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À la une | publié le : 05.06.2017 | Nicolas Lagrange, Lucie Tanneau

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Déclarations volontaristes des P-DG, chartes, sensibilisation des managers… Quelques grands groupes ont pris des initiatives supralégales pour aider les salariés à concourir à des mandats politiques. Des initiatives passées à la loupe, assorties de témoignages de salariés-candidats et de salariés-élus.

Elles ne sont pour l’heure qu’une dizaine de grandes entreprises à s’être officiellement engagées à faciliter l’exercice de mandats politiques par leurs salariés. Un mouvement récent qui peut participer du renouvellement du personnel politique, mais dont la montée en puissance prendra probablement de longues années. Un mouvement dans lequel les RH ont un rôle central à jouer. Illustration avec les dispositifs mis en place chez Saint-Gobain, ADP, Michelin et Bouygues.

Saint-Gobain veut changer le regard sur l’engagement politique

« Le constat est sans appel : le secteur marchand est très peu représenté au Parlement, affirme Régis Blugeon, DRH France de Saint-Gobain. Nous pouvons tous contribuer à changer la donne. L’implication plus forte des salariés, notamment au Parlement, permettrait d’élaborer des règles mieux adaptées à l’environnement économique et entrepreneurial. »

D’où la charte pour l’engagement citoyen des collaborateurs relative à tous les mandats politiques, promue par le groupe depuis juillet 2016, disponible sur l’Intranet et communiqué à l’extérieur. À la clé, plusieurs orientations allant au-delà des dispositifs légaux. Ainsi, tout salarié peut obtenir la suspension de son contrat de travail pendant trois mois au plus, pour mener une campagne électorale. Le groupe souligne en outre qu’il « encouragera et facilitera l’aménagement du temps de travail ». En cas d’élection sur un mandat parlementaire exercé à temps plein, le contrat de travail sera suspendu. Dans ce cas, Saint-Gobain « propose un droit de retour dans l’entreprise », dans la limite de deux mandatures, conformément aux dispositions légales. Le nouveau poste, identifié après un entretien de préparation au retour, visera à « prendre en compte le niveau de responsabilité exercé par la personne avant son départ et les compétences acquises durant son mandat », selon la charte, et pourra donner lieu à une formation d’adaptation de cinq jours. « Il est évident qu’il ne peut s’agir que d’un poste avec une qualification au moins équivalente et potentiellement supérieure, assure Régis Blugeon. Nous disons aux managers que l’exercice d’un mandat doit être regardé de manière positive, comme un acquis de compétence à valoriser. »

« Le retour du salarié engagé en politique sur un poste équivalent, avec un salaire au moins équivalent et sur le même périmètre géographique doit être la règle », estime Manuel Lafit, coordinateur CGT du groupe. S’il approuve clairement l’initiative de la direction, il regrette qu’elle soit très peu connue.

Aéroports de Paris facilite « l’engagement des salariés dans la cité »

Signataire du manifeste d’Edgard Added pour favoriser l’engagement des salariés en politique, ADP (Aéroports de Paris) veut surtout « encourager la participation de ses salariés à la vie de la cité, assure Alice-Anne Médard, la DRH du groupe. Notre fondation est déjà engagée dans la lutte contre l’illettrisme, et pour la création de richesse sur les territoires. Le fait d’encourager les engagements politiques, mais aussi syndicaux, va dans le même sens. » Elle assure que l’entreprise est engagée « depuis plusieurs années », mais l’arrivée d’Augustin de Romanet au poste de P-DG fin 2012 a marqué une étape supplémentaire.

« Il est proactif sur le sujet, résume la DRH, et il le revendique car pour lui, l’entreprise fait partie de la vie de la cité. » ADP a donc décidé « d’améliorer les dispositifs légaux pour les salariés élus », même si la DRH défend surtout « une question d’attitude ». L’entreprise offre par exemple une journée rémunérée par mois aux salariés maire ou adjoint d’une commune de moins de 20 000 habitants, et cinq jours de congés payés pour les candidats en période de campagne électorale. Le groupe facilitera le retour des élus avec une formation de quinze jours « comme un sas de retour, décrit la DRH. Nous avons aussi décidé de mettre en place un bilan de compétences pour les salariés élus, afin de valoriser les compétences acquises. » Des dispositifs également proposés aux conseillers prud’homaux.

Vivien Julhès, conseiller municipal à Issy-les-Moulineaux (lire ci-dessus) ne bénéficie par de ces mesures, mais en apprécie l’existence. « Ça me rend fier d’appartenir à l’entreprise », reconnaît-il. Les syndicats, eux, déplorent un engagement timide. « Je suis délégué CGT depuis douze ans et je n’ai jamais rien entendu là-dessus », affirme Nicolas Buatois, lui-même conseiller municipal à Villemoisson-sur-Orge. « Ils ne m’ont jamais empêché d’exercer mon mandat, mais jamais encouragé non plus », résume-t-il. « Je n’ai pas besoin d’aménagements, donc je n’ai jamais demandé », reconnaît-il. Reste que pour lui, si l’entreprise doit respecter la loi sur ces sujets, le fait d’aller plus loin est « forcément » intéressé. « Elle doit y trouver un avantage, notamment pour avoir du monde dans les instances », se méfie le représentant. Des critiques anticipées par la direction, qui affirme se prémunir des conflits d’intérêts. « On a un principe de neutralité », résume la DRH, « c’est plus simple de communiquer sur un engagement local, plutôt que politique. Si un de nos salariés devenait député, le code électoral régirait les incompatibilités », assure-t-elle. « Pour nous, d’un point de vue RH, ça renvoie à la prise en compte d’hommes ou de femmes complets : salariés, mais aussi parents et citoyens. On fait donc tout ce qu’on peut pour aider les uns et les autres », résume Alice-Anne Médard, qui dit partager cette philosophie avec tous les nouveaux salariés du groupe à leur arrivée.

Michelin promeut les mandats politiques à fort niveau de responsabilité

« Pour développer la compétitivité de la France et relever les défis économiques actuels (…), notre pays doit pouvoir s’appuyer sur des élus qui ont une conscience des enjeux des entreprises. » Ce credo, porté par le P-DG de Michelin, Jean-Dominique Senard, figure dans la « fiche-position » envoyée par le groupe à tous ses managers français, en décembre 2014. Objectif : faciliter l’exercice de mandats politiques par les salariés.

« Nous faisons le maximum pour rendre compatible l’exercice d’un mandat avec la poursuite d’une carrière dans l’entreprise, souligne le directeur du personnel France, Jean-Paul Chiocchetti. Notre approche repose sur une bienveillance des managers et un accompagnement personnalisé des RH. Un salarié candidat à une élection évoque son projet avec son gestionnaire de carrière, lequel lui propose les modalités de travail les plus pertinentes, en lien avec le manager. » Flexibilité d’horaires, passage à temps partiel, télétravail, congé sans solde, utilisation d’un CET… Les possibilités d’aménagement sont nombreuses à adapter au cas par cas, plus que sur des dispositions standard.

« Le message délivré par le P-DG à tous les salariés constitue un signal clair et fort, qui peut encourager des vocations, considère Jean-Christophe Laourde, délégué syndical central CFE-CGC. Certains salariés sont déjà conseillers municipaux, à l’instar d’un délégué syndical de notre organisation, mais les mandats plus importants restent rares à ce stade. » Pour les promouvoir, Michelin accorde trente jours ouvrables aux candidats à des mandats parlementaires (dix de plus que la loi). Jean-Paul Chiocchetti estime qu’il faut aller plus loin : « Nous allons adapter le plafond d’alimentation du CET pour les salariés détenteurs d’un mandat politique. Nous réfléchissons à la possibilité d’abonder le CET à hauteur de quelques jours par an pour les mandats les plus chronophages, dans les villes d’une certaine taille ou pour des mandats départementaux ou régionaux. »

Pour les mandats à temps plein impliquant un certain niveau de responsabilité, Bibendum garantit aussi un droit de retour (sur un poste au moins équivalent) aux salariés dont le contrat de travail est suspendu, et s’engage à tenir compte des compétences acquises. Le droit de retour est à anticiper avec le gestionnaire de carrière. « Dans tous les cas, ajoute le DRH France, le groupe affiche sa neutralité totale à l’égard du choix des salariés engagés en politique. Nous leur permettons de citer leur appartenance à Michelin, en leur demandant de rappeler, à chaque fois que c’est nécessaire, qu’ils parlent en leur nom propre, leurs positions ne représentant pas celles de l’entreprise. »

Bouygues souhaite rapprocher les salariés de la politique

L’engagement de Bouygues pour accompagner ses salariés en politique s’est construit par étapes. « Le groupe a toujours appliqué les dispositions légales sur les autorisations d’absence et les crédits d’heures, commence Philippe Cuenot, le DRH innovations et développement social. Mais la loi est perfectible, on s’est dit qu’on pouvait l’améliorer. » Le P-DG, Martin Bouygues, en a pris l’initiative. « En décembre dernier, il a pris la parole devant le top 400 des managers en conseil de groupe pour les sensibiliser. L’idée est de dire que le monde de l’entreprise est insuffisamment représenté au sein du monde politique local et national. Pour favoriser le passage de l’un à l’autre, il fallait communiquer. »

En janvier 2017, l’information est diffusée via l’Intranet. Le groupe accorde désormais aux salariés qui s’engagent des facilités supplémentaires par rapport au cadre légal. « Bouygues double le nombre de jours d’absences autorisés non rémunérés pour les candidats à des élections, cite en exemple le DRH. On facilite également la prise de congés sur le compte épargne temps. » Alors que la loi prévoit la réintégration du salarié à un poste équivalent et au même salaire, après au maximum deux mandats, Bouygues a supprimé cette limite. « Si nos collaborateurs se plaisent dans leur engagement, nous jugeons dommage de les restreindre », justifie le DRH. À leur retour, le salaire est aussi réévalué en fonction de l’inflation. Enfin, les salariés élus peuvent garder la complémentaire santé de l’entreprise « à leurs frais ».

« On propose des aménagements au cas par cas en termes de temps de travail. On porte un regard bienveillant sur ceux qui s’engagent en politique », résume le DRH. « Beaucoup de gens hésitent à s’engager car ils se disent que tout concilier est difficile. Donc on était demandeurs, approuve Bernard Allain, secrétaire général FO du groupe. Je pense que l’entreprise doit prendre en compte l’engagement citoyen de ses collaborateurs, et Martin Bouygues a franchi une petite étape. » Pour le délégué syndical, si le fait d’avoir des salariés engagés est « bon pour l’image de marque de l’entreprise, et pour la RSE, les risques de conflit d’intérêts sont faibles. Un salarié élu conseiller municipal ne va pas débloquer le contrat du Grand Paris à lui tout seul. Le groupe devra faire la part des choses si des salariés deviennent élus nationaux, mais cela répond au constat de la déconnexion des politiciens. L’engagement citoyen, notamment à temps partiel, doit être encouragé. » Le représentant FO assure par ailleurs qu’il veillera à ce que les salariés détenteurs de « petits mandats » ne soient pas oubliés. Pour cadrer les choses, chaque salarié détenteur d’un mandat est invité à signer un document qui rappelle la neutralité du groupe, mais aussi les principes de son code éthique. « Tout collaborateur exerce sa liberté d’opinion et son activité politique en dehors de son contrat de travail, à ses frais et à titre exclusivement personnel », indique l’article 14. La règle du jeu est claire, mais est-elle suffisante ?

Pierre Hébert 42 ans, candidat 577 Les Indépendants de la droite et du centre aux législatives dans les Hauts-de-Seine, chef économiste de Saint-Gobain.

« Je suis entré chez Saint-Gobain en 1999, aux États-Unis, comme coopérant du Service national en entreprise, j’ai été directeur d’usine et je suis depuis 2013 chef économiste du groupe.

J’ai toujours eu un intérêt marqué pour la politique. Depuis quelques années, je mûrissais un projet personnel, qui s’est concrétisé en début d’année dans un contexte favorable. En effet, la charte pour l’engagement citoyen des collaborateurs, promue par Saint-Gobain depuis l’été 2016, a constitué un signal fort et a libéré la parole sur l’engagement politique. Pour faire campagne dans les Hauts-de-Seine, j’ai créé un microparti afin de recueillir des soutiens et des financements et investi un peu d’argent personnel. Pendant près de trois mois, entre avril et juin, j’ai pu passer à temps partiel moyennant un congé sans solde. Je pensais initialement ne pas mentionner ma fonction et mon entreprise, mais la charte interne l’autorise. C’est une bonne chose. Sans citer Saint-Gobain, j’évoque ma fonction sur mes tracts et sur mon site Internet, ce qui vient renforcer l’intérêt pour ma candidature. Mes collègues et ma hiérarchie sont surpris par cet engagement citoyen, mais portent un regard très bienveillant… »

Propos recueillis par N. L.

Vivien Julhès, 31 ans, conseiller municipal d’Issy-les-Moulineaux, responsable RH de l’unité opérationnelle des heures aéronautiques d’Orly (groupe ADP)

« Je n’envisageais pas ma vie sans engagement citoyen, je me suis donc présenté aux municipales de 2014. Dès la campagne, j’en ai parlé à mes responsables qui m’ont dit de « foncer ». Je suis désormais conseiller municipal. Mes collègues proches le savent. Je gère moi-même mon agenda, donc c’est facile, et tous sont arrangeants pour décaler des réunions quand j’ai des commissions en mairie. En revanche, en tant que responsable RH, je ne dis rien aux salariés, ce serait dévoiler ma vie privée. En tant que conseiller je n’ai pas demandé de jours pour la campagne car j’avais des congés. Mais le jour où j’ai vu mon P-DG s’engager dans les journaux, ça m’a rendu fier d’être dans son entreprise. En 2014, je m’étais demandé comment concilier toutes mes activités. Je sais que si la question se repose à l’avenir, ce sera facile d’aller voir mon manager pour aménager mon temps de travail. Au-delà du temps, une entreprise qui l’inscrit dans son ADN, ça veut dire quelque chose, c’est encourageant. »

Propos recueillis par L.T.

Jean-Paul Cuzin, 60 ans, conseiller départemental dans le Puy-de-Dôme, directeur adjoint d’un site Michelin

« Depuis mon arrivée chez Michelin en 1981, j’ai occupé plusieurs postes managériaux en production et à la DRH. Je suis aujourd’hui directeur adjoint du site R& amp ; D de Ladoux, à la tête d’une équipe de 9 managers et de 150 salariés.

C’est Valéry Giscard d’Estaing qui m’a donné envie de militer, lors de la campagne de 1974. En 2008, j’ai décroché un premier mandat de conseiller municipal à Beaumont, dans le Puy-de-Dôme, ce qui implique plutôt des réunions en soirée et le week-end. En 2014, je suis devenu premier adjoint au maire, puis conseiller départemental l’année suivante, au moment où notre P-DG s’engageait pour faciliter l’exercice des mandats politiques. J’ai donc eu la possibilité d’adapter mon rythme de travail, en arrivant parfois plus tôt le matin et en partant plus tôt, en pratiquant aussi le télétravail occasionnellement. Pour assister aux réunions du conseil départemental en journée, j’utilise des jours de mon compte épargne temps, que j’alimente principalement avec mon treisième mois et des primes. Même si je reste toujours en alerte par rapport à mon travail.

Mon engagement politique est connu dans l’entreprise, le regard de mes collègues et de ma hiérarchie est positif. Le plus dur est de se faire une place dans les partis politiques ! »

Propos recueillis par N. L.

Pascal Tebibel, 48 ans, candidat 577 Les Indépendants de la droite et du centre aux législatives dans le Loiret, directeur prospectives et relations institutionnelles France chez Colas (groupe Bouygues)

« Je n’ai jamais été élu jusque-là. J’ai décidé de me lancer à la suite d’un accident, un déclic. Grâce à mon métier, j’ai rencontré Jean-Christophe Fromantin, président de l’Exposition universelle Paris 2025. J’ai rejoint son mouvement 577 pour la France, car ce sont des personnes de la société civile, de l’entreprise, comme moi. J’en ai aussitôt parlé à mon supérieur, qui a compris mon envie et m’a seulement incité à séparer travail et politique. Quand, en janvier, Martin Bouygues a communiqué sur le dispositif pour encourager l’engagement citoyen, ça m’a conforté dans mon choix, et ça a rassuré ma famille ! Car la politique passait les soirs et week-ends, c’était un peu difficile pour ma fille collégienne. Depuis le 22 mai, date de la campagne officielle, j’ai pris des jours sur mon compte épargne temps. Mais le plus rassurant, c’est de savoir que je retrouverai mon poste le jour où j’arrêterai la politique. C’est un filet de sécurité. »

Propos recueillis par L. T.

Auteur

  • Nicolas Lagrange, Lucie Tanneau