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L’autre visage des jeunes pousses

À la une | publié le : 04.09.2017 | Valérie Auribault

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L’autre visage des jeunes pousses

Crédit photo Valérie Auribault

« Trop cool » le travail dans une start-up ? Pas si sûr. Code du travail non respecté, horaires extensibles, absence de perspectives… L’univers de rêve révèle son côté obscur, non loin de l’enfer.

En juin dernier, Meilleures-entreprises.com présentait la troisième édition des trophées HappyAtWork. La catégorie start-up révélait que 84,4 % des salariés se sentent reconnus et encouragés au sein de leur entreprise, 71,4 % (52 % en 2016) d’entre eux ont confiance en leur direction. Les moins de 25 ans seraient les plus motivés et les plus heureux ainsi que les 40-50 ans qui peuvent transmettre leur expérience. « Dans une start-up, chacun doit apporter sa pierre à l’édifice, souligne Élodie Roueil, directrice RH de BPI France. C’est ce qui motive les salariés, qui ne ressentent pas la précarité mais constatent une évolution différente de l’entreprise et une vraie aventure. » « Il y a des succès connus. Ça fait rêver. On commence dans un groupe et un jour, c’est le jackpot », constate Christophe Gotteland, conseiller en développement durable et responsabilité sociétale.

Le start-up blues

Première expérience professionnelle, autonomie, jeunesse et ambiance sympa. L’image est alléchante. Mais l’univers des start-up ne serait qu’un miroir aux alouettes. Bon nombre de jeunes salariés dénoncent une autre réalité. « Lors de mon recrutement, on m’a dit que l’important, c’était les objectifs atteints, pas le temps de travail », raconte Justine*. « Quand j’ai demandé une augmentation justifiée par mon implication, on m’a répondu que l’investissement ne comptait pas », témoigne Romain*. « Le dynamisme du secteur m’attirait. Mais, j’en ai vite eu assez : réunions improvisées, apéros avec les collègues, disponibilité permanente… », explique Solène*. La belle image est bien écornée. « Il y a, d’un côté, l’image médiatique : forte croissance, dynamisme. Et de l’autre, la réalité : pas de carrière, pas de salaire, pas de perspectives et peu de reconnaissance, note Régis Moreau, sociologue et auteur de Start-up, du mythe médiatique aux réalités sociologiques. Les créateurs de ces entreprises eux-mêmes n’ont pas de vacances ni de salaire durant des années. Ils travaillent beaucoup et demandent la même chose aux salariés. » Sauf que les retombées en cas de succès ne sont pas identiques. Idem en cas d’échec. « Le salarié s’engage, se surengage jusqu’à bassiner son conjoint. Et puis un jour, ça capote. C’est le start-up blues. Car vous vous êtes tellement investi que vous finissez par partager l’échec de votre boss. J’ai travaillé dans une start-up qui s’est écrasée. Tout le monde a trinqué », raconte François Geuze, auditeur social et enseignant. Une idée, un projet et c’est une start-up qui démarre. Pour un résultat hypothétique. Selon 1001startups.com, 90 % des start-up échouent. Dans 42 % des cas parce que le projet ne correspond pas aux attentes du marché. « Les start-up vendent du rêve, poursuit Juan Hernandez, cofondateur de DayOnePartners. Mais il y a la réalité du terrain qui peut créer du stress. Quid du financement ? De l’emploi des salariés ? Le mauvais manager va rejeter son stress sur les équipes. Le bon manager saura le gérer. » Autre inconnue : le droit du travail. « Ce n’est pas la préoccupation première ni des employeurs ni des salariés. Les entrepreneurs jouent leur survie et le droit du travail est accessoire. Ils se soucient davantage de savoir comment ils vont vivre la semaine suivante. Les salariés, eux, veulent être autonomes. Alors, le Code du travail n’est pas un sujet… tant que tout se passe bien. Car en cas de conflit avec un salarié, cette insuffisance de suivi des règles peut coûter cher à la start-up. Cela vient aussi diminuer son prix lors de sa cession. Le droit du travail doit donc être pris en compte dès le départ, pour être vécu comme un outil et non une contrainte », insiste Aurélien Louvet, avocat associé au cabinet Capstan. « Ça fait partie du côté obscur, poursuit François Geuze. Pas de culture managériale, des comportements excessifs, une « novlangue » pour se créer des codes. Il y a une surcommunication sur le côté cool. Pour attirer les meilleurs, on met un baby-foot dans le hall. Mais quid des horaires ? » Lors de l’entretien d’embauche, la question la plus répandue porte sur la durée du travail et sur le salaire. Mais si la première semble obsolète dans le milieu des start-up, le salaire serait plus correct en France que dans bien d’autres pays. De 2 000 à 2 500 euros par mois pour des postes d’informaticien ou de commercial. Sauf qu’à compétences et expériences égales, les employeurs préfèrent faire appel à des stagiaires dans bien des cas. Le management horizontal aide à faire passer la pilule. Tout le monde fait partie de la même « famille ». Ce qui aide à souder les troupes. « Dans ce type de structure, le chantage affectif est permanent. Au XIXe siècle, le paternalisme était de mise dans les entreprises. Aujourd’hui, les start-up s’adaptent. On gomme cet aspect pour être plus fun », rappelle Stéphane Le Lay, sociologue. « Faute de pouvoir promettre mieux, on mise sur l’aspect affectif, l’ambiance. Et on peut ainsi en demander beaucoup aux salariés. Mais l’entreprise, ce n’est pas la famille », poursuit Régis Moreau.

Pour pallier la faiblesse du salaire, certaines start-up offrent des stock-options aux salariés, qui certes, ne valent rien tant que l’entreprise n’engrange pas de bénéfices. Mais, un jour, le succès viendra, c’est sûr, et tout le monde sera riche. Un espoir vain car souvent l’aventure tourne court. « Une partie des start-uppers n’envisage pas de rester propriétaire de l’entreprise à long terme. Ils veulent donc développer très vite pour revendre vite. Avant qu’une autre entreprise ne les concurrence », précise Régis Moreau. Difficile dans ces conditions de se projeter quand on est salarié. À moins de voir cette aventure comme une première expérience professionnelle.

* Les prénoms ont été changés.

Auteur

  • Valérie Auribault