Origines et parcours, ambitions, rapports aux autres et à l’argent, valeurs et convictions… une auscultation réussie des patrons français dans leur pluralité, à partir de leurs récits de vie.
Que veut dire être patron en France ? Comment le devient-on ? Que faiton quand on l’est ? Des questions simples en apparence, mais qui font l’objet d’une littérature le plus souvent parcellaire ou engagée. Pour combler cette lacune, Michel Offerlé, professeur à l’ENS, nous propose 36 portraits de patrons, réalisés avec une équipe de 28 enseignants, chercheurs et étudiants, à raison d’une à quatre heures par entretien. Des portraits commentés, accompagnés de verbatim bruts, qui dessinent de multiples profls de patron : grands ou petits, en devenir ou confirmés, héritiers, entrepreneurs ou repreneurs, avec ou sans diplôme, de droite ou de gauche…
À côté de Jean-Louis Beffa, justifant avec conviction son attachement à Saint- Gobain et à l’industrie française, on découvre la trajectoire de Martin, ouvrier garagiste très qualifié, qui s’apprête à reprendre un garage de 4 salariés, et à devoir, de temps en temps, « taper du poing sur la table et changer d’intonation », pour enfler les habits de chef d’entreprise. Celle de Gérard, aussi, fls d’institutrice et de cheminot CGT, qui se retrouve à diriger des entités de grands groupes mondiaux et « affronte la peur d’entreprendre » en créant, à 53 ans, son entreprise, avec à la clé 130 emplois. On écoute Louise, libraire de quartier très investie, qui salarie un employé à mi-temps : « Je savais que ça resterait un truc petit et que l’importance était que je reste là pour rencontrer des gens qui ont le goût pour la lecture. » On croise Karim, chef d’entreprise séducteur et sûr de lui, qui veut « gagner de l’argent rapidement », assure être payé « entre 100 000 et 500 000 euros », s’interrogeant ingénument : « C’est grand comme fourchette ? » Et on suit le parcours de Bertrand, qui se dit porteur d’idées « profondément humanistes », ambassadeur des Patrons avec Mélenchon en 2012, avant de rejoindre Nouvelle Donne.
« Aucun de nos enquêtés ne s’accorde sur le terme de “patron” », souligne Michel Offerlé, qui relève de nombreux points de clivage. Mais les trajectoires patronales laissent aussi apparaître des convergences.
En effet, si certains croient en l’existence d’une fbre entrepreneuriale, « derrière toute entreprise, il y a un ensemble d’acteurs qui rendent possibles, de manière visible ou invisible, la tentative et/ou la réussite de telles entreprises », constate l’auteur. Un livre pour dépasser les idées reçues et cesser, enfn, de parler du patronat au singulier !
Patrons en France, sous la direction de Michel Offerlé. Éditions La Découverte. 660 pages, 25 euros.
