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Le couple, grand oublié de l’entreprise ?

Décodages | publié le : 02.05.2017 | Lucie Tanneau

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Le couple, grand oublié de l’entreprise ?

Crédit photo Lucie Tanneau

Il y a les salariés père ou mère de famille. Et ceux qui sont en couple, fiancés, pacsés ou mariés. Une situation dont on ne parle jamais ou presque, et qui influe pourtant sur les congés, la mobilité, l’évolution professionnelle…

Le téléphone posé sur la table de nuit qui vibre à chaque mail reçu ? Tue-l’amour. Les réunions tardives ? Autant de soirées en amoureux en moins. Une mutation ? Un déménagement imposé au conjoint… Des situations de plus en plus mal vécues par les salariés, qui demandent à pouvoir concilier leur vie professionnelle avec leur vie privée. Si le problème est admis pour les salariés avec enfants, les salariés en couple sont les grands absents des discussions en entreprise. Les magazines parlent des relations amoureuses au bureau comme un sujet d’été. Du salarié en tant que membre d’un couple, jamais.

« La question du couple n’est pas posée », tranche la sociologue Sandrine Meyfret. Pour elle, les chartes de la parentalité ont fait entrer la question des parents dans le monde professionnel, « mais il n’y a pas de charte de la vie privée : une entreprise peut comprendre la suppression des réunions à 19 heures pour les enfants, mais pas pour le conjoint. » En bref, « la question du couple n’existe pas dans l’entreprise. On réduit toujours le salarié à ses trois vies : professionnelle, privée (sport, association,…) et familiale. On oublie la vie de couple ».

Pourtant, 49 % des salariés « éprouvent des difficultés à passer suffisamment de temps avec leur conjoint », révèle le réseau Anact-Aract (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) dans un sondage réalisé avec l’institut TNS Sofres à l’occasion de la Semaine pour la qualité de vie au travail 2016. Pire, sept actifs sur dix disent manquer de temps au quotidien et trouvent que leur employeur ne fait pas grand-chose pour les aider à concilier « travail » et « en dehors du travail », selon le dernier baromètre de l’Observatoire de l’équilibre des temps et de la parentalité en entreprise (OPE). Des chiffres qui donnent à réfléchir, alors que les jeunes générations seraient de plus en plus prêtes à sacrifier une partie de leur salaire et de leur carrière pour s’accorder plus de temps. « Ce serait important qu’on se dise que la vie privée, c’est les enfants, c’est faire du sport, mais c’est aussi la vie de couple », renchérit Sandrine Meyfret, également directrice du cabinet Alomey, spécialisé dans l’égalité professionnelle.

Peu de considération

« On a moins d’attention pour les problématiques de couple que pour la vie sociale, mais vu le taux de divorce aujourd’hui, il serait peut-être temps d’y réfléchir », alerte Antoine de Gabrielli, président de l’association Mercredi-c-Papa. « Il est surprenant pour beaucoup de considérer les gens en face d’eux comme faisant partie d’un environnement global. Dans l’entreprise, on se dit que la loi empêche de regarder la vie privée, mais elle n’empêche pas de réfléchir aux contraintes posées par la vie privée ou sociale », encourage-t-il. « Il faut arrêter de se dire qu’un collaborateur ambitieux parviendra à convaincre sa femme – le plus souvent – d’accepter ses horaires tardifs et impératifs de boulot : j’ai connu une entreprise qui avait un service de fleuriste pour que les collaborateurs puissent se faire pardonner de rentrer tard, c’est aberrant ! » Qu’en dit le code du travail ? La notion de couple y est évoquée à plusieurs reprises (lire encadré). Le salarié a, par exemple, droit à des jours pour son mariage, son pacs, le décès du conjoint… « On ne parle pas du couple, mais des événements de la vie du salarié », corrige Antoine de Gabrielli.

Certaines entreprises mettent pourtant en avant leur volontarisme. « Depuis 2004, notre service de mobilité prend vraiment en compte la question du couple », cite en exemple Sylvie Leyre, DRH de Schneider Electric France. « Nous maintenons le salaire du conjoint pendant trois mois renouvelables une fois en cas de perte d’emploi, et l’accompagnons dans sa recherche de travail et de logement. Depuis à peu près dix ans, la notion de couple est aussi prise en compte dans la politique RH, à travers l’organisation du travail et l’équilibre vie privée et vie professionnelle notamment », poursuit-elle.

Vie pro, vie perso

« La question du couple, c’est arriver à concilier vie pro et vie perso, et l’entreprise est attendue sur sa capacité à mettre en œuvre les bons dispositifs d’accompagnement », confirme Marianne Paux, DRH France de L’Oréal. Par le télétravail, la flexibilité sur le temps de travail, l’entreprise tente de faciliter la vie de ses salariés. « Un salarié doit être considéré comme quelqu’un qui a une vie à 360°, d’abord célibataire avec une vie sociale ou en couple, puis quand il devient salarié parent, ou quand les enfants grandissent et que les attentes changent », explique Emmanuelle Lièvremont, directrice diversités et santé au travail pour L’Oréal France. « Depuis les années 2000, nos managers sont évalués sur leur bienveillance et leur capacité à gérer avec sensibilité leurs équipes. Ils doivent être capables de prendre en compte les spécificités de chaque salarié », complète Marianne Paux.

Pris en compte mais pas cité

Une attention au salarié qui passe également par les politiques inclusives des ressources humaines. « Quand on écrit M. et Mme sur des invitations, les couples de même sexe peuvent se sentir discriminés, la prise en compte du couple c’est aussi ça : accepter que chacun a le droit à sa vie privée selon les standards de la République. C’est récent, mais la gestion des RH doit s’adapter », encourage Bénédicte Ravache, secrétaire générale de l’ANDRH.

Au moment des congés, la question du couple est aussi posée. Le Code du travail prévoit que les conjoints ou les partenaires liés par un pacs travaillant pour un même employeur ont le droit de bénéficier d’un congé simultané. En revanche, l’employeur n’est pas tenu de faire coïncider les congés payés d’un salarié avec ceux de son partenaire lorsqu’ils ne travaillent pas dans la même entreprise. « Les salariés ont droit aux vacances scolaires, ou à leur mercredi après-midi, même s’ils n’ont pas d’enfant », admet néanmoins Bénédicte Ravache. C’est une difficulté à laquelle chaque entreprise doit répondre selon ses possibilités. Mais c’est vraiment un sujet pour les DRH. Il y a une tendance des salariés à vouloir être reconnus dans leur individualité, ça permet de durer dans le travail », encourage-t-elle.

La prise en compte du couple serait donc un enjeu pour les entreprises. « La question du couple est apparu avec la gestion des doubles carrières, où l’individu est alors considéré comme le membre d’un couple », analyse Pascale Levet, directrice technique et scientifique de l’Anact.

Pour elle, la question est « légitime », mais n’a jamais vraiment été traitée. « On entend souvent que le télétravail aide les mamans, mais il facilite en fait la vie de tous les collaborateurs, nuance Marianne Paux (L’Oréal). Les services, c’est pareil : la conciergerie facilite la vie des salariés, peu importe ce pour quoi elle est utilisée. À part la crèche, les services ne sont pas nécessairement liés à la parentalité », rappelle la DRH.

Le couple serait donc pris en compte, sans être cité expressément. « Si on parlait du couple en interpro, on passerait pour des extraterrestres », confirme Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT en charge de la qualité de vie au travail et des questions d’articulations des temps de vie, « mais la vie du couple fait partie de la vie privée, et entre dans le cadre des réflexions sur l’articulation des temps. » Intéressé par le sujet, il reconnaît pourtant, lui aussi, n’en avoir jamais entendu parler dans le cadre professionnel. « Je ne sais pas pourquoi mais on ne parle pas du couple, c’est peut-être culturel de dire : “c’est ma vie et ça ne regarde que moi”. »

Ouvrir le dialogue

« Dans les boîtes qui font des règles pour limiter les réunions après 18 heures, la raison avancée est de permettre aux salariés de voir davantage leurs enfants. Mais cela profite à tous, c’est même deux fois mieux pour celui qui ne se sent pas coupable de partir vite pour aller chercher ses enfants ! », admet Bénédicte Ravache. « Les salariés doivent pouvoir se sentir libres de dire à leur manager : « Je pars plus tôt pour un week-end en amoureux, ou pour aller chercher mon enfant à l’école. » Ce n’est pas de l’altruisme de la part du manager d’accepter. L’enjeu, c’est de garder les talents », défend Marianne Paux, attachée aussi à l’image renvoyée par l’entreprise qui s’ouvre à ces sujets importants pour les salariés. « Les évolutions passent par des gens avant des chartes ou la législation », approuve Sandrine Meyfret.

Il n’empêche, elle encourage le débat : « Les salariés peuvent avoir du mal à privilégier leur couple, de peur de laisser l’image d’un salarié démotivé par son travail. » « Alors que quelqu’un qui est bien dans sa vie sera facilement un salarié plus engagé, plus agréable avec ses clients et collaborateurs » poursuit Jérôme Ballarin. Le président de l’OPE vient de rédiger un manifeste adressé aux candidats à la présidentielle. « Je pense qu’il est important d’ouvrir le dialogue, défend-il. Pour que le salarié puisse parler de son engagement associatif, comme de son couple. Les DRH ont un rôle à jouer et les managers aussi. Quand on fait signer notre manifeste en entreprise, on leur donne une occasion d’entamer ce dialogue. »

On reste loin de la proposition très concrète de Per-Erik Muskos. Le conseiller municipal de la ville d’Övertornea, en Suède, a proposé fin février d’instaurer une pause « sexe » payée par les entreprises. Une idée pour améliorer le bien-être des salariés qui permettrait, en outre, de faire diminuer le taux de divorce, tout en augmentant celui de la natalité. Et une façon résolument nouvelle d’aborder le couple dans l’entreprise !

Auteur

  • Lucie Tanneau