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Régis Lebrun prend soin de la culture sociale de Fleury Michon

Décodages | publié le : 06.03.2017 | Éric Béal

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Régis Lebrun prend soin de la culture sociale de Fleury Michon

Crédit photo Éric Béal

Maintenir les performances économiques tout en conservant et en développant les avancées sociales historiques qui sont la marque de Fleury Michon depuis cinquante ans, une équation à variables multiples que doit résoudre Régis Lebrun, directeur général du leader français de la salaison.

La femme et l’homme ont vaguement l’air de chirurgiens avec leur tenue blanche, leurs bottes et leur charlotte immaculées. Sur le quai d’arrivage du site Fleury Michon à Pouzauges gare, ils déchargent les caisses de viande fraîche de l’arrière d’un camion et les stockent dans une grande pièce frigorifique. Non sans avoir scanné leur étiquette pour assurer la traçabilité des produits. Les deux employés présents lors de cette matinée de janvier assurent ce travail sans toucher à la viande grâce à des monte-charge. Confort de travail identique au début de la chaîne de production pour le gestionnaire de flux, qui ne nourrit plus la première machine en portant les caisses sur ses épaules mais en utilisant un porte-charge. À tous les stades de la chaîne de production, des machines suppriment les efforts physiques des ouvriers. Les femmes – qui représentent un tiers des effectifs – comme les hommes peuvent ainsi changer de poste pour limiter la lassitude du corps et les troubles musculosquelettiques. Car la modernisation régulière des installations n’empêche pas les salariés d’être encore bien présents sur les lignes de production de jambons et rôtis de porc du leader du marché français de la salaison. La qualité des produits est toujours vérifiée par d’anciens bouchers qui, couteau en main, retirent les morceaux de gras en trop. Plus loin, des ouvrières continuent de positionner les morceaux de viande dans des moules, « pour obtenir une forme de tranche toujours identique et un vrai moelleux en bouche », précise Laurent Roulleau, le directeur de ce site qui fut le berceau du groupe Fleury Michon dans les années 1960.

Depuis cinquante ans, la ligne directrice de cette entreprise de taille intermédiaire (ETI) qui dame le pion aux géants de l’agroalimentaire n’a pas changé. « Il s’agit de concilier performance économique et progrès social », rappelle Régis Lebrun. Passé par Intermarché, Système U et Vivarte, le directeur général de Fleury Michon depuis 2006 apprécie la spécificité de cette entreprise familiale. « La famille Gonnord, propriétaire de plus de 60 % du capital, se conduit de manière responsable, explique-t-il. Ses représentants s’inscrivent dans la durée. Ils ne sont pas motivés par l’optimisation des résultats financiers. »

Concilier performance économique et sociale

« La stratégie que j’applique n’a qu’un seul objectif, d’ailleurs imposé par le conseil d’administration. C’est d’assurer la pérennité des emplois et de l’entreprise », poursuit le DG. Et d’expliquer que, pour y arriver, il faut innover sans cesse, chercher les résultats économiques et tenir bon la barre par gros temps. Pas toujours facile face aux centrales d’achat des Carrefour, Leclerc et autres Système U. L’année 2015, qui a vu une augmentation importante des volumes de production, n’a pas été un bon cru du point de vue des résultats. Pour redresser la barre en 2016, la direction a décidé de se désengager des opérations promotionnelles qui obligent à vendre à perte et de cesser de baisser les prix de vente aux grandes surfaces alimentaires pour pouvoir faire face à l’augmentation du prix des matières premières. « Je ne suis pas sous le joug du compte d’exploitation. Une mauvaise année ne remet pas en cause notre stratégie à long terme mais le futur de l’entreprise passe par des résultats corrects », rappelle Régis Lebrun.

Une règle rendue impérative du fait des engagements sociaux de la direction. Comme cet accord qui limite la précarité à 10 % des effectifs salariés. « Si le nombre d’intérimaires dépasse 10 % pendant plus de trois mois, la direction doit créer des postes en CDI », explique Alain Ansel, le secrétaire du comité d’entreprise et délégué syndical CFDT. Un engagement rappelé à la première occasion par les syndicats et qui limite la souplesse de gestion des effectifs en cas de baisse de la demande. « Les entreprises du secteur ont des effectifs intérimaires qui montent à 25 % ou 30 % du total des salariés », admet le cédétiste qui connaît bien la situation dans les autres entreprises en tant que secrétaire général de la CFDT vendéenne.

Pour faire face aux aléas de la demande, les partenaires sociaux ont signé un accord de modulation du temps de travail : il permet d’organiser des semaines de 21 à 42 heures selon les besoins, en annualisant le calcul du temps de travail. Chaque jeudi, le planning de la semaine suivante est présenté aux équipes. « L’annualisation du temps de travail est le fondement de notre organisation. C’est elle qui nous permet de bénéficier d’une réactivité très importante sur nos marchés, sans être pénalisés d’un point de vue économique par les surcoûts dus au paiement de trop nombreuses heures supplémentaires », assure Gérard Chambet, le directeur des ressources humaines. Sans nier les bons côtés de la gestion RH de son entreprise, le cégétiste Franck Crépeau estime quant à lui que la performance économique prend trop souvent le pas sur la performance sociale  : « Nous perdons régulièrement des postes d’ouvrier sur les sept usines vendéennes. Les départs en retraite ne sont pas remplacés et nous enregistrons des démissions, chose impensable il y a vingt ans », note-t-il. À ses yeux, la recherche systématique de productivité met une pression importante sur les épaules des ouvriers comme sur celles des cadres. « Nous devons en faire plus avec un effectif réduit, ce qui pèse sur la santé des salariés, ajoute-t-il. Nous enregistrons une augmentation des tendinites et, en 2016, les CHSCT ont lancé un droit d’alerte pour signaler la souffrance des salariés sur deux des dix sites français. »

Maintenir un dialogue social intense

Les représentants syndicaux et les élus du personnel sont respectés chez Fleury Michon. « Nous avons une forte tradition de dialogue social et la direction a toujours cherché à signer des accords offensifs, car nous considérons les élus du personnel comme des personnes responsables », affirme Gérard Chambet. Le DRH est bien placé pour le savoir puisqu’il a lui-même été représentant syndical du Groupement autonome des cadres, une organisation affiliée à la CFE-CGC. Les quatre organisations représentatives présentes dans l’entreprise (CFDT, CFE-CGC, CGT et FO) disposent d’un représentant au conseil d’administration. Et les élus du comité d’entreprise bénéficient de séances de formation à l’économie. « Les négociations se déroulent dans une atmosphère propice à l’écoute et au partage de vues entre la direction et les représentants syndicaux », affirment Mélanie Paillat, la représentante CFE-CGC. Un point de vue complété par Alain Ansel, qui parle d’un dialogue social « serein et beaucoup plus aisé que dans nombre d’entreprises du secteur agroalimentaire ». Mais la CGT dénonce le manque de documents préalables aux négociations et les délais très courts entre deux réunions qui ne permettent pas à ses représentants non détachés de travailler suffisamment sur leurs revendications.

Pièce maîtresse de la culture interne depuis les années 1980, le dialogue social touffu a conduit Fleury Michon à innover en matière sociale. Dès 1994, l’entreprise soutient le congé parental en octroyant une aide financière complémentaire à celle de la Caisse d’allocations familiales. Elle fut également pionnière sur la réduction du temps de travail, avec la signature d’un accord « de Robien » en décembre 1997, faisant passer le temps travaillé chaque semaine de 37 heures à 33 h 30. Vingt ans après – et malgré une tentative de retour en arrière –, cet accord reste au cœur de la politique contractuelle du groupe. « Il y a dix ans, la direction a voulu rebasculer tout le monde à 35 heures hebdomadaires, explique Alain Ansel. Majoritaire, la CFDT s’est opposée à ce retour en arrière, mais n’a pas pu empêcher une augmentation du temps de travail à la carte. » « Les jeunes générations qui ont eu du mal à entrer dans la vie active réclamaient une augmentation du temps de travail pour gagner du pouvoir d’achat », justifie Régis Lebrun, le DG (lire entretien ci-contre). De son côté, le cédétiste admet que « les salariés embauchés ces dernières années ne comprennent pas toujours la logique de l’accord de 1997 ». En 2017, un diagnostic complet sur le temps et l’organisation du travail est prévu. Des groupes de travail constitués de salariés volontaires et de représentants syndicaux seront organisés pour défricher le sujet et nourrir de futures négociations. « Nous réfléchissons à donner plus de liberté d’initiative à nos salariés sur les lignes de production, dévoile Gérard Chambet. Les jeunes générations ont d’autres aspirations et la capacité à acquérir des connaissances grâce aux nouvelles technologies. »

Faciliter l’évolution professionnelle

Pas question, en revanche, de revoir les outils de gestion RH mis en place depuis longtemps. Comme le compte épargne-temps (CET), qui peut enregistrer jusqu’à 1 600 heures (et donc l’équivalent d’un an de salaire) et facilite les départs progressifs à la retraite malgré l’absence d’accord formel sur le sujet. « L’entreprise abonde le CET si les seniors en fin de carrière utilisent leurs heures régulièrement. Ce qui institue, de fait, un temps partiel durant les dernières années », décrypte Mélanie Paillat. La direction continue également à intéresser ses salariés aux résultats économiques de l’entreprise  : les 3,5 % du capital détenus par les employés du groupe à travers un fonds commun de placement pourraient se transformer en 6,5 % cette année, après une opération d’ouverture du capital réservée aux salariés. Enfin, il y a l’investissement dans la formation  : l’entreprise y a consacré 4,4 % de sa masse salariale en 2015. Une majorité des managers sont issus de la promotion interne grâce à leur passage au sein de l’académie interne. Les managers de proximité sont souvent des anciens ouvriers promus et nombre de cadres ont suivi des formations pour changer de métier, à l’instar de Laurent Roulleau, le directeur du site de Pouzauges gare. Recruté au siège de l’entreprise avec un DESS de gestion des ressources humaines en 1992, il est passé responsable de production après une formation en microbiologie, chimie et biotechnologies au Cnam. Certains ont fait le chemin inverse, passant de la production aux RH. « L’accord signé sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences facilite les évolutions professionnelles des volontaires », confirme Alain Ansel. Sur le terrain aussi, les progressions sont possibles. Un accord au sein de l’union économique et sociale (UES), qui rassemble les sept sites de production vendéens, permet aux volontaires de changer de lieu de travail en fonction de la demande et d’augmenter leur savoir-faire dans différents métiers.

Reste que, confronté à une guerre des prix intense, Fleury Michon semble avoir de plus en plus de difficultés à concilier performance économique et sociale. Fait inhabituel chez le fabricant de jambon, l’année 2016 a été le théâtre de plusieurs conflits sociaux autour de la faiblesse des augmentations salariales. Par ailleurs, plusieurs dizaines de salariés ont mené une action devant les prud’hommes pour réclamer une majoration des heures de nuit de 40 %, conforme à la convention collective, alors que la DRH applique un taux de 20 % à 23 %. Condamnée, l’entreprise a oublié ses principes de dialogue et a fait appel. La décision est attendue début avril. Lorsque les marges se resserrent, le dialogue social se révèle plus difficile…

Chiffres clés

737,8

MILLIONS D’EUROS

Chiffre d’affaires consolidé 2016 (– 2,6 % par rapport à 2015).

3 908

Nombre de collaborateurs.

8

sites de production en France, dont 6 en Vendée.

7

sites à l’international.

66 %

Le capital détenu par les descendants des fondateurs Fleury et Michon.

Auteur

  • Éric Béal