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Les réseaux sociaux d’entreprise tardent à s’exprimer

Décodages | publié le : 04.09.2017 | Judith Chétrit

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Les réseaux sociaux d’entreprise tardent à s’exprimer

Crédit photo Judith Chétrit

Les réseaux sociaux envahissent le monde du travail. Mais un certain nombre d’entre eux vivotent, faute de répondre aux espoirs initiaux. Seuls ceux ayant bénéficié d’une bonne animation et de l’implication des managers ont des chances de succès.

Dire qu’on n’avait pas ça il y a deux ans ! » Cette exclamation est signée Valérie Benvenuto, directrice générale d’Open, une entreprise de services numériques présente dans 16 régions en France. Avec un grand nombre de collaborateurs qui travaillent à distance ou pour la clientèle, elle voulait « favoriser la transversalité » et « décloisonner le partage de l’information au sein de l’entreprise ». La solution mise en place s’appelle Yammer, un réseau social d’entreprises incorporé dans le package Office 365 du géant américain Microsoft. Les salariés d’Open ont été d’emblée inscrits dans quatre groupes en fonction de leur région de travail, de la business unit et deux groupes plus généraux relayant la communication interne et les événements sociaux comme des campagnes caritatives ou des marathons.

80 % des entreprises équipées.

La décision d’Open est loin d’être un cas isolé. À en croire le cabinet de conseil en transformation numérique Lecko, 80 % des entreprises françaises cotées se sont équipées d’au moins un réseau social en interne. On parle mutualisation d’expertises, groupes de projets et partage de la connaissance. Nombreuses sont ainsi les initiatives pour inciter les salariés à être toujours plus actifs en ligne. Chez Michelin, on y loue l’échange de bonnes pratiques entre les différents sites de production qui communiquaient peu entre eux auparavant. Par exemple, les questions techniques ne sont plus nécessairement agrégées par le siège et envoyées à chaque usine, raconte Paola Cinelli, responsable de BibSpace lancé en 2013. Une intelligence collective qui se passerait du système central. Ainsi, « lorsqu’on a déployé Outlook, on a mis en place une communauté d’entraide pour les gens qui auraient des questions quant à son utilisation. Le taux d’appel pour notre helpdesk a été de 8 % alors que d’habitude pour un tel déploiement, on approche les 25 % », se félicite-t-elle. Le recueil des bonnes pratiques a aussi été la stratégie adoptée par Atos. Le spécialiste du big data a multiplié la création de communautés par métier ou lieu de travail sur son réseau social BlueKiwi. De son côté, Schneider Electric a mis en place un réseau social appelé Spice en 2012. L’objectif est de connecter ses salariés présents partout dans le monde, de leur permettre d’échanger des idées et de trouver un soutien afin d’améliorer leur quotidien au bureau. Lorsque le groupe a lancé un projet d’égalité entre les femmes et hommes, les hommes étaient invités à publier des témoignages sur les meilleures initiatives prises en interne. Louis-Pierre Guillaume, qui occupe une fonction de knowledge management officer, n’en est pas complètement satisfait pour autant. Environ 10 000 personnes s’y connectent au moins une fois par semaine, « on était 20 000 salariés l’an dernier », assure-t-il. Dans un premier temps, Schneider Electric avait fait appel à une dizaine de salariés volontaires pour expérimenter ce réseau social et faire part de leurs premières impressions. L’objectif ? Les convaincre de son utilité pour qu’ils puissent ensuite prêcher la bonne parole dans l’entreprise. « Il y a un cycle de vie des réseaux sociaux dans une entreprise : au départ, c’est nouveau et cela demande un gros travail d’accompagnement du changement. On est monté jusqu’à 60 000 personnes qui s’y connectaient un an et demi après le lancement. Mais ensuite, il faut maintenir la curiosité des débuts en organisant des formations, en parler aux nouveaux managers. L’usage diminue si l’intérêt perçu n’est pas évident », analyse le spécialiste de la gestion du savoir.

Des salariés réticents.

Dans certaines entreprises, malgré les efforts d’équipes motivées, les salariés sont réticents à utiliser fréquemment les réseaux sociaux internes. Certains disent ne pas avoir de temps à y consacrer, d’autres n’y voient pas de bénéfices immédiats ou craignent un flicage de l’entreprise. « L’évolution est très hétérogène d’une entreprise à une autre. On surveille l’activité d’une trentaine de grandes entreprises. Certaines ont dépassé les 50 % de collaborateurs actifs engagés, quand d’autres démarrent avec 5 à 10 % d’activité », détaille Arnaud Rayrole, directeur général de Lecko. Le risque redouté par certains, la transformation du réseau social en une discussion de comptoir 2.0 avec de nombreux passagers clandestins, simples observateurs et non acteurs. « Ce n’est pas une communauté en ligne qui va régler un problème d’écoute pour une équipe qui travaille sur le même palier, estime Paola Cinelli. Il faut identifier des leaders dans chaque communauté, donner des exemples de réussite pour donner l’envie d’y collaborer et ne pas raconter que cela se fait en deux clics. C’est un investissement initial en temps pour en gagner par la suite. »

Certains réseaux sociaux permettent ainsi le partage de documents et les modifications collectives en temps réel lorsque des salariés travaillent sur un projet. Un gain de temps et une diminution des e-mails envoyés, notent les experts. Selon un rapport du McKinsey Global Institute, les réseaux sociaux internes pourraient avoir une valeur annuelle de plusieurs centaines de millions de dollars grâce à l’augmentation de la productivité des collaborateurs, notamment les plus qualifiés. Encore faut-il que les managers ne soient pas décontenancés par ces réseaux qui ont tendance à bousculer une hiérarchie traditionnelle en incitant des salariés de tout niveau à l’esprit critique et à la collaboration. « Il faut les rassurer avant le lancement car ils craignent que leurs salariés y passent trop de temps », confie Marie-Laure Deschamp, corporate community manager du réseau social de la Française des jeux, FDJ connect, où le temps moyen de connexion par jour est de huit minutes.

Dénicheur de talents.

Les spécialistes voient l’implication des managers comme une condition-clé de la réussite d’un réseau social d’entreprise. Qu’ils soient directement interpellés, questionnés ou à l’origine d’une discussion, ils doivent également motiver leurs troupes en ligne et s’essayer à une forme moins hiérarchisée du management. Ils y gagnent en compréhension sur le quotidien de leurs collaborateurs et en retour, obtiennent une meilleure compréhension des décisions prises par la direction chez leurs collaborateurs. Ils peuvent aussi dénicher des talents qui se font repérer par la pertinence de leurs idées et commentaires. « Si le directeur général ou un membre du comité de direction commente une publication, ce sera pris comme un encouragement de la direction. Quelque chose qui ne se serait pas passé d’aussi spontanément dans la vraie vie », affirme Sophie Palès, déléguée générale de l’Association française de la communication interne (Afci). Un réflexe pourtant difficile à acquérir. « Tout le monde n’a pas la même appétence pour les réseaux sociaux dans la vie privée ou professionnelle », avance Valérie Benvenuto. Le collaboratif s’apprend et se traduit souvent par un dispositif d’accompagnement en amont ou par l’animation d’une communauté sur le réseau social afin de fédérer l’ensemble des communautés créées. « Toutes les entreprises sont obsédées par la notion de collaboration. Il existe des outils mais rien ne marche s’il y a un souci dans la compréhension de la mission et des objectifs », soutient Julien Lesaicherre, directeur de Workplace, l’offre de Facebook pour les entreprises. « Les réseaux sociaux deviennent presque une commodité car ils ne coûtent pas cher et sont faciles à installer. Mais l’outil ne se suffit pas à lui-même. L’entreprise est différente de la vie personnelle où Facebook s’est déployé tout seul », souligne Arnaud Rayrole, qui prône l’accompagnement par l’exemple de micro-initiatives intéressantes.

Chez Orange, trois personnes et demie travaillent à temps plein sur le réseau social d’entreprise Plazza, souvent cité en exemple parmi les connaisseurs du sujet. Y sont inscrits 100 000 salariés, dont la moitié y écrit une publication, laisse un commentaire ou « like » un post tous les mois. Les communautés les plus actives – il y en a 20 000 – travaillent dans la vente, les fonctions supports ou la recherche et développement. « On est dans un secteur d’activité où la vitesse de diffusion de l’information est vitale », témoigne Sylvain Hudelot, global community manager.

Pour autant, Orange a un autre réseau social, « complémentaire » d’après la direction, mais complètement officieux. Le groupe « TuSaisQueTuBossesChezOrangeQuand » rassemble plus de 8 000 salariés sur Facebook depuis trois ans, alternant entre messages professionnels et messages personnels reliés plus ou moins directement à la vie salariée. « Avant, on n’avait pas idée de tous les métiers présents et on se perdait vite de vue quand des gens quittaient l’entreprise », raconte Christophe Ndi, technicien de maintenance informatique à l’origine de la page. « De fil en aiguille, ce compte Facebook est devenu un canal de communication où même des managers et des chefs de produit d’Orange s’expriment. » Il faut disposer d’une adresse professionnelle pour pouvoir intégrer ce groupe secret et fermé. Le modérateur vérifie l’adresse grâce à l’annuaire interne. Ce métagroupe est particulièrement utilisé par les conseillers commerçants et les personnels techniques. Il se veut différent du réseau officiel, dans le ton employé et les sujets discutés. Ces utilisateurs redoutent-ils la censure de l’entreprise ? « Ici, on ne parle pas syndicats et politique et on ne poste pas de petites annonces. Mais c’est un bon outil pour prendre la température sociale. On a quand même vécu des heures noires », précise le technicien de maintenance. Aujourd’hui, Christophe Ndi expérimente d’autres outils pour faciliter et accroître les échanges entre salariés. Il lui arrive même de former d’autres équipes au community management.

Remonter les erreurs.

Une volonté d’innover que Franck La Pinta, responsable des formations transversales à la Société générale, juge indispensable. En 2008, il a été à l’initiative du premier réseau social interne du groupe, dédié à la filière RH. « J’avais une obsession : de l’expérimentation, toujours de l’expérimentation. Ce pionnier du réseau social regrette le manque de communication des entreprises sur leurs échecs en matière de réseau. Cela ne contribue pas à enrichir la courbe d’expérience commune des entreprises françaises. » Sur ce sujet comme sur d’autres, la communication des entreprises est résolument positive et oublie les erreurs du passé. Elle pencherait même vers le plaidoyer sans nuance.

Facebook à l’assaut des entreprises françaises

D’abord expérimenté dans des entreprises-pilotes comme la SNCF, Renault Retails, Century 21 ou encore Club Med, Workplace est la dernière tentative de Facebook pour faire pleinement partie de la vie de bureau. Premier avantage : une interface connue de 33 millions de Français déjà inscrits sur Facebook. De quoi vaincre les réticences envers les nouvelles technologies. Mais le géant américain ne communique pas sur le nombre d’employés français qui utilisent Workplace. Sur cette application récente, les salariés ne sont pas sur leurs comptes privés, mais sur un compte professionnel différencié. On y retrouve peu ou prou la même interface avec un algorithme mettant en avant certains messages s’ils émanent de top managers et des fonctionnalités comme la diffusion de vidéos en direct. Au Club Med, par exemple, l’idée était de relier plus aisément les employés qui n’avaient pas accès au quotidien à un PC, comme les GO dans les différents sites du groupe. « Lorsqu’on veut montrer le chantier d’un nouveau village ou pour les vœux de début d’année du président, on utilise la vidéo en direct », témoigne Marina Bianconi, directrice marque employeur et développeur RH. La communication interne a été réduite à quelques mails par semaine pour promouvoir les meilleures publications parmi les quelque 500 messages hebdomadaires postés en ligne. « Mais nous ne sommes pas un réseau social d’entreprise (RSE). Plein d’outils pour communiquer existent déjà, s’exclame Julien Lesaicherre, directeur de Workplace pour la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique. Le marché du RSE est un cimetière. Les réseaux utilisés dans les entreprises n’intègrent pas suffisamment la dimension productivité ou résolution de problème. » Un argument pour se différencier des autres poids lourds du secteur comme Jive, Microsoft ou Salesforce.

Auteur

  • Judith Chétrit