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Décodages

Le numérique pour développer l’artisanat 2.0

Décodages | publié le : 03.04.2017 | Adeline Farge

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Le numérique pour développer l’artisanat 2.0

Crédit photo Adeline Farge

Labellisé Grande École du numérique, le fablab Ici Montreuil forme des personnes en reconversion professionnelle aux nouveaux métiers du digital. Entre l’apprentissage de la modélisation 3D et la découpeuse laser, cette formation pourrait les aider à donner un nouveau souffle à leur carrière.

Derrière leur ordinateur, le regard concentré, Nathalie et Émilie sont occupées à modéliser en 3D le plateau d’un jeu d’adresse. Une fois le dessin finalisé, les deux camarades se dirigent vers la découpeuse laser. De leurs mains encore hésitantes, elles programment en quelques clics depuis un logiciel la profondeur et la puissance du laser de cette machine imposante. En brûlant la matière, ce faisceau rouge trace sur le support en suivant au millimètre près les contours du gabarit et le parcours que devra emprunter la bille, et creuse les trous à éviter par les joueurs. Grâce à ces nouvelles technologies, elles graveront ensuite sur le plateau les motifs de leur choix et le personnaliseront dans les moindres détails. « Le numérique a démultiplié les possibilités de création », se réjouissent-elles. Bien qu’attirées par les activités manuelles, ni l’une ni l’autre ne se prédestinaient pourtant a embrasser une carrière artistique. Ancienne chargée de clientèle, Nathalie a démissionné de son poste en 2013 pour reprendre ses études qu’elle avait dû abandonner à 19 ans pour faire bouillir la marmite de toute la famille. Après avoir enchaîné les périodes de chômage et les petits boulots, cette femme dynamique rêve aujourd’hui, à 46 ans, de lancer sa propre plateforme de vente de vêtements en ligne. « Dans mon ancienne société, je ne me reconnaissais plus dans le management au résultat. Désormais, j’ai envie de travailler à mon compte et de porter un projet qui me ressemble. Cette formation m’a permis de rencontrer de futurs collègues et elle m’a ouvert de nouvelles perspectives. »

Dans cette ancienne usine de matériel électrique, le lieu de fabrication collaboratif et solidaire Ici Montreuil accueille artistes, artisans, entrepreneurs et start-up de la création. Sur 2 013 m2, ces 160 professionnels s’entraident et mutualisent leurs compétences pour donner vie à leurs projets. Moyennant un abonnement mensuel, les résidents profitent d’espaces de coworking et d’un vaste parc de machines. En dehors des scies circulaires, des postes à souder, des raboteuses traditionnelles, les nouvelles générations de « makers » trouvent à Ici Montreuil des machines dernier cri pour concevoir et fabriquer leurs prototypes.

Entre numérique et artisanat.

Montée de toutes pièces par Ici Montreuil, la formation Entrepreneur Maker, d’une durée de cinq mois, mêle l’apprentissage des techniques de la conception et de la fabrication numérique à l’acquisition des compétences entrepreneuriales. Tous originaires de Montreuil et demandeurs d’emploi de longue durée, les 14 stagiaires en pleine reconversion professionnelle sont initiés depuis le mois de janvier aux joies du business plan, de la gestion des réseaux sociaux, du prototypage d’objets connectés, de la modélisation et impression 3D, de la découpe laser et fraiseuse numérique et du codage. « Les métiers de l’artisanat intègrent de plus en plus les outils numériques dans les méthodes de travail. À l’issue de cette formation, ils ne deviendront pas des artisans aboutis mais ils auront acquis des compétences qui leur permettront de concrétiser leurs projets et de fabriquer leurs propres objets », souligne Clément Lefeuvre, forgeur numérique et responsable de la formation.

Mais pas question d’oublier les savoir-faire traditionnels. Dans les ateliers dédiés aux artisans de tous domaines (maroquinerie, bijouterie, ébénisterie, lutherie, design…), les néophythes s’adonnent au travail de la matière brute avec les mains : bois, textile, cuir, métal. Et qui de mieux placés que les artisans eux-mêmes pour leur transmettre les savoir-faire et les valeurs de leur métier ? Dans cette formation, ce sont les résidents qui jouent le rôle de professeurs auprès des élèves qui, pour la majorité, ont délaissé les bancs de l’école depuis longtemps. « Les stagiaires n’ont pas deux ans devant eux pour apprendre les bases du métier. Tout de suite, nous les confrontons aux réalités de l’atelier et aux contraintes des procédés de fabrication. Ils vont apprendre les techniques artisanales en les pratiquant directement », raconte Julien Goffinet, créateur de mobilier.

De réels débouchés à la clé.

Car l’ambition est grande. Après cette formation, les participants auront l’opportunité de créer leur entreprise, de devenir responsable du prototypage dans une start-up, de travailler dans un fablab. « Tous les secteurs sont en train de se digitaliser et de nouveaux métiers apparaissent, constate Nicolas Bard, cofondateur d’Ici Montreuil. Avec le développement des objets connectés et des applications mobiles, les entreprises sont à l’affût de ce type de compétences. » Tout naturellement, Ici Montreuil a rejoint le réseau des « fabriques » qui dispensent, partout dans l’Hexagone, des formations labellisées par l’État « Grande École du numérique », un programme lancé par François Hollande à l’automne 2015.

De courte durée, gratuites et certifiantes, ces formations préparent à des métiers aussi variés que développeurs Web, webmaster, community manager, Web designer, conseiller informatique. Actuellement au nombre de 268, elles visent à combler les besoins de recrutement des entreprises du numérique, un secteur en forte tension. Selon le rapport de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), le nombre de postes non pourvus dans ce domaine, faute de diplômés suffisants, est évalué à 50 000 actuellement et à plus de 190 000 d’ici à 2022. « Le numérique est un secteur en plein développement où les opportunités professionnelles sont importantes. Or, les métiers manquent encore d’attractivité, notamment auprès des femmes, et les personnes formées ne sont pas assez nombreuses. Les PME n’arrivent pas à embaucher », remarque Samia Ghozlane, directrice de la Grande École du numérique.

Des formations sur mesure.

Le digital serait ainsi une véritable porte d’entrée sur le marché du travail. Ce réseau s’est fixé comme défi de former, d’ici à fin 2017, pas moins de 10 000 apprenants, en ciblant en priorité les jeunes éloignés de l’emploi, sans qualification et issus des quartiers prioritaires. Pour recruter ce public qui échappe aux radars des institutions scolaires, les écoles travaillent en partenariat avec Pôle emploi et les missions locales. Des aides financières pourraient également être ouvertes prochainement pour les convaincre d’intégrer ces formations 2.0.

Si les formations n’exigent pas de prérequis académiques, les candidats sont tout de même triés sur le volet avec en guise d’épreuve finale la « piscine », au cours de laquelle les futurs élèves de la Web@cadémie sont invités à coder plus de dix heures par jour durant trois semaines. « Nous ne cherchons pas à évaluer leur maîtrise de l’informatique mais leur motivation et leur appétence pour l’outil. Beaucoup de décrocheurs ont eu des parcours accidentés et accumulent les difficultés sociales. Nous allons les aider à se remettre sur les rails en leur proposant une formation intensive dans une école prestigieuse. Le numérique peut servir d’ascenseur social », rassure Sophie Viger, directrice de la Web@cadémie. Cette école gratuite fondée par l’école d’informatique Epitech et l’association Zup de Co, est située au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne).

Dans cette école réservée aux décrocheurs scolaires de 18 à 25 ans, les élèves apprennent en deux ans – dont une année en alternance – à devenir développeurs Web et ressortent avec en poche un certificat de niveau bac + 2 de l’Epitech. C’est au travers de pédagogies innovantes mixant apprentissage entre pairs et travail en mode projet qu’ils s’adonnent à la programmation informatique. « Nous ne les remettons pas dans le système classique de l’école qu’ils ont fuie. Mais nous les amenons à chercher en autonomie des solutions à leurs problèmes et à s’entraider. Ces méthodes les responsabilisent et leur redonnent confiance en eux », insiste Sophie Viger, qui veille à ce que ses ouailles assimilent les codes de l’entreprise. Pour coller au plus près des attentes du marché, des acteurs privés (Société générale, Capgemini, Google, Syntec numérique) ont fait leur entrée dans le groupement d’intérêt public pilotant le dispositif. « Aujourd’hui, le secteur du numérique est en mutation perpétuelle. Les formations traditionnelles n’ont pas le temps de s’adapter aux évolutions technologiques. Nous cherchons à peser sur le contenu des formations labellisées pour qu’elles répondent aux besoins des entreprises. Les futurs professionnels doivent avoir toutes les cartes en main pour accéder à un emploi pérenne », explique Olivier Coone, délégué à la formation chez Syntec numérique. Ces partenaires s’engagent à venir piocher dans ce vivier de candidats. « Cette initiative est un levier supplémentaire pour identifier et attirer nos futurs collaborateurs. En 2017, 10 % de nos recrutements de développeurs informatiques auront lieu dans les formations labellisées. C’est une solution efficace pour pallier la pénurie de talents que nous rencontrons », précise Géraldine Plenier, directrice responsabilité sociale et environnementale de Capgemini.

Des résultats contrastés.

Reste que, malgré un coup de pouce financier de l’État (15 millions d’euros ont été débloqués), les premiers résultats d’insertion sont mitigés, selon une note, publiée en août 2016 par les ministères du Travail et du Numérique. Principal obstacle : les formations sont loin d’être toutes inscrites au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). « Ce label manque de reconnaissance de la part des employeurs. Certains sont encore réticents à recruter ces profils atypiques. Ils attendent des niveaux d’expertise élevés. Nous sommes obligés de prendre notre bâton de pèlerin et de multiplier les occasions de rencontrer les entreprises. Il faut beaucoup d’énergie pour les convaincre », regrette Mathilde Chaboche, coordinatrice de Simplon Mars, formation à la programmation web, qui décroche 70 % de sorties positives. Cette dernière mise sur la marque Centrale Marseille pour mobiliser ses partenaires et placer ses étudiants. « Alors qu’ils n’avaient pas le bac, des apprenants ont repris des études supérieures en informatique. Nous avons réussi à les réconcilier avec l’apprentissage », précise-t-elle. De son côté, Ici Montreuil compte sur le coaching par des entrepreneurs, des responsables RH et marketing de la société Eqiom et des artisans d’ateliers de haute couture. « Les professionnels vont partager leur expérience de création d’entreprise et leur parler des réalités de leur métier. Ces rencontres vont les aider à élargir leur réseau », indique Nicolas Bard. Et leur donner de bons tuyaux pour lancer avec succès leur entreprise « Made in France ».

Auteur

  • Adeline Farge