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La gestion des talents se démocratise

Dossier | publié le : 04.09.2017 | Givenole Guiomard

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La gestion des talents se démocratise

Crédit photo Givenole Guiomard

La gestion des talents concerne de plus en plus d’entreprises et de salariés. Elle permet d’attirer puis de fidéliser des compétences, indispensables dans une économie de services. Bien les conduire devient une problématique stratégique pour les entreprises.

En matière de gestion des talents, les entreprises françaises font des efforts. Mais elles pourraient faire mieux et plus. Voilà les conclusions du troisième baromètre (mars 2017) La Gestion des talents dans les entreprises françaises, étude réalisée auprès de 537 professionnels des RH. Ce travail est mené tous les deux ans par l’ANDRH et deux sociétés de conseil, Féfaur et Cornerstone. L’étude explique que les cadres les plus choyés sont les hauts potentiels (ils bénéficient dans 56,5 % des entreprises d’un programme de gestion des talents) ou les cadres dirigeants (48,1 %). Les managers de proximité sont beaucoup moins bien soignés (27,85 %). » Mais ce baromètre explique aussi que la gestion des talents se démocratise. En effet, en 2017, 44,7 % des entreprises déclarent que leurs programmes de gestion des talents concernent « tous les profils » de salariés. Ce taux était de 40,5 % en 2015.

Cette gestion des talents tend à se démocratiser dans un pays, la France, où ce phénomène ne concernait, il y a encore vingt ans, que quelques happy few issus des meilleures écoles de commerce, pour ne pas dire des meilleures familles. « Les entreprises françaises se cachaient derrière leur petit doigt pour masquer ces programmes dédiés à leurs hauts potentiels », se souvient Manuelle Malot, patronne des carrières de l’école de management Edhec Business School. Aujourd’hui, tout le monde veut en « faire ». Et rares sont les colloques destinés aux directeurs des ressources humaines qui n’évoquent pas de près ou de loin les talents au sens large du terme.

Individualisation des RH

« L’an 2000 est l’année charnière pour comprendre ces changements. Avant, les entreprises s’intéressaient à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et aux référentiels des métiers. Puis, elles ont estimé important d’individualiser les ressources humaines et l’on est passé à la compréhension des talents. C’est-à-dire à une combinaison de compétences rares qui peuvent être décelées chez tous les collaborateurs », poursuit Cécile Dejoux, professeure au Cnam et à l’ESCP Europe, coauteure de La Gestion des talents chez Dunod. De son côté, Pierre Mirallès expliquait en 2007, dans un article de la revue Management & Avenir, que « la raréfaction de la ressource humaine – suite au départ en retraite de babyboomers – la mondialisation et l’hypercompétition ainsi que la déformation de nos économies par le transfert massif de la valeur vers les processus amont – comme la R&D – (ont créé) des conditions qui tendent à renforcer considérablement les exigences de performance et d’implication des salariés ». Sans compter la généralisation de l’individualisation des salaires et celle de la gestion de projet, « qui se conjuguent pour mettre l’accent davantage sur la capacité à trouver ou faire émerger des compétences adaptées aux problèmes rencontrés, que sur l’utilisation d’un stock préétabli de savoir-faire relativement stables ». Résultat, les « référentiels métiers » laborieusement élaborés pour « gérer les compétences » sont plus ou moins abandonnés.

Petit à petit émerge l’idée éminemment démocratique que tout le monde – ou presque – a un talent. Une idée beaucoup plus présente dans les entreprises de culture anglo-saxonnes jusqu’à présent. « Dans un contexte de grande volatilité des salariés, de transformation rapide, d’exigence d’agilité, d’anticipation, d’adaptation et d’apprentissage permanent, les entreprises qui performent s’appuient sur un réservoir de talents le plus large possible », explique Hervé Borensztejn, managing partner des activités managing consulting pour le cabinet de chasse de têtes – d’origine américaine, ce n’est pas un hasard – Heidrick & Struggles. Dans ces entreprises, la gestion des talents tend à se conjuguer à tous les temps. La société de conseil BearingPoint considère que le sujet est suffisamment important pour proposer en juillet dernier une matinée ayant pour thème « Vers plus d’agilité dans la gestion des compétences avec le digital et le big data ». Au cours de cette réunion, la Société générale a effectué un retour d’expérience sur la construction d’un référentiel digital auto-alimenté et dynamique. Son intérêt : s’attacher aux modèles de gestion des talents évolutifs et modernes au détriment des approches traditionnelles. Avec l’appui de BearingPoint, la banque, préfère des référentiels de compétences flexibles et enrichis par plusieurs sources, aux référentiels de compétences prédéfinis et peu évolutifs. Elle privilégie les compétences autodéclarées par les collaborateurs, avec des feedbacks réguliers, aux identifications et évaluations annuelles établies par la hiérarchie. Ce qui permet à la direction de disposer d’une vision dynamique pour répondre à des besoins à court terme, plutôt qu’une vision statique répondant aux besoins à long terme. Pour le représentant de la DRH qui s’exprimait, l’idée est d’effectuer « un matching entre les compétences déclarées, les postes à pourvoir et les perspectives métiers ». Nous sommes bien ici dans une gestion des talents qui englobe le plus grand nombre…

Une vraie ressource

Certains vont encore plus loin. C’est le cas des sociétés de conseil en ingénierie. Ces dernières considèrent que l’ensemble des talents de leurs salariés constitue leur vraie ressource et le seul moyen de gagner de l’argent. Ainsi, Alten (3 000 recrutements prévus en 2017 en France dont 2 700 ingénieurs) propose une planification de la gestion des talents. Le groupe adapte régulièrement son plan stratégique mesurant les besoins en talents par rapport aux objectifs opérationnels à trois et cinq ans. La deuxième étape consiste à définir le profil idéal à recruter. L’opération est basée sur l’analyse des raisons pour lesquelles certains salariés réussissent au sein d’Alten. Que ce soient au niveau des performances commerciales ou de la satisfaction des clients à la fin d’une mission, ou encore du développement de certaines compétences. Type de diplôme, expérience ad hoc et compétences à détenir déterminent un profil cible. Il ne reste plus alors qu’à organiser une stratégie d’approche pour embaucher ces salariés-modèles, en utilisant les meilleurs outils – jobboards, réseaux sociaux, cooptation – pour s’attacher les meilleurs profils. Autre stratégie adoptée, le développement de la promotion interne. Pour certains métiers, elle couvre 25 à 35 % des nouveaux postes.

Enfin, quatrième volet de cette gestion des talents, la promesse d’un développement de carrière, lequel débute par un programme d’intégration systématique. Les six premiers mois du nouveau collaborateur sont jalonnés de formations mêlant cours, rencontres avec des collègues de promotion, discussions avec les dirigeants, présentation des meilleures pratiques et soutien d’un coach et des équipes RH.

Par la suite, un processus d’évaluation prend le relais, accompagné de rendez-vous réguliers avec la hiérarchie. Le but est que le salarié concerné s’exprime sur ce qu’il veut faire et ce qu’il sait faire. Un comité de carrière évalue le potentiel de chacun des 7 000 consultants, établit un bilan annuel et lui propose un chemin de carrière. Alten précise qu’un gestionnaire de carrière se consacre à 20 salariés. Pour chaque famille de métiers, le comité de carrière organise tous les semestres une réunion avec les responsables RH et les managers opérationnels pour évaluer les collaborateurs, valider les promotions demandées et recueillir les souhaits d’évolution et de mobilité. Un salarié peut donc espérer recevoir une promotion à intervalles réguliers. Pour la direction, c’est un élément différentiant permettant de valoriser les salariés.

Gestion personnalisée

Cette gestion des talents très individualisée débouche sur un plan de formation non moins personnalisé. Il permet aux salariés d’accéder à des formations collectives conçues et animées en interne. Sont ainsi dispensés 18 000 cursus par an au sein, par exemple, de deux universités d’entreprise. Il existe aussi des formations collectives sur site et des cursus digitaux recensant les bonnes pratiques du groupe. Enfin, en complément à ces formations, sont proposées des aides individualisées réalisées par un coach ou un manager sur le poste de travail. Cette forme de coaching est censée aider certains salariés-clés à développer leur leadership, leur communication et leur relationnel. « Il y a une pénurie de compétences. Nous devons développer les qualités de chacun. La gestion de la performance ne consiste plus à faire monter en grade deux locomotives. L’important est maintenant que chaque wagon soit moteur pour que la performance globale de l’entreprise soit meilleure », explique Bryan Duplus, directeur du développement RH Managers d’Alten.

Jacques Guillot, DRH du groupe Ramsay Générale de santé, tient peu ou prou le même discours depuis cinq ans. Ce groupement de 121 établissements hospitaliers salarie 23 000 personnes et fait travailler 6 000 médecins en libéral. « J’ai besoin d’attirer et de fidéliser mes salariés, explique le DRH. Notre politique est de donner des perspectives aux talents travaillant chez nous, quel que soit leur niveau. » Les aides-soignant(e)s se voient, par exemple, proposer des cursus pour décrocher le diplôme d’infirmier. Une centaine d’entre eux suivent d’ores et déjà ce cursus de trois ans. En tirant les compétences, la rémunération de son personnel et la qualité de vie au travail vers le haut, l’entreprise espère améliorer la qualité du service au client et au final, augmenter son chiffre d’affaires.

Obsolètes d’ici à deux ans

« 50 % des compétences d’aujourd’hui seront obsolètes d’ici à deux ans et 60 % des métiers qui seront exercés en 2030 n’existent pas encore. S’appuyer sur l’engagement du plus grand nombre, c’est se donner les moyens de perdurer », ajoute le startupper Morgan Baivier de Fortis, consultant en transformation digitale et dirigeant de Monmentor.fr, une plate-forme de mentoring à destination des salariés. L’idée de tous ces précurseurs est de développer une gestion des talents pour faciliter l’anticipation des besoins de l’entreprise. Disposer de talents en abondance donne un temps d’avance sur la concurrence et peut se révéler d’importance stratégique pour l’avenir de l’entreprise. La gestion des talents améliore aussi le savoir-faire global de l’entreprise. « L’idée de promouvoir le collectif est dans l’air. Il s’agit d’embaucher non pas des divas individualistes – il faut lire l’ouvrage de Robert Sutton, Objectif zéro-sale-con pour s’en convaincre –, mais des salariés talentueux pour pousser vers le haut toute l’entreprise », précise Jean-Marc Morel, associé du cabinet RSM France, spécialiste de l’audit et du conseil en ressources humaines. « L’humain devient capital dans la création de valeurs dans l’entreprise. Un bon DRH améliore l’axe stratégique majeur de la performance de son entreprise en développant et en fidélisant les talents », conclut Victor Waknine, président-fondateur du cabinet de conseil Mozart Consulting. De quoi revaloriser la fonction RH et, parallèlement, soutenir la carrière du DRH capable de proposer une organisation planifiée pour acquérir et fidéliser les nouveaux talents permettant de soutenir la vision stratégique adoptée par la direction générale.

Les outils informatisés pour gérer les talents

« Les meilleurs outils informatisés pour développer une gestion des talents consistent en des ERP – progiciel de gestion intégré en Français – comme ceux commercialisés par Oracle, Workday, Cornerstone ou Talentsoft », estime Michel Diaz, cofondateur et directeur associé de Féfaur, une entreprise de conseil en stratégie digital learning et gestion des talents. Ces ERP contiennent des modules de gestion des talents permettant d’évaluer les salariés tout au long de l’année et d’avoir une vision globale des performances des collaborateurs.

« Il existe aussi des logiciels standard proposant une extension workforce planning, poursuit le spécialiste. Parmi ces derniers, Excel est souvent considéré comme le plus pratique. » Plus original, certains cabinets de conseil et certaines entreprises développent des solutions en interne, afin de tenir compte de leurs spécificités. Mais il faut en avoir les moyens.

Auteur

  • Givenole Guiomard