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Le management subsidiaire, clé de la santé au travail

Idées | Management | publié le : 05.06.2017 | Violette Queuniet

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Le management subsidiaire, clé de la santé au travail

Crédit photo Violette Queuniet

Appliquant le principe de subsidiarité au management, Jean-Luc Merceron a mené une recherche-intervention en entreprise pour tester son hypothèse : placer la décision au plus près de l’action concilie santé au travail et performance organisationnelle.

Laisser à chaque échelon d’une organisation toute l’autonomie dont il est capable : c’est le principe de la subsidiarité. Jean-Luc Merceron a exhumé cette vieille notion de philosophie politique pour l’exporter dans le domaine du management dans une thèse en sciences de gestion1 soutenue en octobre 2016 à l’université de Nantes, sous la direction du Pr Mathieu Detchessahar. Elle a été récompensée le 20 avril 2017 par le prix baromètre Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises).

Pourquoi s’intéresser à la subsidiarité ? « Parce qu’elle envisage l’organisation par le bas en ayant le souci majeur de préserver l’agir créatif des individus », constate Jean-Luc Merceron. Tout le contraire de l’organisation managériale classique, d’inspiration taylorienne, où l’autorité est centralisée et descendante, la confiance limitée et, donc, les dispositifs de contrôle nombreux. Or, « celle-ci montre aujourd’hui ses limites tant au niveau de la performance organisationnelle qu’au niveau de la santé au travail », indique l’auteur, citant abondamment des ergonomes, psychologues du travail, sociologues qui ont démontré le lien entre les « maux subjectifs du travail » (stress, épuisement professionnel, suicide…) et la diminution du « pouvoir d’agir » des individus au travail.

D’Aristote au traité de Maastricht

Le terme de subsidiarité est apparu au XIXe siècle mais ses origines remontent à l’Antiquité. Jean-Luc Merceron fait une revue des grands auteurs qui ont pensé ce concept : Aristote, Thomas d’Aquin, Althusius (philosophe allemand mort en 1638 considéré comme le père du fédéralisme), Tocqueville, pour finir avec la doctrine sociale de l’Église. Par-delà leurs différences, ils ont en commun de défendre une vision de la société où chaque homme a un rôle spécifique à jouer, où les différentes communautés doivent disposer d’une autonomie d’action, où il importe de limiter l’ingérence de l’État et – à l’époque moderne – ses tendances centralisatrices.

La notion a évolué au fil des siècles. Aujourd’hui, deux conceptions de la subsidiarité coexistent : le « paradigme naturaliste », issu de la doctrine sociale de l’Église ; le « paradigme rationaliste », à l’œuvre dans le fonctionnement de l’Union européenne selon le traité de Maastricht. Le paradigme rationaliste « favorise le débat, la négociation mais pose des problèmes d’arbitrage par manque de réflexion philosophique commune concernant ce que serait le bien commun, ce qu’est la solidarité et ce qu’est le respect de la dignité de la personne humaine », écrit l’auteur, tandis que le « paradigme naturaliste » de la subsidiarité intègre au contraire ces dimensions.

Théorie du management subsidiaire

C’est cette vision « naturaliste » de la subsidiarité que Jean-Luc Merceron convoque pour penser un management subsidiaire, « un nouveau paradigme en gestion, basé sur une anthropologie qui envisage la personne humaine au travail dans toutes ses dimensions (le travail n’est pas seulement objectif, il est aussi subjectif et collectif) » et fondé sur une approche émancipatrice du travail.

Son hypothèse est que le principe de subsidiarité, « en localisant la source du pouvoir au plus proche de ses effets pratiques, permet de repenser l’autorité managériale jusque dans ses fondations fayoliennes (de Fayol, théoricien du management) et tayloriennes ». L’auteur revient en effet aux sources de ce qu’est l’autorité (du latin augere, « augmenter », d’où auctoritas, « capacité d’augmenter »). L’autorité a la capacité de faire grandir quelque chose ou quelqu’un.

Rappelons-le : selon le principe de subsidiarité, l’échelon supérieur s’interdit de réaliser lui-même ce qu’un échelon inférieur pourrait faire et, à l’inverse, n’est accompli par l’échelon supérieur que ce qui ne peut l’être par l’échelon inférieur. Comment cela s’organise-t-il dans l’entreprise ? Comment décide-t-on que tel échelon a telle capacité ? « Une des conditions préalables à la mise en œuvre d’une autorité managériale subsidiaire consiste à savoir évaluer collectivement les sphères de compétence, les sphères d’efficacité et les zones d’autonomie qui en découlent pour chaque strate hiérarchique », indique Jean-Luc Merceron. Cela doit rester un processus car les compétences évoluent et changent en permanence. Pour lui, les « espaces de discussion sur le travail », théorisés par des sociologues et gestionnaires, peuvent rendre le management subsidiaire opérationnel.

Une expérimentation au crédit agricole

Jean-Luc Merceron a eu l’opportunité de tester son hypothèse2 à la caisse régionale du Crédit agricole Loire Haute-Loire (voir interview du DRH page 55). Hypothèse qu’il formule de la façon suivante : « La mise en place dans les routines managériales d’espaces de discussion sur le travail quotidien permet d’alimenter un management subsidiaire qui concilie santé au travail et performance organisationnelle. » La banque venait alors de coconstruire son projet d’entreprise 2012-2016 dans lequel on retrouvait des « ingrédients constitutifs » du principe de subsidiarité : développement de la responsabilité et de la coresponsabilité, mise en place d’un « manager autrement », « travailler autrement ». Le chercheur a d’abord effectué un diagnostic à travers trois études conduites auprès de tous les niveaux hiérarchiques. Résultat : le management était directif, les décisions centralisées et descendantes et le travail excessivement réglé par des procédures parfois déconnectées de la réalité du terrain. D’où une tension entre le projet d’entreprise, qui veut favoriser la prise d’initiative et un management d’accompagnement, et la réalité éprouvée tant par les managers que les salariés. Ceux-ci sont très impliqués dans leur travail, importante source de motivation. « À l’inverse, tout ce qui vient dégrader la perception de ce qu’est pour eux le travail bien fait est une source de démotivation tout aussi importante. »

Un dispositif probant

Une expérimentation « d’espaces de discussion sur le travail (EDT) » est alors lancée dans deux agences bancaires. L’objectif est « d’organiser et d’instituer » ce que le psychologue du travail Yves Clot appelle « le conflit de critères ». Chacun dans l’entreprise a sa vision du travail bien fait. Il s’agit, avec les EDT, d’en débattre, de parler de ce qui favorise ou empêche le travail bien fait pour « ajuster de façon dynamique la construction d’un travail bien fait localement d’une part, et d’autre part, d’ajuster à un niveau supérieur la distribution des compétences et zones d’autonomie au sein de l’organisation ». Le chercheur a lui-même conçu l’ingénierie de ces espaces de discussion. Ils sont animés par un manager, « afin de les relier à la décision politique de l’organisation ».

Contribuent-ils à « alimenter un management subsidiaire qui concilie santé au travail et performance organisationnelle » ? Un exemple concret de solution apportée par les EDT l’illustre. Suite à leur demande, les conseillers clientèle ont demandé et obtenu de fournir à leurs clients un taux de crédit immobilier après étude de leur dossier. Cette fonction était auparavant dévolue à un service du siège, générant frustration chez les conseillers et risque que le client aille voir la concurrence, à cause du délai d’attente de la réponse. Le gain est donc double : performance pour l’entreprise, amélioration de la santé au travail « en ce sens qu’elle contribue à augmenter la capacité de la personne au travail à affecter son milieu par son initiative » (définition de la santé par le philosophe Georges Canguilhem).

Sur ce terrain d’expérimentation, le management subsidiaire remplit donc son objectif et les EDT ont été généralisés. « Les premières évaluations montrent que le dispositif fonctionne au sens où il produit bien des pistes de transformation et alimente effectivement un fonctionnement plus subsidiaire de l’entreprise », note l’auteur. Des résultats qu’il faudrait confronter avec d’autres recherches-interventions dans d’autres secteurs d’activité, estime lui-même Jean-Luc Merceron, pour en vérifier l’impact mais aussi en observer les limites (voir interview).

Sa thèse prouve en tout cas qu’un concept élaboré par les grands penseurs de la philosophie et du droit est porteur de réelles solutions. Sans doute parce qu’il interroge l’autorité, la vie en société, bref des fondamentaux qui sont aussi ceux de l’entreprise.

Principe de subsidiarité et management des organisations. Possibilités, conditions et limites d’un management subsidiaire : le cas d’une banque régionale (thèse en cours de publication). Pour la télécharger, s’adresser à l’auteur : j-l.merceron@wanadoo.fr

Un article, à paraître prochainement dans la revue @grh, est consacré à cette expérimentation. https ://www.agrh.fr/revue-agrh/

Auteur

  • Violette Queuniet