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Quand les entreprises régulent la charge

À la une | publié le : 03.04.2017 | Sabine Germain

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Quand les entreprises régulent la charge

Crédit photo Sabine Germain

Qu’elles passent par un accord collectif ou s’appuient sur une démarche plus empirique, certaines entreprises se sont penchées sur la question de la charge de travail de leurs salariés, notamment les cadres au forfait jours. Gros plan sur les dispositifs mis en œuvre chez BPCE, Orange et Bosch.

Il est scientifiquement établi que travailler trop nuit à la productivité », explique Jean-Christophe Procot, senior manager chez Wavestone. Ce cabinet de conseil l’a vérifié sur le terrain en évaluant la productivité d’une équipe de commerciaux dont la charge de travail était très importante. « Après leurs rendez-vous en clientèle, ils devaient gérer de nombreuses tâches administratives et accumulaient la fatigue », poursuit Arnaud Bahri, lui aussi senior manager. Dans ce métier où la forme et la posture physique jouent un rôle déterminant, certains se sont rendu compte qu’ils étaient moins performants en clientèle quand ils avaient trop travaillé. »

Ils ont alors décidé d’alléger leur planning de rendez-vous. Résultat : ils ont engrangé moins de contrats mais généré davantage de chiffre d’affaires. Appliquée à l’ensemble des forces commerciales, cette décision a eu un effet spectaculaire. « Réduire la charge de travail de 20 % a amélioré la performance de 3 % », conclut Jean-Christophe Procot en ajoutant que « quand on mesure la charge de travail, il faut aussi s’intéresser à son efficience ». Ce qui repose sur une approche très « terrain ».

La Caisse d’épargne fait parler ses salariés

C’est précisément la stratégie adoptée par la Caisse d’épargne Côte d’Azur (Cecaz) dans la mise en œuvre de l’accord national ratifié au sein du groupe BPCE en octobre 2012. Au printemps 2013, un groupe de travail d’une centaine de managers et de cadres RH a formulé des recommandations qui ont été testées pendant un an avant d’aboutir à un accord d’application en 2015, « signé par l’ensemble des partenaires sociaux », se félicite Dominique Vray. Responsable de la prévention des risques professionnels à la Cecaz, elle a souhaité que cette démarche soit à la fois paritaire et pluridisciplinaire, « associant la médecine du travail, l’inspection du travail, la Carsat, le CHSCT… »

Un panel de sept agences bancaires représentatives (en termes de taille et d’implantation géographique) a été constitué afin d’identifier les situations de travail pouvant poser problème et d’élaborer un premier diagnostic. « Nous avons travaillé avec l’Anact, qui a pris le parti de rester au plus près des mots des salariés, explique Dominique Vray. Quand une personne estime qu’elle a “beaucoup” de mails et d’appels à gérer, peu importe le chiffre qui se cache derrière ce terme. Le fait est qu’il lui semble excessif. »

Ce diagnostic a débouché sur un plan d’actions décliné lui-même auprès de toutes les directions, avec des indicateurs de suivi spécifiques. « C’est une démarche longue et minutieuse, commente Dominique Vray. Mais elle permet de réellement tenir compte des spécificités humaines et géographiques de chacune des caisses régionales du groupe BPCE. »

Orange s’intéresse au ressenti

« Nous sommes convaincus que la qualité de l’expérience des collaborateurs conditionne la qualité de l’expérience des clients », explique Anne Le Fur, directrice de l’environnement du travail d’Orange France pour justifier la signature d’un accord de méthodologie sur l’évaluation et l’adaptation de la charge de travail, le 21 juin 2016*. Il faut dire que le groupe de 96 000 salariés est engagé dans un mouvement de transformation qui se traduit, en termes de gestion prévisionnelle des emplois, par le non-remplacement de deux départs sur trois. « Saisie par les partenaires sociaux, la direction s’est engagée à assurer, dans ce contexte, une charge de travail équilibrée à ses collaborateurs », poursuit Anne Le Fur.

En s’inspirant des travaux de l’Anact et de la distinction entre les notions de travail prescrit, travail vécu et travail subi, Orange a souhaité que cet accord soit très opérationnel, au plus près des réalités vécues : « Pour sortir du débat théorique sur la charge et le temps de travail, nous avons pris le parti de faire parler les salariés de leur métier et de mettre en lumière les irritants, explique Anne Le Fur. Cela nous a permis de mettre une véritable boîte à outils à la disposition des managers. » Élaboration d’une grille d’entretien sur la charge de travail, formation des managers pendant deux jours, accompagnement des partenaires sociaux et des 257 CHSCT dans l’appropriation de cet accord. « Nous ne sommes pas dans une logique d’évaluation quantitative de la charge de travail mais sur le ressenti des collaborateurs, explique Jean-Paul Portron, directeur des services partagés. C’est une approche novatrice, qui nous oblige à travailler dans le dialogue avec le management, les collaborateurs et les partenaires sociaux. »

Mais c’est une approche représentative de la culture managériale d’Orange, dont le pacte social repose aujourd’hui sur trois textes majeurs : les accords sur la charge de travail (juin 2016), sur le numérique (juillet 2016) et sur la reconnaissance des qualifications (février 2017). « Ces trois accords modifient considérablement et durablement le fonctionnement de l’entreprise, son organisation et sa représentation du travail », estime Jean-Paul Portron.

Bosch France surveille les temps de repos

Pour mieux maîtriser la charge de travail de ses cadres, le groupe industriel Robert Bosch France (7 800 salariés) a décidé de mesurer leur temps de repos. « En 2008, quand nous avons fusionné juridiquement plusieurs entités du groupe, il nous a fallu harmoniser leurs accords temps de travail, explique Dominique Olivier, DRH. Les 2 000 cadres sont alors passés en forfait jours. »

Pour éviter de les laisser se noyer dans des journées à rallonge, le groupe a décidé de remettre les pointeuses en service, avec un seul impératif : respecter une plage de repos de douze heures entre deux journées de travail (soit une heure de plus que dans la convention collective de la métallurgie, qui impose onze heures de repos consécutifs). « Quand ce temps de repos n’est pas respecté, le système informatique envoie un mail de rappel des règles au cadre et à son manager », explique Dominique Olivier. Si l’alerte est trop souvent déclenchée, le manager doit impérativement en parler à son collaborateur, sur le moment ou au cours de l’entretien annuel.

Une annexe « forfait jours » a en effet été ajoutée à la grille d’entretien. Sept questions y sont abordées : comment appréciez-vous votre charge de travail ? Vivez-vous bien cette charge ? L’amplitude de vos journées de travail vous paraît-elle raisonnable ? Votre organisation vous semble-t-elle satisfaisante ? Vous permet-elle de concilier vie professionnelle et vie personnelle ? L’utilisation des technologies d’information et de communication (TIC) vous permet-elle de respecter cet équilibre ? Vous sentez-vous suffisamment formé pour exercer votre fonction ? « Si le cadre coche plusieurs fois la case « Non », cela signifie qu’il y a un problème », commente Dominique Olivier. Ce problème peut être appréhendé de façon individuelle ou collective. « Nous pouvons repérer les équipes qui se laissent dériver. Cela peut notamment arriver pour les équipes internationales, qui doivent travailler aux mêmes horaires que leurs collègues américains ou asiatiques. »

Dire que le fait de remettre les badgeuses en service a été bien vécu serait excessif. « Peu de DRH sont prêts à franchir le pas de peur de donner le sentiment de surveiller les cadres, explique Dominique Olivier. Pourtant, les cadres se sont très vite rendu compte que le système informatique n’était réellement calibré que pour mesurer leur temps de repos. » De plus, le chapitre « temps de travail » des entretiens annuels a permis d’identifier des situations anormales. « 35 cadres ont pu dire qu’ils n’avaient pas assez de travail et qu’ils le vivaient mal ; 35 autres ont, au contraire, fait part de leur surcharge, explique Dominique Olivier. Nous avons alors organisé des réunions tripartites avec les RH, le cadre et son manager. » Ce qui amène le DRH à considérer que « les outils mis en place sont satisfaisants. Ils prouvent que la prévention existe et qu’elle fonctionne. »

* Accord ratifié par la CFDT, CFE-CGC et FO, représentant 52 % des voix.

Auteur

  • Sabine Germain