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Les trois responsabilités du manager

Idées | Juridique | publié le : 02.05.2017 | Jean-Emmanuel Ray

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Les trois responsabilités du manager

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

Nombre de DRH se plaignent de voir de brillants collaborateurs décliner leur alléchante proposition de promotion sur un poste de manager. Au-delà du caractère chronophage de la fonction… et d’une éventuelle délégation de pouvoir en forme de mistigri judiciaire, des arrêts récents ne vont pas atténuer cette grandissante réserve.

Sanction disciplinaire

Celui du 8 mars 2017 met en scène la RRH d’un magasin licenciée pour faute. Il lui est reproché d’être restée inerte alors que le directeur harcelait constamment ses collaborateurs, créant selon les témoignages un « climat de terreur et d’humiliation ». Plaidant « qu’un salarié ne peut être sanctionné disciplinairement lorsque le manquement qui lui est reproché résulte d’un comportement fautif de l’employeur », elle saisit la justice.

La Cour de cassation estime pourtant son licenciement justifié : « En cautionnant les méthodes managériales inacceptables du directeur avec lequel elle travaillait en très étroite collaboration et en les laissant perdurer, Mme X. avait manqué à ses obligations contractuelles, et mis en danger tant la santé physique que mentale des salariés ». On aura reconnu le harcèlement moral, reconfiguré par la Cour de cassation en harcèlement managérial : « Il appartient au juge de rechercher si les méthodes de gestion mises en œuvre ne caractérisent pas un harcèlement moral » (CS, 10 novembre 2009).

Dans le cas du magasin de Mme X., si l’inspecteur du travail ne met pas un terme à cette situation choquante, reste l’action collective : le CHSCT s’agissant de santé-sécurité ; le délégué du personnel en tant que délégué aux libertés (L. 2313-2). Et une éventuelle grève.

Mais dans l’entreprise, le droit à la désobéissance individuelle en cas d’ordre illicite est plus facile à énoncer qu’à exercer. D’abord car le licenciement pour insubordination qui s’ensuit conduit à Pôle emploi : ce n’est que bien plus tard que le conseil de prud’hommes octroiera une éventuelle indemnisation. Il en va de même pour une démission ou une prise d’acte fondées sur ces fautes patronales. On aura compris que ces deux ruptures, dont le salarié prend l’initiative, nécessitent la constitution préalable de preuves solides.

La loi Sapin II du 9 décembre 2006 qui a affermi la protection des lanceurs d’alerte ne s’applique pas aux acteurs du différend.

Notre désormais chômeuse s’en tire d’ailleurs bien. Car elle aurait pu aussi voir sa responsabilité civile recherchée par l’une de ses victimes, à l’instar de cette gérante de magasin condamnée le 10 novembre 2010 à verser 180 000 euros de dommages-intérêts à une salariée qu’elle avait « insultée en des termes particulièrement blessants, et humiliée en présence d’autres salariés de la société et de tiers » pendant de longues années.

Responsabilités civiles

Paradoxe du droit du travail français : si son propre employeur a d’énormes difficultés à poursuivre devant le conseil de prud’hommes un salarié en réparation du préjudice qu’il a causé, la victime du dommage (ex. : client, collègue) se heurte à moins d’obstacles. Comme l’a rappelé la Chambre sociale le 26 janvier 2017, « la responsabilité du salarié n’est engagée envers son employeur qu’en cas de faute lourde, celle-ci étant caractérisée par l’intention de lui nuire, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise ».

La faute lourde n’est donc pas une faute très grave, ou ayant causé un préjudice gigantesque à l’entreprise. L’employeur doit démontrer l’intention de nuire de son salarié : mission quasi impossible, sauf aveu, fanfaronnade devant témoins ou acte explicite : la confiture de myrtilles déposée dans un moteur va sans doute au-delà de l’erreur de graissage. Si un pilote d’hélicoptère procède à l’épandage d’herbicides et détruit des cultures voisines. Qui est civilement responsable ? Son employeur, en tant que commettant. Mais la victime peut aussi vouloir faire « payer sa faute » au salarié ayant causé son dommage.

« N’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant » : rendu par l’Assemblée plénière le 25 février 2000, l’arrêt Costedoat a limité considérablement la responsabilité du salarié. Sauf si…

Risques au pénal

C’est la question la plus sensible pour un manager. Un cadre n’ayant fait qu’exécuter des ordres très, très créatifs en matière d’instances représentatives du personnel ou de surveillance informatique en répond-il pénalement ?

« Fût-ce sur ordre de son commettant », tout manager répond personnellement, sur son patrimoine voire sa liberté, de toutes les infractions qu’il peut commettre ; sans parler du pilori médiatique aujourd’hui amplifié par les « réseaux caniveaux », qui éclabousse sa famille et rend ensuite difficile la recherche d’un emploi pour ce nouveau pestiféré. Un malheur n’arrivant jamais seul, la très protectrice jurisprudence Costedoat est ici écartée : double peine donc, pénale et civile, pour le cadre bon petit soldat, comme l’a appris Patrick C., comptable d’hypermarché. Sur ordre de son employeur, il avait établi de fausses attestations afin d’obtenir les avantages financiers liés à l’embauche de contrats de qualification. Il a été condamné par le tribunal correctionnel d’Évry à 1 525 euros d’amende avec sursis pour faux, usage de faux et escroquerie ; jusqu’ici rien que de très classique. Ce qui l’est moins est sa condamnation à des dommages-intérêts à la demande de l’Urssaf. Demandant la simple application de la jurisprudence Costedoat, ses avocats avaient plaidé son irresponsabilité civile, personne ne contestant qu’il avait agi sur ordre. Refus de l’Assemblée plénière le 14 décembre 2001 : « Le salarié condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur ordre de son commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci. » S’il commet une infraction pénale, le préposé est automatiquement présumé avoir excédé les limites de sa mission, et donc civilement responsable…

Prévue par l’accord interprofessionnel sur les retraites complémentaires du 31 octobre 2015, une négociation sur le statut de l’encadrement serait donc fort utile.

Jean-Emmanuel Ray

Professeur de droit à l’université Paris I – (Sorbonne), où il dirige le Master professionnel Développement des ressources humaines, et à Sciences Po. Il a publié en septembre 2015 la 24e édition de Droit du travail, droit vivant (éditions Liaisons).

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  • Jean-Emmanuel Ray