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Le big data, une opportunité pour les RH ?

Idées | Management | publié le : 03.04.2017 | Violette Queuniet

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Le big data, une opportunité pour les RH ?

Crédit photo Violette Queuniet

Dans une thèse professionnelle soutenue en 2016, Audrey Wozniak s’intéresse aux impacts de la digitalisation et du big data sur les ressources humaines de l’entreprise. Selon elle, la balance bénéfices-risques penche nettement du premier côté.

C’est un sujet qui monte au sein des directions des ressources humaines : l’utilisation du big data (ou méga-données) et en particulier l’analytique RH. La thèse professionnelle d’Audrey Wozniak* vient donc très à propos fournir un état des lieux sur la question. Intitulé Digitalisation et big data : impacts sur les ressources humaines de l’entreprise, son travail a été présenté en octobre 2016 au terme d’un parcours en alternance au Cesi (Management du développement des RH, titre de niveau 1). Elle a reçu le prix de la meilleure thèse professionnelle en RH réalisée dans cet établissement en 2016.

De quoi parle-t-on quand on évoque le big data ? « C’est la combinaison d’informations structurées (bases de données), semi-structurées (historiques, logs…) et non structurées (contenus de vidéos, conversations téléphoniques…) afin d’en tirer des actions en temps réel. » Les entreprises s’y intéressent pour leurs promesses de gain de performance et d’efficacité. Les services marketing ont été les premiers à utiliser des solutions big data pour améliorer la gestion des relations clients.

Dans les RH, l’application du big data est désignée par le terme d’analytique RH. « Le but recherché est d’apporter un aperçu de chaque processus RH en récupérant les données et en les utilisant pour prendre des décisions pertinentes sur la façon de les améliorer », indique Audrey Wozniak. Tous les sujets RH sont concernés par l’analytique RH : formation, télétravail, « sirh » (système d’information des ressources humaines), recrutement, gestion des compétences, gestion de la marque employeur, etc. « Elle pourrait bien apporter une révolution dans notre gestion des ressources humaines », ajoute-t-elle.

Vers une deshumanisation des RH ?

L’auteur donne l’exemple de l’analytique RH appliquée au recrutement. Il consiste pour l’entreprise à bâtir un modèle prédictif de réussite, de le croiser aux profils des candidats et de réaliser une sélection sur ce critère.

Est-ce que ça marche ? Les fournisseurs de solutions spécialisées dans le recrutement prédictif font assaut de promesses : diminution du turnover à un an pouvant aller jusqu’à – 50 %, diminution en moyenne du coût de recrutement de 20 %

Du côté des études académiques, les avis divergent. Tandis qu’une étude de l’université du Minnesota conclut « qu’une simple équation en matière de recrutement obtient en moyenne une performance supérieure de 25 % à une décision humaine », Cade Massey, professeur à la Wharton School’s, estime que les outils ne tiennent pas encore leurs promesses même s’ils recèlent un potentiel.

Les avis sont également partagés quant à l’impact du recrutement prédictif sur les profils recrutés : pour François Geuze, spécialiste en audit social et en sirh, « la généralisation de ce type de recrutement amène mécaniquement à une standardisation des profils ». Jean Pralong, professeur à Neoma Business School, craint que les profils atypiques soient écartés. Au contraire, pour David Bernard, dirigeant d’AssessFirst, en se focalisant sur des « critères objectifs, facteurs de performance », le recrutement prédictif donnerait sa chance aux profils atypiques ou victimes habituellement de discrimination. L’auteur détaille quelques retours d’expérience plutôt positifs (voir encadré).

Autre exemple : l’analytique RH appliquée à la gestion des compétences. Elle permet « de réaliser des simulations et des prédictions sur les évolutions d’effectifs, le turn-over de l’entreprise, l’état des compétences, la masse salariale et l’influence de la rémunération comme facteur de motivation ou encore sur l’engagement des salariés. Cela permet aussi de pouvoir simuler et observer l’impact de certaines décisions afin de choisir les meilleures et orienter sa stratégie RH ». Son intérêt est notamment de croiser des données qui sont actuellement utilisées indépendamment les unes des autres pour aboutir à des décisions plus efficaces.

Cette fois, les craintes exprimées concernent une « déshumanisation des ressources humaines ». La donnée humaine deviendra-t-elle une variable comme les autres, pilotée à partir de tableaux de bord, se demande un journaliste spécialisé du Wall Street Journal ou, au contraire, permettra-t-elle de trouver « les véritables clés de la performance […] et de rendre la vie au travail des salariés plus agréable ? », selon Alex Sandy Pentland, directeur de recherche au MIT Human Dynamics Laboratory. L’auteur ne tranche pas mais rappelle que le big data et l’analytique RH sont des outils et, comme tous les outils, ils doivent être maîtrisés. Il insiste aussi sur un point majeur : il faut disposer d’algorithmes adaptés et de données fiables et bien choisies pour produire la bonne donnée de sortie.

Une fonction rh a valeur stratégique

La généralisation de l’analytique RH représente-t-elle une opportunité ou une menace pour les ressources humaines (les hommes comme la fonction) de l’entreprise ? Cette question, objet même de la thèse, est rapidement tranchée : la digitalisation étant inéluctable (l’auteur la qualifie de « quatrième révolution industrielle »), la seule menace serait de ne pas prendre le train en marche et de ne pas préparer les collaborateurs aux nouveaux besoins. Deux études (l’une émanant de l’université d’Oxford, l’autre du cabinet Roland-Berger) mesurent ce risque : de 42 à 47 % des emplois actuels pourraient devenir complètement gérés par l’informatique. En revanche, de nouveaux métiers émergent : tous ceux liés au développement du big data et de son exploitation, au développement de la marque et à la gestion de l’image de l’entreprise. Peut-être pas en nombre suffisant pour compenser les pertes d’emploi de métiers peu qualifiés, selon plusieurs observateurs.

La fonction RH n’est pas épargnée. Trois métiers sont particulièrement menacés par l’automatisation : assistant RH, responsable rémunération et prestations sociales, chargé de la paie et du temps de travail. « Mais le big data est aussi une opportunité pour la fonction d’acquérir une plus grande valeur ajoutée », assure Audrey Wozniak. Convoquant plusieurs experts du digital, elle dessine pour demain une fonction RH plus stratégique. En faisant gagner un temps considérable au recruteur, le big data transformera la fonction du recruteur. Il deviendra un « influenceur, un conseiller/formateur des managers, un marketeur », selon le consultant Laurent Brouat. Pour une autre consultante, Amélie Albin, « l’analytique est l’opportunité pour la fonction RH de l’entreprise de passer d’un centre de coûts à un centre de profits en devenant innovante et réactive grâce à l’obtention de données plus complètes et plus utiles à la prise de décision ». Un avis corroboré par une étude de KPMG menée en 2015 qui révèle que trois dirigeants sur quatre pensent que l’analytique RH peut influencer la rentabilité de l’entreprise.

Prêtes pour l’analytique RH

Mais pour y parvenir, la fonction RH doit monter en compétences sur le sujet. Celles-ci sont encore très faibles, selon une étude de Deloitte datant de 2015. Par ailleurs, il existe encore des obstacles techniques, culturels et organisationnels au développement de l’analytique RH, selon l’étude précitée de KPMG.

Combien d’entreprises ont-elles d’ores et déjà franchi le pas ? « Difficile de le savoir, les entreprises communiquant encore peu sur le sujet », constate l’auteur. Une autre étude mondiale de Deloitte datant de 2016 évoque 8 % d’entreprises se disant « entièrement capables de développer des modèles d’analyse prédictive en matière de RH ». Elles étaient moitié moins l’année précédente. Un sujet encore en émergence, donc, mais qui devrait prendre de l’ampleur puisque, dans la même étude, un tiers des entreprises se disent « prêtes ou quasiment prêtes » pour l’analytique RH. D’autant que les salariés sont majoritairement favorables à la transition digitale, qui a plutôt eu des impacts positifs sur leur métier ; selon une étude Cesi/Le Figaro /Ipsos de 2015.

L’auteur invite les entreprises à se lancer dans l’analytique RH en préconisant les quatre étapes à suivre – d’après le modèle bâti par Josh Bersin, un spécialiste du sujet – en fonction de leur niveau de « maturité analytique » : reporting opérationnel simple, reporting avancé, analytique avancée, analytique prédictive. Actuellement, selon lui, 86 % des entreprises sont sur les niveaux 1 ou 2.

Les conseils d’Audrey Wozniak pour la fonction RH : être moteur, expérimenter et communiquer sur ses résultats. « Nous sommes responsables aujourd’hui du sens qui sera donné à notre fonction demain, écrit-elle en conclusion. Si nous ne voulons pas rester sur le banc de touche, c’est également à nous d’être moteurs sur le sujet. »

* La thèse professionnelle est un mémoire de fin d’études qui valide un master spécialisé (ou un titre de ce niveau) dispensé dans les grandes écoles membres de la Conférence des grandes écoles. Celle d’Audrey Wozniak peut être consultée sur www.slideshare.net/secret/8kLkrTtIONVBCD .

Auteur

  • Violette Queuniet