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L’algorithme à la rescousse

Dossier | publié le : 04.09.2017 | Lou-Eve Popper

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L’algorithme à la rescousse

Crédit photo Lou-Eve Popper

Déceler les potentiels, adapter les carrières, prévenir les démissions des meilleurs éléments… le big data offre des perspectives alléchantes en termes de gestion des talents. Non sans poser de questions.

La machine va-t-elle finir par remplacer l’humain ? Pas tout de suite, semble-t-il, au sein des ressources humaines. Selon le baromètre annuel 2017 de Deloitte sur les tendances RH, seuls 16 % des DRH se disent matures sur l’analytique RH. Pourtant, l’offre des éditeurs de logiciels en la matière est devenue pléthorique depuis quelques années. Ces derniers proposent notamment des solutions data RH en passe de révolutionner la gestion des talents.

À commencer par la détection de hauts potentiels sur le marché, grâce au « recrutement prédictif ». Pour ce faire, les entreprises commencent d’abord par se plonger dans la masse d’informations disponibles sur leurs salariés comme le diplôme, le parcours, les anciens employeurs, les compétences, ou encore les comptes-rendus d’entretien d’évaluation. Une analyse data se charge ensuite de faire émerger les profils qui ont le mieux réussi dans l’entreprise. À partir de là, les machines vont trier, sur la base de mots-clés, les CV qui ressemblent le plus à ceux des modèles de réussite. Même principe lorsque les candidats à l’embauche sont soumis à des tests de personnalité ou de mise en situation. À la fin, l’algorithme sélectionne ceux dont les traits se rapprochent le plus des salariés identifiés comme des talents au sein de l’entreprise. Et là, surprise ! Car les logiciels peuvent faire des propositions contre-intuitives… et parfois satisfaisantes. Chez Capgemini Consulting, on en témoigne : « Nous avons pu déceler des pépites qui n’étaient pas forcément issues du top 5 des grandes écoles de commerce et d’ingénieurs », assure Anne Ruelleux, responsable du recrutement. « Bien sûr, l’identification de ces hauts potentiels par un logiciel ne supprime pas l’étape de l’entretien, essentielle pour trouver les bons candidats », nuance-t-elle.

Aide à la décision

L’analyse prédictive peut aussi s’appliquer pour déceler en interne les bons profils et les faire évoluer. Toujours sur la base des modèles de réussite, les logiciels sont désormais capables de déterminer à l’avance les profils capables d’évoluer sur tel type de poste en fonction de leur formation, diplôme, expérience, etc. Évidemment, plus le logiciel est alimenté en données, plus ses prédictions ont des chances d’être fines. C’est pourquoi l’éditeur de logiciels américain Cornerstone propose aux entreprises d’ajouter à leurs données celles, au préalable anonymisées, de l’ensemble de ses clients, soit 31 millions de salariés. En pratique, « si un DRH veut déterminer quel est le candidat idéal pour un poste donné, il s’appuie certes sur les données historiques des performances de ses salariés mais aussi sur l’ensemble des profils équivalents ayant postulé à des postes comparables qui se trouvent dans notre base de données », explique Geoffroy de Lestrange, responsable marketing produit Europe de Cornerstone. Une fois que le logiciel a fait ses recommandations, le DRH peut choisir ou non de les suivre. « La décision finale reste évidemment humaine », insiste Geoffroy de Lestrange.

Enfin, l’analyse prédictive permet aussi d’anticiper le turnover. La première étape pour les entreprises est d’abord de collecter toutes les données disponibles sur les collaborateurs ayant quitté l’entreprise comme le profil, les évaluations, la nature du poste, l’ancienneté, l’expérience du manager, la taille de l’équipe ou encore la dernière augmentation de salaire. L’analyse de ces données permet ensuite d’identifier ce qui a pu influencer les démissions et dresser les profils de salariés qui risquent de partir. Aux responsables RH ensuite de mettre en place des actions pour fidéliser leurs meilleurs collaborateurs. Grâce à l’outil d’analyse prédictive de Capgemini Consulting, un grand équipementier automobile a pu, de cette façon, identifier que l’une des causes de son fort turnover était le manque de mobilité interne. « Les algorithmes permettent, dans certains cas, de vérifier des intuitions. En cela, ils sont un outil d’aide à la décision », assure Adrien Vial, directeur chez Capgemini Consulting en charge de l’offre Human Capital Analytics. Même sans regarder dans le passé, les algorithmes peuvent aider les DRH à favoriser la mobilité interne de talents cachés dans l’entreprise. Notamment grâce à de nouveaux outils basés sur le matching. En sélectionnant un nombre de candidats très large et en faisant se confronter leurs compétences avec celles requises pour un poste donné, les algorithmes peuvent faire émerger le salarié idéal au sein d’un vivier interne. Un dispositif qui fonctionne d’autant mieux lorsque l’entreprise a également accès aux profils LinkedIn des collaborateurs, plus régulièrement mis à jour que les CV, et qui peuvent révéler des compétences acquises en dehors de l’entreprise (comme dans une association). « Désormais, les DRH peuvent avoir une vision d’ensemble de leurs collaborateurs et détecter les meilleurs profils, à condition que ceux-ci aient donné leur consentement pour l’utilisation de leurs données personnelles », assure Raphaëlle Bertholon, déléguée nationale CFE-CGC.

Pour cette dernière, « l’utilisation du matching dans les processus de mobilité pourrait même mettre fin aux discriminations ».

Mais encore faut-il que l’outil analytique soit correctement paramétré. Des data analysts peu soucieux des conséquences pourraient, par exemple, choisir d’intégrer des critères d’évaluation a priori non discriminants mais que la pratique révélerait comme tels, comme le lieu d’habitation. Pour le moment, seuls eux sont en mesure de programmer les logiciels d’analyse des données. Une situation problématique pour Raphaëlle Bertholon, qui estime que les recruteurs RH devraient être formés à la supervision de tels outils. « Même quand le pilotage automatique est enclenché, il y a toujours un pilote dans l’avion pour vérifier que tout se passe bien », glisse-t-elle.

Consentement des salariés

Pas de quoi apaiser toutes les craintes. Pour Jean-Luc Molins, secrétaire national Ugict-CGT, les algorithmes, en ne produisant des résultats qu’à partir du passé, cultivent le conformisme. « Ils n’intègrent ni les nouvelles pratiques, ni les nouveaux questionnements sur le monde du travail », explique-t-il. Même son de cloche du côté de la CFDT : « Si big data veut dire “formatage”, pas sûr que ce soit une chance », soupire Hervé Garnier, secrétaire national. Autre sujet d’inquiétude : l’absence de dialogue social sur la question. « Théoriquement, la direction doit consulter le CE avant d’installer ce type d’outil. En pratique, c’est très peu fait », affirme Jean-Luc Molins. Pourtant, la loi informatique et libertés de 1978 prévoit que la collecte et l’utilisation des données soient réalisées avec le consentement des salariés, en leur expliquant l’usage qui en sera fait. Le règlement général sur la protection des données, qui doit entrer en vigueur le 25 mai 2018, devrait davantage contraindre les employeurs à la transparence et à la sécurisation des algorithmes.

Il y a encore, de toute façon, peu d’entreprises faisant appel au big data pour exploiter leurs données RH. Car « même si les solutions informatiques sont de plus en plus accessibles, les data analysts, rarissimes sur le marché, proposent des services dont les prix restent pour l’instant élevés », rappelle Reda Gomery, associé responsable Data Analytics chez Deloitte. Dans le contexte économique actuel, où la « guerre des talents » fait rage, certaines entreprises pourraient néanmoins choisir d’y mettre toutes leurs économies.

Auteur

  • Lou-Eve Popper