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Idées

La création d’un revenu universel est-elle une bonne chose pour les salariés ?

Idées | Débat | publié le : 06.03.2017 |

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La création d’un revenu universel est-elle une bonne chose pour les salariés ?

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Le revenu universel est paré de toutes les vertus par ses défenseurs. Moyen d’éradiquer la précarité et la pauvreté. ou solution pour modifier le rapport de force entre entreprises et salariés les plus fragiles. Mais le choix de son financement conditionne la réalisation concrète de cette mesure.

Pascal Pavageau Secrétaire confédéral du syndicat Force ouvrière.

Théorisé depuis le début du XXe siècle, le revenu universel s’est invité dans la campagne présidentielle. L’idée séduit, elle peut comporter une dimension utopique, le revenu universel étant paré de toutes les vertus. Mais ne nous leurrons pas, au-delà des objectifs affichés – éradiquer la précarité et la pauvreté mais aussi permettre à l’individu de s’affranchir du travail en le libérant pour entreprendre ou se former –, il s’agit souvent de rationaliser le système actuel des prestations sociales, jugé trop coûteux. D’emblée se pose la question du financement. Or l’absence de financement pérenne met en cause la viabilité du dispositif. Mettre un terme à la pauvreté suppose que soit alloué à chacun un revenu suffisamment important pour couvrir ses dépenses élémentaires. La théorie se heurte alors à la faisabilité. Les recherches chiffrent à seulement 350 euros par mois le montant pouvant être octroyé après avoir ponctionné et reformaté l’ensemble des minima sociaux. Dans ce cas les ménages et salariés les plus précaires seraient pénalisés par la suppression des aides ciblées. Au-delà, ils peuvent l’être à nouveau s’il s’agit, par exemple, d’augmenter fortement la TVA. Et surtout ce revenu restera insuffisant pour vivre dignement, c’est-à-dire pouvoir répondre aux besoins élémentaires. Il ne faudrait pas qu’un tel revenu transforme le salaire en revenu complémentaire. Là où existe un salaire aujourd’hui, il pourrait y avoir une occupation demain renforçant le lien de subordination économique. Cela risque d’ouvrir, de fait, la porte à une déréglementation encore plus grande du marché du travail, cautionnant ainsi le phénomène d’« ubérisation ». Rien ne s’opposera alors à la déresponsabilisation sociale, tant des entreprises par le versement de plus faibles rémunérations que de l’État par la remise en cause du smic voire du montant dudit revenu. Instaurer un revenu universel comme « solde de tout compte » conduirait non seulement à mettre à mal les principes de solidarité et de justice sociale sur lesquels repose notre système de protection sociale collective, mais aussi à transformer en profondeur notre société vers une ère où triomphe le chacun pour soi.

Loïc Pajot Militant et porte parole du Mouvement français pour un revenu de base.

Le revenu de base – ou revenu universel – est un outil qui peut être mis au service de différents projets de société. À mes yeux, la question est de savoir s’il peut contribuer à modifier le rapport de force en faveur des salariés les plus fragiles. Mais le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) est un lieu de rencontre, d’échanges et de débat entre les différentes propositions de revenu de base que je ne représente pas en totalité. Cette question sur une possible évolution du rapport de force en faveur des salariés les plus fragiles – donc les peu qualifiés, à faibles revenus et emplois courts – m’apparaît cependant centrale. Un revenu de base doit être émancipateur. Il offre la possibilité d’échapper au chantage à l’emploi, dans une société où l’emploi se raréfie comme dans une société de plein-emploi. Il permet aussi le développement de nouvelles formes d’activités pour lesquelles l’emploi salarié n’est pas toujours le cadre le plus adapté, ni même le plus désirable. Concrètement, ma version du revenu universel n’est pas particulièrement favorable aux hauts revenus. En effet, la réforme fiscale qui l’accompagnerait aurait un effet de redistribution assez important. Le revenu de base serait financé grâce à l’impôt (sur le revenu, sur le patrimoine, etc.) et les hauts revenus y contribueraient davantage. Les salariés ayant des revenus médians ne seraient pas ou peu affectés en termes de revenu disponible, mais cela contribuerait sans doute à une légère diminution de leur temps de travail puisque le passage à un temps partiel leur serait moins défavorable qu’actuellement. En revanche, cela change tout pour le salarié ayant de faibles revenus. Il verrait son revenu disponible augmenter, ce qui contribuerait à répondre au problème des travailleurs pauvres. Cela lui donnerait aussi les moyens de négocier un meilleur salaire, de meilleures conditions de travail… puisqu’il lui serait plus facile de le quitter. En plus d’être un réel outil de lutte contre la pauvreté, un outil de réduction des inégalités (de revenus, mais également d’accès à un emploi désirable), ou encore un moyen de favoriser l’entrepreneuriat, le revenu de base serait une forme de flexibilisation par la sécurisation des revenus.

Christèle Martin Déléguée générale du Groupement des professions de service, membre du Medef.

Imaginer un revenu universel, c’est tenter de trouver une réponse aux mutations profondes du travail. Et penser que le travail se raréfie, notamment pour les travailleurs les moins qualifiés. Le revenu universel serait donc un instrument de répartition d’une richesse créée par les plus qualifiés. Ce constat de départ nous semble mal posé, car il n’y a pas raréfaction du travail aujourd’hui. De nombreux secteurs sont en pénurie de main-d’œuvre : hôtellerie restauration, services à la personne, informatique, transport et logistique. Ils couvrent des métiers en développement à horizon 2022, selon une étude France stratégie. Si les freins réglementaires étaient levés, ce sont 200 000 emplois qui pourraient être créés en deux ans dans les services à la personne. Par ailleurs, les Français veulent être acteurs, ne pas subir, disposer de plus d’autonomie, et même entreprendre. Face à ces mutations, le marché du travail apparaît inadapté avec un chômage endémique et un clivage durable entre les détenteurs de CDI, de CDD, et les travailleurs indépendants de nouvelle génération, liés à l’économie des plateformes. Or le benchmark européen du GPS qui compare la France à ses voisins nous indique que, si notre pays avait la même dynamique de création d’emplois dans les services que le Royaume-Uni et l’Allemagne, il aurait pu créer entre 250 000 et 400 000 emplois supplémentaires depuis 2013. Alors de quoi avons-nous besoin aujourd’hui ? Il faut valoriser les filières pourvoyeuses d’emplois, faire monter en compétences les hommes et les femmes, mettre en place des solutions pragmatiques de lutte contre le décrochage scolaire, rendre le système d’indemnisation chômage plus incitatif à la reprise d’un emploi, poursuivre les politiques de baisse du coût du travail. Et enfin, adapter le droit du travail en faveur d’une flexibilité responsable qui concilie la satisfaction des attentes des consommateurs et la protection de l’ensemble des travailleurs. À l’aube du XXIe siècle, le marché du travail vit une véritable révolution, portée par les transformations économiques et sociétales et les technologies numériques. Ce n’est pas la fin du travail qui s’annonce, mais bien un retour de l’humain via la création de nouveaux métiers, et donc d’emplois dans les services.

Ce qu’il faut retenir

// Revenu de base, allocation universelle, revenu d’existence. Le principe reste de verser à tous une allocation mensuelle identique, sans condition de ressources. Objectif, éradiquer la grande pauvreté et repenser la place du travail dans la société.

// Depuis le 1er janvier, la Finlande applique ce système et verse 560 euros mensuels à 2000 demandeurs d’emploi. En 2016, la Nouvelle-Aquitaine a lancé une concertation sur le revenu de base en vue de son expérimentation. La Gironde a mis en ligne en février un simulateur pour tester le revenu universel.

// Au cours de la campagne présidentielle, Benoît Hamon a proposé de créer l’équivalent du RSA-Socle (535 euros), puis de distribuer 750 euros mensuels à terme.

// Le budget annuel oscillerait entre 200 et 400 milliards. Différents financements sont évoqués comme la taxation accrue des hauts revenus, des transactions financières et des robots, la lutte contre l’évasion fiscale, la fusion des dépenses de l’État.

En chiffres

785 €

C’est le montant du revenu universel préconisé pour ne pas dégrader la situation des bénéficiaires actuels des minima sociaux.

588 c’est en milliards, le coût du revenu universel.

480 c’est, en milliards, le montant des dépenses supplémentaires, en tenant compte des économies sur les prestations réalisables. Source OFCE