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Les cinq surprises de la représentativité

Décodages | publié le : 05.06.2017 | Nicolas Lagrange

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Les cinq surprises de la représentativité

Crédit photo Nicolas Lagrange

Beaucoup moins d’adhérents qu’annoncé, une nouvelle répartition des financements, des rapports de force modifiés dans les branches… À y regarder de près, la première pesée de la représentativité patronale comporte son lot de bouleversements !

Qui aurait pu imaginer que le Medef ne comptait que 123 000 adhérents, soit six fois moins que le chiffre revendiqué ? La CPME, avec 145 000 adhérents, presque quatre fois moins que revendiqué ? Et l’U2P, avec 150 000 adhérents, presque trois fois moins ? C’est la principale surprise de cette première mesure d’audience… une surprise anticipée dès 2013 par Michel Offerlé, spécialiste du patronat, dans son ouvrage Les Patrons des patrons : histoire du Medef, et qui se vérifie tant au niveau interprofessionnel que dans les branches (lire l’entretien page 36).

À l’issue de cette « opération vérité », le Medef n’occupe que la troisième place pour le nombre d’adhérents. Toutefois, il regroupe près de 71 % des effectifs employés par les entreprises qui adhèrent à une confédération interprofessionnelle. Ce qui lui permet de s’opposer à tous les accords nationaux interprofessionnels avec lesquels il serait en désaccord ou qu’il n’aurait pas négociés (comme sur la RSE cette année, une discussion initiée par la CPME). Même satisfaction sur son poids en termes de représentativité, qui compte pour la répartition des sièges dans de nombreuses instances paritaires. Son score de 58,7 % avoisine 60 %, soit le taux le plus souvent appliqué jusque-là. Idem pour la CPME, qui se maintient avec 27,9 % des sièges, au lieu de 30 %.

En fait, la deuxième surprise de ce scrutin vient de l’U2P. Certes, avec 13,7 % de représentativité, contre 10 % auparavant, elle aura davantage de mandats, mais le mariage entre l’UPA et l’UNAPL lui laissait espérer une progression beaucoup plus forte. Et un poids en nombre de salariés nettement plus élevé que les 4,2 % obtenus (507 000 salariés). « Certaines fédérations ont eu des difficultés à faire remonter les effectifs des entreprises adhérentes, explique Pierre Burban, secrétaire général de l’U2P. Résultat : lorsque nous n’avions pas l’information, nous n’avons mentionné aucun collaborateur. » D’où le nombre élevé d’entreprises adhérentes sans salarié (près de 55 000). Par ailleurs, plusieurs milliers de professionnels libéraux, chez les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes par exemple, n’auraient pas été comptabilisés, faute d’appartenir à des branches constituées et d’avoir communiqué leurs données. « Avec plus de professionnalisme, nous ne pourrons que faire mieux la prochaine fois, assure Michel Chassang, président de l’UNAPL. Parce qu’en réalité, l’U2P regroupe au moins 190 000 adhérents, ce qui induit un nombre de salariés bien supérieur, mais 40 000 entreprises n’ont pas été comptabilisées par la Direction générale du travail. »

Enveloppe globale inchangée.

Cependant, et c’est le troisième impact majeur, l’U2P décroche un joli lot de consolation en matière de financement, grâce à une nouvelle règle de calcul. À partir de 2018, elle devrait percevoir près de 3,4 millions d’euros par an du Fonds pour le financement du dialogue social (AGFPN), soit 1,4 million supplémentaire, principalement au détriment du Medef, qui devrait perdre 1,4 million d’euros (sur 11 millions). En ce qui concerne les financements de branche, le bilan est plus contrasté. Illustration dans le bâtiment avec la Capeb (composante de l’U2P), désormais première fédération patronale en nombre d’adhérents (56 000 entreprises), tous secteurs confondus. Elle bénéficiera d’un gros tiers de la dotation versée par l’AGFPN, contre 48 % jusque-là, une perte qui profite à la FFB (Fédération française du bâtiment), affiliée au Medef et à la CPME.

Quatrième bouleversement, le nombre d’acteurs patronaux ne se réduit pas. Toujours trois confédérations interprofessionnelles, mais aussi, très probablement, trois organisations multi-professionnelles1, une fois les arrêtés de représentativité publiés. Certes, l’Unapl sort du champ multiprofessionnel pour devenir interprofessionnelle via son intégration dans l’U2P. Mais l’Udes (économie sociale et solidaire) et la Fnsea devraient être rejointes par une nouvelle venue, la Fesac (spectacle vivant, musique, audiovisuel et cinéma). Et dans les branches, le nombre d’organisations représentatives, éligibles à une dotation pour financer leur gestion paritaire, devrait passer de 248 à près de 400, malgré les regroupements en cours. Pour quelles raisons ? « D’abord, de nombreuses fédérations se sont signalées à l’occasion de cette mesure d’audience pour obtenir leur représentativité, analyse Clara Sorin, déléguée générale de l’AGFPN. Ensuite, d’autres organisations étaient déjà représentatives, mais n’étaient pas affiliées à un Opca, ce qui ne leur permettait pas de recevoir de dotation selon les règles antérieures. »

15 à 20 % d’adhésions.

L’enveloppe financière globale étant relativement stable, la plupart des organisations professionnelles devraient percevoir des montants plus faibles. Même si les nouveaux entrants sont majoritairement de « petits » acteurs… Le président de l’AGFPN, Jean-Claude Volot, souhaite d’ailleurs « proposer au conseil d’administration que les montants inférieurs à 1 000 euros ne soient pas versés ». En 2015, 11 organisations ont reçu entre 55 € et 996 €. Plus globalement, le financement du paritarisme fait l’objet d’âpres débats. « Le nouveau prélèvement de 0,016 % sur les entreprises étant assis sur la masse salariale, il augmente chaque année, relève Jean-Claude Volot. Cela justifie qu’il se substitue, à terme, à toutes les taxes additionnelles instituées dans une centaine de secteurs pour financer le dialogue social. » Tandis que d’autres organisations patronales et syndicales jugent le taux de 0,016 % insuffisant pour assurer le fonctionnement du paritarisme.

Last but not least, les résultats de la représentativité patronale ont chamboulé la donne prud’homale. Exemple avec l’Udes. Satisfaite de regrouper 34 500 adhérents employant 810 000 salariés (selon ses propres données, la DGT n’ayant pas encore communiqué les résultats consolidés), elle passe de 470 conseillers prud’homaux à 114 ! « Nous pressentions que le nouveau système de désignation serait moins favorable que l’élection, expose le secrétaire général, Sébastien Darrigrand. Mais pas à ce point, d’où nos nombreuses interrogations. » L’Udes a donc décidé d’introduire un recours contentieux devant le conseil d’État. En cause notamment les résultats dans la section prud’homale « activités diverses », où le Medef a réalisé un score élevé qui intrigue ses concurrents. De fait, plusieurs doutes se font jour, tous secteurs confondus. Ainsi, certaines fédérations auraient pu comptabiliser les entreprises adhérentes mais aussi leurs établissements. Un patron ayant plusieurs holdings ou SCI pourrait être pris en compte au titre de l’adhésion de chacune de ses entités, quelle que soit leur activité réelle. « Dans certaines branches, les comptages ont été faits assez hâtivement par les commissaires aux comptes, habitués à travailler avec les organisations professionnelles, alors que dans d’autres, les vérificateurs ont été très pointilleux. Au final, les commissaires aux comptes auraient été autorisés, pour cette première pesée, à présenter des dossiers comportant jusqu’à 10 % de marge d’erreur pour le nombre d’adhérents et jusqu’à 20 % pour le nombre de salariés », relève un observateur averti. Contactée, la DGT n’a pas répondu à notre sollicitation. D’autres contentieux pourraient émerger. À l’U2P, où aucune décision n’est arrêtée à ce stade, on s’étonne que le Medef et la CPME puissent réunir 11,5 millions de salariés dans leurs entreprises adhérentes. « Cela supposerait que 100 % des entreprises de plus de 50 salariés adhèrent indirectement à l’une des deux confédérations, 70 % des entreprises de 20 à 49 salariés, 31 % des entreprises de 11 à 19 salariés et 5 % des moins de 11 salariés, argumente un dirigeant. C’est impossible ! »

S’il est difficile d’y voir clair, les résultats globaux permettent à tout le moins d’approcher de manière fiable le taux d’adhésion des entreprises françaises à un syndicat patronal. Il avoisine 15 à 20 %, selon Michel Offerlé, toutes organisations professionnelles confondues.

En chiffres

(1) Pour être multiprofessionnelle, une organisation patronale doit être présente dans au moins 10 branches sur au moins un tiers du territoire, et regrouper 15 fédérations. Elle peut participer à de nombreuses instances paritaires et obtenir une dotation financière (118 000 euros en 2015).

Auteur

  • Nicolas Lagrange