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Profs : la vie d’après

Décodages | publié le : 03.04.2017 | Alexia Eychenne

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Profs : la vie d’après

Crédit photo Alexia Eychenne

De plus en plus d’enseignants quittent l’Éducation nationale pour d’autres horizons professionnels. Une épreuve de longue haleine, alors que les profs ont des atouts à faire valoir dans le privé…

« Help ! Je veux démissionner de l’Éducation nationale », « Marre d’être prof des écoles, mais que faire ? », « Professeur en détresse, quelle reconversion ? »… Sur les forums dédiés aux enseignants, une question hante les internautes : une vie professionnelle est-elle possible hors des salles de classe ? Si la majorité des profs embrasse le métier jusqu’à la retraite, de plus en plus d’entre eux caressent l’idée d’une seconde carrière. En 2014, un sondage du SE-Unsa estimait qu’un quart des enseignants songeait à une reconversion. Un rapport du Sénat pointait aussi, mi-décembre, une « progression inquiétante » des démissions chez les débutants. Même s’il reste faible – 2 à 3 % –, ce taux sonne comme une alerte. D’autant qu’aux démissions, définitives, s’ajoutent les mises en disponibilité que certains reconduisent d’année en année, bien décidés à ne plus enseigner.

Rémi Boyer a vu le phénomène grossir au fil des ans. En 2006, cet agrégé de géographie crée Aidoprofs, une association de soutien aux enseignants tentés de quitter le navire, qui devient Aide aux profs en 2008 et rebaptisée depuis Après prof. « Je croisais de plus en plus de collègues qui en avaient marre, explique-t-il, mais cette question n’était traitée ni par l’administration ni par les syndicats. » Le jour où le Café pédagogique, média de référence sur l’éducation, mentionne pour la première fois son site, le nombre de visites explose. « D’une toutes les deux semaines, on est passé à plus de 1 000 par jour », note Rémi Boyer. En dix ans, 12 500 profs l’ont contacté.

Partir heureux plutôt qu’aigri.

Tous ceux qui partent ne fuient pas l’enseignement lui-même. Devenu instituteur en 1991, Jean-Michel Lavallard commence sa carrière avec bonheur dans les quartiers défavorisés de Marseille. « C’est là que le métier prend tout son sens », assure-t-il. Il dirige ensuite une petite école à trois niveaux, « un rêve ». Après vingt ans de maison, il décide pourtant de prendre le large. « J’ai eu peur de m’endormir sur mes acquis, résume-t-il. Je n’imaginais pas rester face aux élèves en ayant perdu la flamme. » Une crainte d’autant plus forte que les carrières se sont allongées depuis la réforme des retraites de 2003. Plutôt que risquer de devenir « un prof aigri », Jean-Michel Lavallard est parti « en prof heureux ». À 48 ans, toujours en disponibilité, il est à la tête de deux start-up installées dans le Gard. L’une forme les enseignants au numérique, l’autre met en relation élèves et profs particuliers.

D’autres départs sont plus teintés d’amertume. Des conditions de travail dégradées, une inspection éprouvante, un conflit avec un élève ou ses parents jouent le rôle de détonateur. « Les reconversions sont souvent liées à une souffrance, plus qu’à un projet », estime Karine Lamoureux, en charge de la formation et du développement professionnel pour le SE-Unsa. Prof d’anglais, Myriam Fouasse est sortie rincée de ses neuf ans à enseigner. À partir de 2003, elle enchaîne les remplacements sans y trouver son compte. « Il fallait chaque fois recréer des liens avec les collègues, se souvient-elle. Impossible de monter des projets, car les budgets étaient déjà votés. J’ignorais aussi ce que devenaient mes élèves. » Lors d’une énième affectation, elle dépasse les cinquante heures de travail par semaine. Son moral et sa santé flanchent. « Je ne savais plus pourquoi je me levais le matin, décrit-elle. J’avais une boule au ventre en arrivant au lycée. » Petite-fille et femme de vigneron, elle se tourne alors vers l’œnotourisme en Indre-et-Loire. Une formation à l’université et quelques CDD plus tard, elle crée sa micro-entreprise.

Un parcours difficile.

Les reconversions réussies cachent toutefois une multitude d’obstacles. Dans une profession perçue comme un sacerdoce, le premier est psychologique. Quand, au début des années 2010, Magali Flesia prend la décision de partir, le sujet est « tabou ». « Beaucoup de profs ont passé du temps à préparer les concours, peut-être qu’ils y voient une forme d’échec, avance cette ancienne enseignante en italien d’Aix-en-Provence. Ce n’est pas non plus facile de renoncer à un métier dont on dit qu’il est le plus beau du monde. » Magali Flesia se souvient du soulagement ressenti le jour où, en salle des profs, elle tape « reconversion » dans Google : « Je suis tombée sur une foule de témoignages qui ont légitimé mes doutes. »

Une fois son choix assumé se pose la question financière. Finie la paie qui tombe à la fin du mois. Voire la sécurité de l’emploi, en cas de démission. « La première chose que mes collègues m’ont dite, c’est : “Tu es sûre d’en vivre” », s’amuse-t-elle. En 2014, elle opte pour un mi-temps annualisé : six mois de travail, puis six mois de liberté. Pratique pour tester la viabilité des prestations de coaching qu’elle veut développer. Après vingt-cinq ans dans l’Éducation nationale, Catherine Malausséna a, quant à elle, bénéficié de l’indemnité de départ volontaire (IDV) attribuée à certains profs qui démissionnent pour créer leur entreprise. Installée à Avignon, cette quinqua a monté un cabinet de pédagogie positive, où elle accompagne les élèves en souffrance scolaire. Montant de l’enveloppe : un an de traitement brut. La somme maximale a longtemps été fixée à deux ans, mais le ministère l’a récemment rognée. Un signe que l’institution décourage les mobilités ? Catherine Malausséna en est persuadée. « Quand j’étais en poste, j’avais demandé à utiliser mon DIF pour me former. Cela m’a été refusé », regrette-t-elle. Beaucoup de « reconvertis » partagent un même ressenti : rien n’est fait pour inciter les profs à changer de cap. Il leur faut chercher les informations par eux-mêmes, souvent hors de l’Éducation nationale. Jean-Michel Lavallard pointe aussi les lourdeurs qui freinent les velléités de départ. Tout changement de parcours doit être soumis plus de six mois avant la rentrée. Un horizon difficile à concilier avec un projet dans le privé. Au début des années 2000, Microsoft repère Jean-Michel Lavallard dans un article du Figaro magazine consacré à sa classe pilote en matière d’utilisation des nouvelles technologies. Le groupe lui propose de les rejoindre pour travailler sur le numérique à l’école. « J’avais passé des entretiens, mais j’ai dû reculer plusieurs fois, faute de visibilité, regrette-t-il. Heureusement qu’ils ont été patients. » Inversement, un prof en disponibilité, qui réalise en janvier que son projet patine, doit attendre septembre pour retrouver une classe… et un salaire. Les réticences de l’institution s’expliquent sans surprise par le manque de personnel.

« L’Éducation nationale a conscience d’être menacée de pénurie et fait tout pour les retenir », affirme Albert-Jean Mougin, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc). Son syndicat vient de créer Mobi-Snalc, une plate-forme animée par Rémi Boyer et destinée aux adhérents qui veulent évoluer. « Ceux qui souhaitent rester profs toute leur vie doivent pouvoir le faire, mais les autres ne devraient pas rester sans réponse », assène le syndicaliste.

Des profils atypiques.

D’autant plus que les profs ont des atouts à faire valoir hors de l’école. Des milliers d’ex-enseignants trouvent leur place dans l’entrepreneuriat, les associations ou encore les collectivités. Dans les entreprises aussi, même si les passerelles sont moins évidentes. « Un profil de prof n’y est pas toujours jugé attractif », lance Maxime Kaprielian, qui a enseigné la musique. Désireux de changer de métier, il découvre les joies des CV, des lettres de motivation et postule dans des maisons de disques. Sans succès. « Les recruteurs demandaient une expérience que je n’avais pas encore. » Mais sa tentative se révèle positive. « Décrocher des entretiens est déjà bon pour l’estime de soi », assure-t-il. Maxime Kaprielian travaille aujourd’hui comme conseiller artistique et chargé de diffusion pour un ensemble musical. Seuls inconvénients de sa reconversion, un salaire et des congés plus maigres. « Mais quand je travaille tard, j’ai droit à des récupérations, indique-t-il. L’imprimante de mon bureau fonctionne. Mes notes de frais sont remboursées en vingt-quatre heures et j’ai déjà profité d’un congé de formation. Tout cela n’allait pas de soi au collège ! » Son employeur, lui-même ancien enseignant, l’a accueilli sans préjugés.

Parmi les compétences des profs bien vues des employeurs, « un degré de formation initiale élevé, une large culture générale et l’habitude de travailler avec des publics variés », pointe Albert-Jean Mougin, qui souligne « qu’un enseignant côtoie une centaine de personnes par semaine ». Lors de ses circuits dans les vignobles, Myriam Fouasse met aussi à profit « le sens du relationnel et de la pédagogie » hérité de ses années en classe. « Et prof est un métier de rigueur, ajoute-t-elle, une qualité indispensable pour les tâches administratives. » Magali Flesia, l’ex-prof d’italien, propose aujourd’hui ses services de coach aux grandes entreprises comme aux PME. Parallèlement à l’enseignement, elle s’était lancée dans le théâtre d’improvisation et avait commencé à se faire un nom dans ce domaine. C’est par cette expertise-là qu’elle a d’abord démarché des clients. Habituée à animer des groupes, elle se sent comme un poisson dans l’eau dans les sessions de « team building ». Elle admet avoir complexé, au début de sa nouvelle vie. « Le monde de l’entreprise me paraissait si éloigné que j’avais l’impression de ne pas être légitime, admet-elle. Mais j’ai fini par comprendre que les clients attendent justement de moi un regard différent. » Ou comment un parcours singulier peut devenir une force.

Des dispositifs peu opérants

L’Éducation nationale a mis du temps à accepter l’idée que ses professeurs puissent rêver d’une seconde partie de carrière, qu’il s’agisse de briguer un détachement, une mise en disponibilité ou une démission. Josette Théophile, ancienne de la RATP nommée DRH au ministère entre 2009 et 2012, a contribué à développer un réseau de conseillers mobilité dans les rectorats. Mais cinq ans plus tard, leur efficacité est contestée. « Les échos que l’on en a, c’est qu’ils se contentent de donner des mouchoirs aux gens pour pleurer, littéralement, s’agace Rémi Boyer, de l’association Après prof. Les enseignants qui ont un projet d’entreprise s’entendent dire qu’ils n’en vivront pas. Et le bilan se termine généralement par : « Vous feriez un très bon chef d’établissement, car justement, on en manque ! » On confine les profs dans ce qu’ils savent déjà faire. » L’académie de Paris n’a pas donné suite à notre demande d’interview sur ce sujet. Mais les échos sont les mêmes au Syndicat national des enseignements de second degré (Snes). « Beaucoup de nos adhérents ne les sollicitent pas, car leurs conseils restent très généralistes », juge Benoît Teste, secrétaire général adjoint. « Ceux qui n’arrivent pas avec un projet déjà ficelé – une idée de formation en tête par exemple – en ressortent déçus. » Par ailleurs, des initiatives censées faciliter les mouvements au sein de la fonction publique sont aussi tombées à l’eau. Ainsi, ce décret de 2005 qui prévoyait 500 postes pour permettre aux profs de changer de service sans concours. « L’administration n’a pas suivi, soupire Rémi Boyer. Il n’y en a eu que quelques dizaines. »

Auteur

  • Alexia Eychenne