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Une source d’inspiration pour les grandes boîtes

À la une | publié le : 04.09.2017 | Lucie Tanneau

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Une source d’inspiration pour les grandes boîtes

Crédit photo Lucie Tanneau

Management de proximité, entreprise libérée, espace de créativité… Ces idées inspirées des jeunes pousses font école chez les mastodontes. L’optique : gagner en agilité et coller aux attentes du client.

Les baby-foot et les salles de sieste fleurissent aussi dans les grandes entreprises. Au-delà de ces symboles d’un état d’esprit « cool », les entreprises s’inspirent des jeunes pousses pour faire bouger leur management et leurs équipes. Et innover plus vite dans un contexte d’accélération du business. Un outil pour survivre et attirer les jeunes talents.

Facile dans les start-up de dix personnes, beaucoup plus difficile dans les grands groupes, mais la proximité des petites équipes est l’un des modes de management dont tentent de s’inspirer les entreprises classiques. Réinventées, les boîtes à idées se sont aujourd’hui numérisées. Surtout, les entreprises ont développé des réseaux sociaux internes pour libérer la parole. « Dans les start-up, l’organisation est plus courte, et le CIO est en lien direct avec ses collaborateurs. Nos jeunes managers ont voulu trouver des astuces pour revenir à plus de proximité », confirme Élisabeth Valenza, responsable du développement RH et des relations écoles de Carrefour France. Pour les aider à innover dans ces pratiques, l’entreprise a mis en place des sessions de formation originales. L’an dernier, 12 jeunes collaborateurs, amenés à devenir managers, ont rejoint des start-up pendant trois mois. Cette année, 22 connaîtront cette immersion. « On s’est dit que les jeunes devaient voir autre chose ! », résume la responsable. Ils y ont relevé des idées qu’ils appliqueront demain sur le terrain. « Pour renforcer la proximité, ils ont imaginé des “petits déjeuners en terre inconnue”, où un membre du Comex vient rencontrer des collaborateurs une fois par mois, et des “points du matin”, inspirés des start-up meetings, pour échanger sur les projets en cours. Par exemple, nos managers donnent à leurs équipes le chiffre d’affaires de la veille, les promotions du jour… » Des rendez-vous pour créer des interactions régulières et encourager la discussion, sur la stratégie de l’entreprise notamment. « Grâce à cette immersion, ils ont compris l’importance du management de proximité. L’entreprise est historiquement hiérarchisée, mais eux n’hésiteront plus à aller voir directement un collaborateur qui est en relation avec le client », veut croire Élisabeth Valenza.

Face à la hiérarchie, parfois bloquante, certains grands groupes testent aussi de nouvelles approches. C’est le cas d’Airbus qui, sur son site de Saint-Nazaire, s’inspire des entreprises libérées pour favoriser des prises de décision plus horizontales. Le groupe AccorHotels a aussi mis en place au début de l’année 2016 un « shadow comex » : les décisions du comité exécutif sont soumises à un groupe de 12 jeunes cadres de l’entreprise, de 25 à 35 ans, issus du marketing, de la distribution, de la restauration, et du management. « Les start-up ont une culture du partage informel d’informations, que l’on retrouve dans les petites structures comme les TPE. Ce partage est plus difficile dans les grands groupes qui ont beaucoup de salariés, de nombreux échelons hiérarchiques et de multiples segments métiers », prévient Johan Claire, chercheur de l’équipe de recherche sur les processus innovateurs de l’université de Lorraine, qui propose un service d’auto-évaluation en ligne de la capacité à innover des entreprises. « Pour gagner en agilité, et permettre à ceux qui le souhaitent de développer leur projet, les grandes entreprises tentent de créer des bulles, comme Le Garage Renault, qui sont des espaces où la hiérarchie s’efface, où les collaborateurs deviennent des “intrapreneurs” », constate le chercheur.

Insuffler un esprit d’innovation

Car ce qui distingue une start-up, c’est aussi sa capacité d’action rapide et efficace. Une forme d’agilité pour passer rapidement de l’idée à sa réalisation. « À partir du moment où une entreprise grandit, elle est obligée de mettre en place des process, ce qui conduit à une perte d’agilité, d’où l’idée de piocher dans la méthodologie des start-up », justifie Alice de Casanove, « Innovation culture leader » chez Airbus. Le constructeur aéronautique a ainsi mis en place un « protospace » sur son site toulousain, afin d’éviter le perfectionnisme paralysant des grandes boîtes, qui veut que seuls les projets aboutis soient testés. « Avant, faire des prototypes était mal vu, car un ingénieur ne fait pas d’essai, il est censé savoir ! Maintenant, ils sont exposés dans la vitrine du protospace », se réjouit Alice de Casanove, elle-même ancienne start-uppeuse. « Quand je suis arrivée chez Airbus, on m’a dit de ne pas trop insister là-dessus, car ça voudrait dire que je ne savais pas travailler en équipe, aujourd’hui on me demande comment ça se passait. » Airbus a en effet profité d’une importante réorganisation, en 2014 pour répandre ce nouvel état d’esprit à tous les étages. « On a mis en place des formations pour apprendre à pitcher, comme le font les start-up, on organise des workshops pour créer l’émulation », cite en exemple la responsable de la culture d’innovation.

Aller plus vite et plus loin

Pour aller plus vite, Total a également créé en février dernier un « Booster », soit un espace de 700 m2, divisé en trois espaces, entièrement repensé pour insuffler cet esprit d’innovation à ses équipes. « C’est un accélérateur de projets et de business ouvert à tous, détaille Michael Offredi, en charge de l’innovation et du digital dans le groupe pétrolier français. Nous avons pris conscience de l’accélération dans l’évolution de nos métiers industriels, des relations clients, du business et cet espace incarne ces nouvelles façons de travailler. » « L’Agora » veut développer l’intelligence collective en permettant le travail collaboratif dans un espace de 200 m2 modulable. « L’Incubateur » permet aux collaborateurs internes de côtoyer des start-uppers dans un espace de coworking. Et « le Garage » offre un lieu d’expérimentation et de prototypage (fab lab) aux collaborateurs qui voudraient tester la valeur d’usage d’une idée. « Les méthodes de travail mises en œuvre dans les start-up leur permettent d’avoir des cycles de développement accéléré, l’idée est de s’en inspirer avec une équipe de quatre personnes et des coachs résidents du Booster dont le rôle est d’embarquer les équipes qui ont un projet dans cet état d’esprit plus collaboratif et plus agile, décrit Michael Offredi. Il faut que l’on puisse mettre nos collaborateurs internes en friction positive avec ces start-uppers. »

Aller plus vite, mais surtout plus loin, c’est le but de ces nouvelles méthodes qui cherchent à développer la créativité et l’esprit d’innovation de tous les collaborateurs. « Au sein d’Airbus, nous travaillons avec les experts pour qu’ils soient force de propositions dans les projets d’innovation », illustre Alice de Casanove. Pour ça, les ingénieurs sont « formés à la posture start-up », par la société Miss Mandarine, notamment. Pour développer la créativité. Nombreuses sont les grandes entreprises à investir dans des salles colorées, modulables, avec baby-foot, canapés et aménagement plus informel, comme Renault avec son « Garage » ou Generali, qui a créé des « cellules créatives ». « Elles permettent à tout collaborateur de travailler sur une idée d’offre, d’outil, de fonctionnement… Il propose cette idée, et les collègues intéressés peuvent le rejoindre pour constituer un groupe de travail pluridisciplinaire qui étudie l’idée pendant trois mois, à raison d’une demi-journée par semaine, et fait éventuellement des propositions. Si elles sont acceptées, un projet est lancé pour les concrétiser, présente Véronique Destruel, directrice de l’organisation sur le site de Generali France. Pour être plus réactifs, nous devons donner plus d’autonomie au collaborateur. » L’autonomie, un des maîtres mots de ces nouvelles organisations, que l’on retrouve aussi à travers les nouveaux rythmes de travail, le télétravail notamment.

Car plus que la proximité, la réactivité ou la créativité, c’est tout un nouvel état d’esprit que veulent insuffler les grands groupes à leurs collaborateurs. « Nombreux sont ceux qui comme Total ou EDF développent des incubateurs pour accueillir des start-up en interne, confirme Johan Claire. On les a parfois soupçonnés de vouloir “piquer leurs idées”, mais c’est surtout l’état d’esprit des start-up qui est une source d’inspiration. Leur présence favorise l’évolution de la culture d’entreprise du groupe. Les collaborateurs découvrent de nouvelles façons de travailler », assure le chercheur.

Embarquer tout le monde

Ce que confirme Michael Offredi pour Total : « Le fait de créer le Booster à la Défense et pas dans un autre lieu, comme le centre de Paris pour lequel on a hésité, marque les esprits. Cela montre aux équipes que le changement se fait chez nous et pas à 5 kilomètres, l’idée étant vraiment d’embarquer tout le monde. » Total réfléchit même à dupliquer ce Booster dans d’autres implantations du groupe, notamment à l’étranger. « Le but d’un incubateur, avec ses start-up, ses tables de ping-pong et ses hamacs n’est pas de faire un zoo, confirme aussi Alice de Casanove, l’idée est de casser les codes de l’entreprise, pour montrer qu’on peut travailler autrement. Souvent, dans les grands groupes, beaucoup de salariés n’ont rien connu d’autres comme process ou culture d’entreprise, donc c’est très dur de remettre en cause cette culture de travail. Avec le BizLab (incubateur d’Airbus), on apporte un nouveau rôle modèle et une dynamique différente », défend-elle. Tous sont conscients que l’état d’esprit ne changera pas du jour au lendemain, mais défendent l’ouverture vers l’extérieur. « Cela fait plusieurs années que l’on formait nos managers à l’innovation, mais le voir sur le terrain change tout. C’est par eux que passera le changement », argumente Élisabeth Valenza de Carrefour. Avec une limite : « S’engager dans une start-up est souvent un choix passionnel où l’on mêle vie personnelle et professionnelle. Dans les grands groupes, les deux univers sont souvent plus séparés, il ne peut pas y avoir la même culture, on ne s’implique pas de la même façon dans un job passion et dans un job alimentaire », met en garde Johan Claire.

Auteur

  • Lucie Tanneau