui, dans le cadre de son activité de directrice générale d’Entreprise & Personnel, a conçu un modèle d’AST et l’a expérimenté dans des entreprises comme la SNCF ou La Poste. Michel Sand, alors directeur de la formation d’Enedis (ERDF à l’époque), a été intéressé par le regard scientifique que pouvait porter un doctorant sur le dispositif qui allait être expérimenté au sein de son entreprise. Pour lui, il s’agissait de répondre à quatre enjeux : faire face aux départs massifs en retraite ; préparer les personnels aux conséquences que plusieurs grands projets de transformation (notamment les nouveaux compteurs Linky) allaient avoir sur l’organisation et sur les métiers ; mener à bien une politique ambitieuse en termes de santé et sécurité au travail ; et enfin s’assurer de l’efficacité et l’efficience de la formation, dont le budget représente 8 % de la masse salariale. Pendant trois ans, grâce à la Cifre, Frédérique a ainsi pu voir la montée en puissance de l’AST dans l’entreprise et y participer : les deux grandes vagues d’expérimentation, la mise en place d’un comité de pilotage national dirigé par Olivier de La Chapelle (successeur de Michel Sand) et Anne-Marie Perez (DRH régionale), l’organisation d’un retour d’expérience, et enfin, la décision de déploiement devant le comité exécutif pour tous les nouveaux arrivants en exploitation sur le métier de technicien d’intervention polyvalent.

Apprentissages en situation de travail, des rôles et une chronologie définis au cordeau

Tout dispositif des AST peut être caractérisé par un certain nombre d’éléments dont l’ensemble constitue son « noyau dur ». Il implique trois acteurs principaux : le manager, l’apprenant et le compagnon. Ce dernier est un expert dans le métier, c’est un collègue de l’apprenant, il n’y a pas de lien hiérarchique entre eux.

Dans un premier temps, en cohérence avec les impératifs de production, le manager définit pour l’apprenant et avec lui des objectifs de progression. Quelles sont les situations que ce dernier doit mieux maîtriser ? Ensemble, ils déterminent un calendrier, soit la durée de l’accompagnement et ses échéances.

Ensuite, lors de temps dédiés, le compagnon accompagne l’apprenant en situation de travail réelle (sur les situations prédéfinies). Il observe l’apprenant travailler et lorsque ce dernier a achevé son activité, il le prend à part pour le débriefer. En posant des questions, le compagnon cherche à aider l’apprenant à analyser de façon réflexive ce qu’il vient de faire. Ce dernier peut alors plus facilement identifier ce qu’il maîtrise, ce qu’il ne maîtrise pas encore et ce qu’il peut faire pour progresser. Le compagnon est tenu à la discrétion. Il ne peut pas communiquer au manager le détail de ce qui s’est passé. Lors de ces accompagnements, le manager intervient seulement « en coulisses » pour vérifier que l’organisation du travail est compatible avec le dispositif AST.

En parallèle à ces accompagnements, le manager échange régulièrement avec l’apprenant sur sa montée en compétences. Dès que celui-ci se sent prêt, le manager procède à une évaluation en situation de travail.

Hypothèses et démonstration

Le cadre théorique sur lequel Frédérique Gérard a construit sa thèse s’est inspiré des travaux de l’école de la didactique professionnelle et du champ de recherche du workplace learning.

« Mes lectures m’ont permis d’adopter deux partis pris. D’abord, avec la didactique professionnelle et en particulier Pierre Pastré et Patrick Mayen, j’ai compris qu’être compétent dans un domaine, cela signifie maîtriser les situations de travail auxquelles on fait face dans ce domaine. Les situations étant complexes et évoluant sans cesse, être compétent implique de s’adapter en permanence et donc d’analyser la situation dans laquelle on se trouve. À l’inverse du débutant, une personne expérimentée ne se laisse pas déborder. Elle parvient très rapidement à identifier la situation dans laquelle elle se trouve et à définir le comportement à adopter. Apprendre, pour un professionnel, revient donc à développer cette capacité à analyser les situations. Par ailleurs, selon Stephen Billett, un des chefs de file du workplace learning, les apprentissages professionnels résultent de la participation à l’activité d’un collectif de travail. Cette participation dépend elle-même de deux facteurs interdépendants que sont les opportunités de l’environnement de travail (le fait d’avoir accès à des activités, de pouvoir observer, d’être accompagné) et l’engagement individuel. Cela signifie que l’individu juge de l’intérêt des opportunités de participation en fonction de ses priorités, de ses valeurs et croyances. Ces deux approches sont complémentaires, elles montrent toutes les deux que l’apprentissage est une conséquence de l’action. Sur la base de ces partis pris, j’ai pu formuler deux hypothèses. La première est que le dispositif AST aide à développer cette capacité d’analyse. La seconde est qu’il favorise des opportunités de participation qui suscitent l’engagement des apprenants. Le travail de recherche sur le terrain au cours duquel j’ai observé 16 accompagnements de 23 apprenants m’a permis effectivement de vérifier que le dispositif AST facilite le processus d’apprentissage. »

Travailler en situation réelle favorise l’apprentissage de différentes façons

Le concept au cœur du dispositif est bien celui de mises en situation de travail réelles. En dehors du « noyau dur » décrit ci-dessus, il existe autant de variantes que d’entreprises, de situations ou de personnalités. Ainsi, le dispositif conçu par le consultant diffère de celui que l’entreprise s’approprie au niveau national, qui lui-même diffère de celui que les acteurs s’approprient au niveau local. Ainsi, les compagnons n’ont pas tous le même mode opératoire. En situation, certains laissent faire, d’autres non. Lors du débriefing, certains restent dans le « ça va ? », alors que d’autres préfèrent se baser sur un questionnement très précis. Ainsi, certains apprenants apprécient beaucoup le fait d’être questionnés, d’autres attendent surtout du feedback, d’autres encore sont moins à l’aise dans cette relation ou ont peur d’être évalués.

Travailler en situation réelle, c’est acquérir des expériences, c’est-à-dire tâtonner, commettre des erreurs, échanger avec les collègues pour résoudre les difficultés. L’ensemble de ces éléments est source d’apprentissage. Cela implique aussi de travailler aux côtés de collègues et de les observer (c’est ce que Stephen Billett appelle le « guidage indirect »). Enfin, le fait que la situation soit « réelle » contribue à la mobilisation de l’apprenant, donc à son engagement.

Travailler sous l’œil d’un compagnon expert crée un climat propice à l’apprentissage. Les apprenants apprécient qu’un compagnon intervienne à leurs côtés si nécessaire. Ils apprécient l’occasion de montrer ce qu’ils valent aux plus anciens. Ils apprécient l’opportunité d’adopter des comportements appris en formation mais non mis en œuvre jusqu’alors. « Dans la mesure où il intervient le moins possible, le compagnon favorise les processus d’apprentissage. Les apprenants sont en position de faire leur propre expérience ; ils sont rassurés car ils savent que le compagnon sera à même d’intervenir en cas de besoin ; ils sont motivés par l’envie de bien faire se sachant observés par un pair confirmé. L’observation permettra au compagnon de partager avec l’apprenant ce qu’il pense de sa prestation pendant le débriefing. Là encore, c’est bien un aspect partagé par l’ensemble des dispositifs AST qui favorise les apprentissages. »

Conditions de succès du dispositif AST

Lors de son travail, Frédérique Gérard a identifié trois variables du dispositif AST qui ont une influence non négligeable sur les processus d’apprentissage. Il s’agit de l’implication du manager dans le dispositif. Elle est requise notamment lors de la définition des objectifs de progression, lors du suivi de montée en compétences et lors de l’évaluation. Il s’agit également de la fréquence des accompagnements ainsi que de la forme du débriefing (selon le nombre de participants, la posture du compagnon ou la durée de la séance de débriefing, il ne se passera pas la même chose). Quatre conditions paraissent importantes à respecter pour favoriser les apprentissages. Les apprenants doivent s’engager dans leur travail, comprendre en quoi consiste le dispositif. Les opportunités du dispositif AST doivent être cohérentes avec leurs croyances épistémiques. Et enfin, les accompagnements doivent porter sur des situations de travail difficiles pour l’apprenant.

Auteur

  • Fanny Barbier