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Dans l’automobile, le CDI intérimaire creuse son trou

Décodages | publié le : 04.09.2017 | Stéphanie Maurice

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Dans l’automobile, le CDI intérimaire creuse son trou

Crédit photo Stéphanie Maurice

Porté par les entreprises de travail temporaire, le contrat à durée indéterminée intérimaire monte doucement en puissance chez les grands constructeurs français, mais il reste marginal face à l’emploi massif de l’intérim classique.

À l’usine PSA de Sochaux, les chaînes tournent à plein régime grâce au succès de la Peugeot 3008, primée Voiture de l’année. Étape par étape, d’abord avec la mise en forme de la carrosserie à l’emboutissage, puis la création de la structure au ferrage, enfin l’installation du moteur, des roues, et de l’habillage intérieur au montage, les opérateurs spécialisés construisent le SUV à la ligne fluide. Trois équipes, matin, après-midi et nuit, se succèdent, et ne suffisent plus à la demande. La direction vient d’annoncer le recrutement prochain de 1 000 intérimaires pour la constitution d’une équipe de week-end, sur un site qui compte 5 063 CDI, 1 469 intérimaires et… 92 CDI intérimaires. Ces salariés d’un nouveau genre portent le bleu PSA, mais ne font pas partie de l’effectif. Ils sont salariés de Manpower, entreprise de travail temporaire. Elle est tenue de les rémunérer entre les missions, qu’ils soient chez eux ou en formation. La sécurité de l’emploi combinée à la variété des missions, se félicite François Roux, délégué général de Prism’Emploi, organisation des professionnels de l’intérim. Ce nouveau contrat, dont la possibilité a été ouverte par un accord en mars 2014, et inscrite dans la loi Rebsamen en 2015, est en phase d’expérimentation jusqu’en 2018. L’objectif des 20 000 CDI intérimaires signés pour la fin de l’année a été dépassé début juillet. C’était l’engagement de la profession, contre une exonération de la majoration de la part patronale pour l’assurance chômage sur les contrats à courte durée. La niche du CDI intérimaire est encore restreinte, mais trouve sa place au fil du temps.

PSA a été le premier constructeur automobile à tester ce mode de recrutement. Son partenariat avec Manpower, signé en 2015, a pour objectif l’emploi de 300 CDI intérimaires sur deux ans. Cet objectif a d’ores et déjà été tenu et PSA vient de signer des engagements identiques avec d’autres agences de travail temporaire, dont Adecco. Renault lui a emboîté le pas, en annonçant en janvier sa volonté de faire embaucher 5 % de ses intérimaires avec ce type de contrat. Soit 3 000 personnes à l’horizon 2020. L’usine Sovab de Batilly, dédiée aux utilitaires, sert de site-test. Les deux groupes valorisent ce choix dans leur communication, comme une pratique créée « pour sécuriser les parcours professionnels », précise PSA dans son rapport 2016 sur la RSE. L’arbre du CDI intérimaire cache cependant la forêt du recours à l’emploi précaire. L’automobile n’a jamais employé autant d’intérimaires qu’aujourd’hui. Chez PSA, ils étaient 2 916 en 2014, ils sont au nombre de 5 166 en 2016. « À Sochaux, l’un des ateliers de fabrication compte plus d’intérimaires que de salariés permanents », s’exclame Franck Plain, délégué CGT de l’usine. « Ils répondent à un besoin structurel de main-d’œuvre. Ce qui n’est normalement pas le rôle de l’intérim, qui doit permettre de faire face à un pic ponctuel d’activité », souligne-t-il. Pour le syndicaliste, le CDI intérimaire est une manière d’organiser la précarité. François Roux se récrie : « C’est un vrai CDI, avec toutes les caractéristiques du statut. »

Fidéliser la main-d’œuvre.

Le CDI intérimaire fidélise la main-d’oeuvre en la stabilisant sur un bassin d’emploi où elle passe d’entreprise en entreprise. Il autorise des missions de trente-six mois sur le même site, soit le double d’un contrat d’intérim classique, et il comporte une clause de mobilité de 50 kilomètres. « C’est un avantage pour les industriels, ils n’ont plus à former des salariés tous les dix-huit mois. Les intérimaires sont à disposition, et ils peuvent se les balancer comme une balle de ping-pong », souligne Franck Plain. Ce sentiment est partagé par Christian Lafaye, délégué central FO, le premier syndicat réformiste du pôle industriel Nord du groupe PSA majoritaire (sites de Douvrin, Valenciennes et Hordain). « Je suis contre le CDI intérimaire, assène ce dernier. On démoralise les gens à les envoyer à 40 kilomètres de là tous les trois ans, pour une autre mission. Par contre, si le CDI intérimaire servait à tester le salarié et à le faire patienter en attendant de monter dans le train des embauches, je serais d’accord. » Le responsable syndical compte regarder de près le devenir des salariés en CDI intérimaire : « Je serais curieux de savoir où ils seront dans cinq ans. » Ludovic Bouvier, président de l’Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie CGT Hauts-de-France, et ancien de Sevelnord, abonde. « Les CDI intérimaires ne sont pas regardés comme de vrais employés de PSA. Ils sont mal considérés. On leur donne les tâches les plus compliquées, alors qu’ils restent précaires et deviennent des travailleurs nomades. »

Le Nord, département phare de l’industrie automobile, voit le nombre de CDI intérimaires se multiplier. À lui seul, ce bout de France septentrional concentre sept sites constructeurs et 3 000 équipementiers, qui emploient un volume global de 50 000 personnes. « Il est souvent plus facile d’assurer un emploi en CDI sur un bassin d’emploi comme celui-là, que sur une seule usine », note Luc Samsoen, directeur des ressources humaines du pôle industriel Nord chez PSA. L’entité comprend trois sites, l’usine de Valenciennes, la Française de mécanique à Douvrin et Sevelnord à Hordain. Les industriels du secteur gardent en mémoire le souvenir cuisant de la crise de 2008 et la brutale contraction du marché. Ils restent prudents sur l’augmentation du nombre de leurs permanents. Le site de Sevelnord a ainsi signé en 2013 un accord de compétitivité pour traverser un trou d’air dans le carnet de commandes, en attendant de se voir confier le nouvel utilitaire de PSA. Aujourd’hui, l’usine a renoué avec la productivité et compte recruter 70 CDI intérimaires courant 2017. Pour moitié, ce seront des jeunes déjà embauchés en contrat de professionnalisation ou en apprentissage, que la direction veut garder.

« Nous avons parfois besoin de ces compétences sur une durée plus longue, sans pour autant pouvoir nous engager sur un CDI, souligne Luc Samsoen. Le CDI intérimaire nous permet de garder une flexibilité tout en offrant une sécurisation plus forte aux salariés, une forme de parachute. Car les ajustements sociaux brutaux, selon les variations du marché, ne sont jamais satisfaisants d’un point de vue social. » Jean-François Denoy, directeur général de Manpower France, confirme : « Les employeurs font appel à une flexibilité, mais à une flexibilité responsable. » Les entreprises de travail temporaire y trouvent aussi leur compte. Elles se constituent un vivier précieux et élargissent leurs offres de service. Le CDI intérimaire leur facilite aussi la vie. « Les missions courtes qui s’empilent nécessitent plus d’interventions de gestion », remarque François Roux. Le profil type du CDI intérimaire est un homme jeune, assez peu qualifié, qui recherche la sécurité de ce contrat pour pouvoir se projeter dans l’avenir, quitter le domicile parental, se marier, investir dans un projet immobilier. Il profite également de ce contrat pour se former, et monter en compétences entre deux missions. Luc Samsoen confirme cibler « des compétences transférables dans d’autres domaines de l’industrie », par exemple les postes de cariste, qui peuvent retrouver des missions en logistique, ou d’opérateur de fabrication, dont le savoir-faire est utile à l’agroalimentaire. Mais à côté de ces profils peu spécialisés, le CDI intérimaire s’adresse aussi à des métiers très spécifiques de l’automobile. Les retoucheurs par exemple, qui sont capables de redresser une tôle avec une petite bosse sans érafler la peinture, ou alors de rectifier une anomalie dans la mécanique, qui menace la conformité du véhicule. Luc Samsoen parle d’eux avec respect. « On a besoin de renforts en nombre dans la phase de mise au point d’un véhicule et dans sa période de lancement. » Mais ils deviennent moins nécessaires quand la chaîne et le modèle sont rodés. Les retoucheurs sont indispensables, mais par intermittence. Les constructeurs automobiles ont tout intérêt à mutualiser leurs besoins, pour préserver ces compétences. Le CDI intérimaire formalise ce partenariat RH sur un même bassin d’emploi.

5 000 contrats chez Manpower.

Le statut ne satisfait cependant pas tous les acteurs, même si Prism’Emploi le vend comme gagnant-gagnant. Certains intérimaires regimbent face à ce contrat moins bien payé, qu’ils trouvent contraignant. Certes, « la rémunération reste la même que celle du salarié que l’intérimaire remplace », précise François Roux, mais la prime de précarité disparaît. Et le salarié n’est plus libre de son temps entre les missions, comme c’est le cas normalement en intérim. Il est sous contrat avec son entreprise de travail temporaire et ne peut pas refuser les offres qu’elle lui présente. Ce sont les deux freins identifiés par Prism’Emploi et confirmés par les sources syndicales. « Nous avons une catégorie d’intérimaires professionnels, très experts, qui se voient un peu comme des micro-entrepreneurs. Le CDI intérimaire ne répond pas toujours à leurs besoins », admet Jean-François Denoy, DG de Manpower France. Même s’il croit en ce nouveau contrat, sur lequel mise Manpower, qui a déjà signé 5 000 CDI intérimaires, il le voit comme « un outil complémentaire dans certains bassins d’emploi, où il y a des possibilités de mobilité ». Il ne peut donc pas être mis en oeuvre partout. Même sentiment chez Renault où l’on explique que le CDI intérimaire a son intérêt sur des postes ciblés, mais qu’il n’a pas vocation à être utilisé de façon massive. Aux Pays-Bas, d’où vient l’idée, il ne représente que 4 % des effectifs d’intérimaires.

Les groupements d’employeurs, autre partage de salariés

François Roux, délégué général de Prism’Emploi, n’a pas de mots assez durs envers les groupements d’employeurs, qu’il accuse de dérive et de concurrence déloyale. Ces associations embauchent en CDI des salariés qui partagent leur temps entre plusieurs structures, sans les contraintes du CDI intérimaire, qui limite à deux fois le renouvellement d’un contrat. La différence n’est pas très claire pour les recruteurs entre les deux acteurs. Le directeur RH du pôle industriel Nord de PSA reconnaît faire appel aussi bien aux entreprises de travail temporaire qu’à Alliance Emploi, le groupement d’employeurs issu du Medef local, quand il veut pérenniser des compétences sans pouvoir embaucher en contrat à durée indéterminée. Mais François Roux oublie un détail, que souligne, malicieux, Jean-Louis Delagarde, président de l’Ugef (Union des groupements d’employeurs de France) : « Cela fait vingt-cinq ans que nos entreprises se partagent des salariés en CDI. Les entreprises de l’intérim ont trouvé que nous avions une formule intéressante et se sont battues pour avoir l’équivalent. » Pour lui, les deux univers cohabitent, et ne se ressemblent pas. Les groupements d’employeurs sont sans but lucratif, au contraire des entreprises de travail temporaire, et rassemblent surtout des TPE ou des PME. Sur les 5 000 qui existent en France, 4 000 sont dans le domaine agricole. Elles représentent entre 20 000 et 30 000 emplois, selon le ministère du Travail.

Auteur

  • Stéphanie Maurice