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CPF et entreprises : une prise en main progressive

Dossier | publié le : 02.05.2017 | Dominique Perez

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CPF et entreprises : une prise en main progressive

Crédit photo Dominique Perez

Déboussolées par la dernière réforme de la formation, les entreprises ont dû s’adapter à la nouvelle donne du Compte personnel de formation. Certaines s’en sont cependant emparés pour proposer des parcours complets et certifiants à leurs salariés.

Tout nouveau dispositif nécessite un temps d’appropriation pour ses bénéficiaires. Le Compte personnel de formation (CPF) n’a pas dérogé à la règle, mais ce sont les entreprises, tout au moins les plus grandes, qui semblent lui avoir permis de prendre son envol, en informant les salariés. Selon une étude Cegos* parue en mai 2016, 75 % d’entre eux ont connu le CPF grâce à leur employeur. Présenté à l’origine par le gouvernement comme un droit très personnel, qui nécessitait une démarche volontaire des salariés, le CPF n’a pourtant pas été perçu immédiatement comme une opportunité pour les responsables RH qui devaient s’emparer de la réforme de la formation dans son ensemble.

Impliqués presque malgré eux, ils ont pourtant dû répondre peu à peu aux sollicitations des salariés, en particulier ceux qui ne pouvaient plus utiliser leurs heures de Dif (Droit individuel à la formation) et étaient bien en peine de s’inscrire dans un parcours de formation de long terme comme le prévoit le CPF. « Il nous a fallu prendre le temps de digérer la réforme, reconnaît Thomas Chassat, responsable du développement RH de Bouygues Telecom. Mais une fois ce temps passé, le CPF nous est apparu avoir deux vertus : celle de replacer l’individu au centre de son développement, en lui offrant la possibilité de réfléchir à son devenir professionnel, ce qui relevait essentiellement auparavant de la responsabilité de l’entreprise. Et celle d’introduire le co-investissement dans la formation, avec un intérêt pour les deux parties. »

Des formations internalisées

Bouygues Telecom emploie aujourd’hui près de 3 500 collaborateurs en lien direct avec la vente et la relation client. Sa première cible prioritaire, ce sont les conseillers de clientèle qui n’ont pas de diplôme, ou tout au moins pas de diplôme Bac+2. Aujourd’hui, 600 de ces conseillers ont déjà pu bénéficier du dispositif. « Le diplôme nous a paru être un facteur clé pour anticiper les changements, et disposer d’une certification reconnue sur le marché de l’emploi. La mobilisation du CPF nous a semblé être une excellente opportunité pour mettre en œuvre des parcours certifiants », explique Thomas Chassat. L’entreprise a choisi le titre de Chargé de portefeuille clients, de niveau III, préparé par le Centre de formation professionnelle Stephenson à Paris, et incite ses collaborateurs à s’inscrire sur le site moncompteformation.gouv.fr pour mobiliser leurs heures de CPF. « Nous avons communiqué largement au sein de l’entreprise, réalisé des tutos pour expliquer la marche à suivre et 300 premiers chargés de clientèle ont levé la main », explique Thomas Chassat. Organisée sur vingt jours et étalée sur un an, la formation est réalisée sur le temps de travail au sein de Bouygues Telecom et dispensée par des formateurs du centre de formation interne, en petits groupes de 14 personnes. En l’occurrence, ce co-investissement n’a pas mobilisé un budget énorme. Les salariés ont utilisé leurs heures de CPF existantes, augmentées de leurs éventuelles heures de DIF non consommées pour s’engager dans la formation. Rares sont ceux qui disposaient du nombre d’heures nécessaires… L’OPCA et l’entreprise ont ainsi dû compléter cet investissement de départ, en fonction des situations individuelles.

Un co-investissement nécessaire

Abondement d’heures CPF, mise en œuvre complémentaire de la période de professionnalisation, participation par le biais du plan de formation… Les entreprises qui s’engagent dans ces opérations de formation collective doivent faire des montages au cas par cas. Avec un principe : ne pas exclure du système des salariés qui n’auraient pas le capital suffisant pour intégrer la formation. Chez Conforama, qui s’est engagé dans une opération similaire, « il n’était pas question de refuser des dossiers sous ce prétexte », explique Corinne Bohbot, directrice du développement RH. C’est en constatant le manque d’engouement et d’information pour le CPF « compliqué à mettre en œuvre à son commencement » que l’entreprise a également décidé d’informer massivement les salariés sur la démarche à suivre et les formations éligibles, et proposer des parcours certifiants. « En 2016, seuls 40 collaborateurs sur 9 500 avaient effectué une demande spontanée de CPF… »

Suite à un audit interne, les besoins en formation et en évolution professionnelle des vendeurs sont évalués, et un premier parcours certifiant est créé sur mesure pour les vendeurs siège et literie, menant au titre de Vendeur conseil en magasin de niveau IV, dans lequel 400 collaborateurs s’engageront à la fin du mois d’avril 2017. Les niveaux de formation initiale des salariés sont très variés. « Le titre est certifié par l’Afpa, qui organise une préparation à la certification, quel que soit le niveau de formation initial, explique Corinne Bohbot. Beaucoup de collaborateurs ont douze ans d’expérience en interne, et nous souhaitons sécuriser leurs parcours, ainsi que celui des nouvelles recrues. Nous avons senti que seuls, sans le nombre d’heures suffisantes pour effectuer une formation longue, ils parviendraient difficilement à utiliser leur CPF. Nous leur proposons une formation débouchant sur un titre reconnu par l’état, mais 100 % Conforama. C’est gagnant/gagnant. »

Une ingénierie pédagogique contraignante

La contrainte imposée par le CPF de déboucher sur des formations certifiantes devient ainsi une opportunité pour les RH de lier les intérêts individuels et ceux de l’entreprise. Mobilisateurs, ces parcours ont également l’avantage de se mettre en conformité avec l’esprit de la dernière loi sur la formation professionnelle, qui a introduit la notion d’obligation de former et/ou de faire évoluer chaque salarié. Chez Bouygues Telecom comme chez Conforama, d’autres parcours de formation mobilisant le CPF ont également été conçus pour le management intermédiaire. La mise en place de ces parcours, en lien avec les organismes de formation, nécessite une ingénierie pédagogique complexe qui demande un investissement difficilement imaginable pour des petites et moyennes entreprises. En attendant un rapport de l’Igas, en cours d’élaboration, sur le premier bilan du CPF, il est difficile de déterminer le niveau d’investissement consacré par les PME à ce nouveau dispositif pour la qualification des salariés.

Restent quelques questions encore en suspens. Comme celle de la possibilité de modulariser des formations longues. Un travail entrepris par Bouygues Telecom à propos d’un nouveau parcours destiné aux cadres et menant à la certification de Managers d’unité opérationnelle, qui sera mis en place avec l’aide de l’EM Lyon. « Nous travaillons avec les responsables de l’école à la constitution de blocs de compétences, afin de permettre aux salariés de préparer tout ou partie du parcours en fonction de leurs besoins », explique Thomas Chassat. Le mouvement n’est qu’amorcé : si les entreprises semblent jouer leur rôle dans l’information sur le compte personnel de formation, seuls 24 % des salariés estiment que le CPF est soutenu par leur employeur en terme de moyens, de ressources, et accompagnement, d’après le baromètre publié par Cegos*. Côté entreprises, 63 % d’entre elles disent avoir mobilisé une ou plusieurs personnes pour conseiller les salariés souhaitant mobiliser leur CPF.

* Formation professionnelle en France et en Europe et Focus sur les effets de la réforme de la formation professionnelle, 19 mai 2016.

Auteur

  • Dominique Perez