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Vie des entreprises

Comment l'AFM et Aides mobilisent leurs troupes

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.01.2001 | Frédéric Rey

Fini l'amateurisme pour les deux mouvements de lutte contre la myopathie et le sida. L'AFM est plus professionnalisée, avec une politique salariale attractive et une gestion centralisée. La fédération Aides, qui s'appuie davantage sur le bénévolat, tente de se mettre au diapason, mais ses moyens sont plus réduits.

Record battu. En dépit de la concurrence de l'élection de Miss France sur TF1, le Téléthon 2000, diffusé en décembre sur France 2, a collecté 501 millions de francs de promesses de don, qui devraient bientôt grossir la cagnotte de l'Association française contre les myopathies (AFM). Depuis sa création en 1987, ce marathon télévisuel s'accompagne d'un grand mouvement de solidarité à travers toute la France. Un événement devenu indispensable à l'AFM, dont les ressources dépendent aujourd'hui pour 90 % de la générosité des Français. En revanche, pour Aides, association en guerre contre une autre maladie, le sida, les années de vaches maigres se suivent. Elle ne bénéficie pas du même courant de sympathie que l'AFM. Si le premier Sidaction, organisé en 1994, a permis de recueillir 330 millions de francs, les dons n'ont cessé de baisser depuis : 65 millions de francs en 1996, 10 millions en 1998. Aides s'est donc tourné vers l'État, dont les financements versés par l'intermédiaire des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) constituent aujourd'hui 60 % de ses moyens.

Une DRH venue de Digital

Contre la maladie, ces deux associations de type loi de 1901 ne se battent pas avec les mêmes armes. Avec un budget de 470 millions de francs, le « groupe » AFM emploie 525 salariés, dont 125 scientifiques dans le laboratoire du Généthon. Un pôle de recherche géré à part et doté d'une direction des ressources humaines spécifique. Aides dispose plus modestement d'un budget de 140 millions de francs et emploie quelque 350 personnes dans ses 26 comités régionaux. En Ile-de-France, la région la plus touchée par l'épidémie, la structure compte 50 salariés. La grande majorité d'entre eux se consacrent aux deux grandes activités de l'association : la prévention auprès de divers publics ainsi que l'accueil des malades et leur conseil social.

Outre une énorme différence de moyens, AFM et Aides ont des cultures liées à leur histoire. Fondée en 1958 par des familles de myopathes, l'AFM a connu une expansion depuis le lancement du premier Téléthon, en 1987. Aides a été créé par Daniel Defert en 1984, alors que son compagnon, le philosophe Michel Foucault, venait de mourir du sida et que cette maladie faisait son apparition en France. Aides n'est pas une association médicale mais veut combattre l'épidémie par une action communautaire en faisant appel à des personnes touchées par la maladie et à leurs proches. Dans ses statuts, Aides définit ainsi sa doctrine : « contribuer à faire évoluer les réponses sociales, médicales, psychologiques, politiques et éthiques auprès des personnes atteintes par rapport aux problèmes posés par l'épidémie de sida au sein de notre société ». Pour aller parler de pré- vention chez les prostituées, Aides va confier cette mission à des femmes issues de ce milieu. À la naissance de l'association, tous sont des volontaires. Aides compte aujourd'hui 1600 militants, qui constituent l'immense majorité des troupes. Mais l'explosion de l'épidémie au VIH va, dès 1989, amener l'association à salarier certains bénévoles fortement investis. Aides a davantage professionnalisé ses recrutements. Un exemple : le personnel spécialisé dans le maintien à domicile des malades doit être désormais titulaire de diplômes de la filière sanitaire et sociale.

Autre évolution, la complexité des situations au regard du travail ou du logement et la difficulté d'obtention d'allocations ont conduit Aides à faire appel à des juristes. « Ce sont les volontaires qui font Aides, souligne Jean-Pierre Galaup, directeur pour l'Ile-de-France. Si nous avons les financements pour développer une action sans avoir au départ de volontaires, nous la menons avec des salariés. Mais si, au bout de deux ans, des volontaires ne se sont toujours pas présentés, nous l'arrêtons. » La deuxième spécificité d'Aides, c'est son organisation en réseau. L'association s'est construite en fonction de mobilisations locales et de la pression de la maladie. Aides est un conglomérat de comités régionaux indépendants disposant d'une autonomie en matière de gestion. À Pantin, la fédération a un rôle de coordination en aidant à l'intégration des nouvelles initiatives et à l'harmonisation des pratiques. En 1995, devant l'afflux de permanents, la fédération Aides a proposé un statut du personnel salarié comportant les grandes lignes en matière d'embauche, de recrutement, de congés et de rémunération. Mais tous les comités n'ont pas opté pour ce statut. Certains, comme celui de l'Ile-de-France, ont préféré conserver leurs propres règles.

Contrairement à Aides, dont la construction a accompagné la progression de l'épidémie, l'AFM a adopté d'emblée une organisation centralisée. À Évry, le siège de l'association abrite aujourd'hui 280 salariés chargés pour l'essentiel des tâches administratives et de collecte. Les 120 autres, répartis dans les 22 services régionaux, sont des professionnels du secteur médico-social accompagnant au quotidien les malades et leur famille, aidés par les bénévoles de l'AFM. « Il existe une énorme séparation entre les structures salariée et bénévole, explique un salarié du siège. Ce mélange des deux statuts fait pourtant la force d'une association comme Aides. » Par voie de conséquence, l'AFM ressemble beaucoup plus à une entreprise. L'association a d'ailleurs embauché il y a dix-huit mois une directrice des ressources humaines qui a fait ses premières armes au sein du groupe informatique Digital. « La motivation, l'implication des salariés, quoi qu'on en dise, ça ne marche jamais bien dans les entreprises qui ne sont porteuses que de projets financiers. Ici, j'ai découvert un personnel qui tendait naturellement vers l'excellence, observe Monique Karkatcharian, DRH et directrice de la communication. Ce qui ne nous empêche pas d'importer des méthodes de l'entreprise. »

Depuis son arrivée, elle s'est notamment attachée à renforcer la gestion du personnel.La politique de formation (5 % de la masse salariale) a été recentrée en fonction des besoins liés au développement de l'association. Des entretiens individuels de rémunération et d'évaluation des objectifs et des résultats vont être mis en place. Mais l'AFM est surtout soucieuse de parvenir à maîtriser sa masse salariale. L'enjeu est vital pour cette association dont le conseil d'administration a comme objectif permanent d'affecter 80 % des fonds recueillis à la lutte contre les myopathies et de contenir la part des frais de fonctionnement et de collecte à 20 %.

L'AFM, un employeur généreux

Car, au sein du monde associatif, l'AFM est un employeur généreux. Dans un rapport récent, réalisé à la suite d'un audit, le cabinet Arthur Andersen constate que le niveau des salaires pratiqués par l'association est proche de celui du marché privé et note que c'est « une volonté affirmée du conseil d'administration en ce qui concerne les cadres dirigeants ». Le salaire moyen mensuel d'un cadre y est de 20000 francs. Mais l'AFM se caractérise aussi par un mécanisme d'augmentations annuelles collectives qui génère une croissance soutenue de la masse salariale. Tous les six mois, une revalorisation de 1 % est accordée. Après trois années de présence, chaque salarié bénéficie d'une augmentation annuelle de 1 %, plafonnée à 20 %.

Rien de comparable pour les salariés d'Aides, qui voient leurs avantages réduits à la portion congrue. Avec la chute des dons qui a commencé à se manifester il y a trois ans, l'association a été obligée de faire des économies de gestion, qui se sont notamment traduites par des suppressions d'emplois. « La crise financière était telle que si nous avions été dans le privé cela aurait conduit à une cessation de paiements », souligne Jean-Pierre Galaup, directeur du comité d'Ile-de-France. Dans ce contexte budgétaire drastique, la politique salariale d'Aides est bien entendu à cent mille lieues de celle de l'AFM. « Dans la fourchette de rémunération, entre Médecins sans frontières (le niveau le plus bas) et la moyenne des associations sanitaires (le plus haut), notre politique de rémunération se situe à mi-chemin », précise Vincent Pelletier, directeur adjoint de la fédération. Employée par le comité d'Ile-de-France, qui dispose de sa propre grille de rémunérations, Nicole Soulaire, infirmière et coordinatrice du maintien à domicile à Paris, gagne par exemple 13 300 francs net par mois. Stéphane Gobel, un juriste, perçoit 11 800 francs net. Pas de treizième mois chez Aides mais une prime correspondant à cinq jours de la masse salariale brute et répartie de manière uniforme. En 1999, elle s'est montée à 2000 francs brut par personne.

32 heures avec baisse de salaire

Cette différence de moyens entre l'AFM et Aides s'est également traduite lors de la mise en place des 35 heures. L'Association française contre les myopathies a adopté une solution hybride, ramenant la durée du travail hebdomadaire à 37 heures payées 39, avec douze jours de réduction du temps de travail qui s'ajoutent aux six semaines de congé, 15 créations d'emploi et une modération salariale sur trois ans. À Aides, quatre accords ont été conclus sur l'ensemble de la France. À Toulouse, tout le personnel est passé à 32 heures, moyennant une baisse de salaire. À Paris, pour les 35 heures, le personnel a le choix entre une réduction hebdomadaire d'une demi-journée par semaine ou une journée tous les quinze jours. « Mais cela reste très théorique, explique Nicole Soulaire, élue du personnel. Car le problème majeur reste l'absence de création d'emplois. Nos financeurs publics n'ont pas jugé bon de nous accorder les moyens nécessaires. Aujourd'hui, les volontaires ne sont pas assez nombreux. Nous n'avons pas les moyens de faire correctement notre travail. Au final, ce sont les malades qui en pâtissent. »

À l'AFM, le dossier des 35 heures n'est toujours pas refermé. Un premier accord a été signé en mars 2000 par la seule section CFDT, mais il a été rejeté par FO et la CGC sur un point juridique. Motif invoqué : une ancienne organisation du temps de travail à la quatorzaine qui n'est plus légale au regard de la loi Aubry II. La raison de fond, c'est la modification de la revalorisation de 1 % tous les six mois.L'accord 35 heures prévoit 1 % tous les ans pendant trois ans. « La pomme de discorde, souligne Geneviève Chevalley, directrice du service juridique et déléguée syndicale CGC, c'est que nous n'avons aucune garantie de retour au dispositif initial et que nous craignons la suppression pure et simple de cet avantage. » L'accord est actuellement en cours de renégociation, mais les relations sociales se sont beaucoup dégradées au sein de l'association.

Premiers tracts à l'AFM

« Les difficultés sont apparues avant les 35 heures, dès que certains syndicats ont commencé à se montrer revendicatifs », analyse Geneviève Chevalley, qui souligne que «les associations ont beaucoup de difficulté à admettre une représentation des salariés ». En 1998, seule la CFDT, surtout implantée en région parmi les travail leurs sociaux, était représentée à l'AFM. En 1999, à l'approche des négociations sur les 35 heures, FO et la CGC ont fait leur apparition, en réaction à une CFDT jugée trop consensuelle. Mais cette nouvelle présence syndicale dérange. Lorsque les deux syndicats ont entrepris de distribuer des tracts, en pleine discussion sur la réduction du temps de travail, ils ont suscité beaucoup d'incompréhension. « Nous sommes tombés de l'armoire », avoue Monique Karkatcharian, la DRH.

La situation n'est pas spécifique à l'AFM. Chez Aides Ile-de-France, l'annonce de la création d'une section CFDT en 1997 a été très mal accueillie. « La riposte s'est jouée sur un mode complètement affectif, raconte Marc, un ancien salarié. Des volontaires ou des membres du conseil d'administration nous ont accusés de trahir les malades. » Fondées sur un principe de communauté ou d'adhésion à une cause, ces associations n'en restent pas moins des employeurs. « Mais nous n'avons ni le capital ni la production de richesse, explique Geneviève Chevalley, déléguée CGC de l'AFM. Les associations jouent sur un double registre dans une totale confusion des genres. » Lorsque des associations comme l'AFM et Aides se développent, le personnel se trouve vite tiraillé entre son statut salarié et son implication dans la défense d'une noble cause. Parvenues à la maturité, Aides et l'AFM cherchent le bon équilibre pour ne pas devenir des entreprises comme les autres.

2001, l'année des grandes manœuvres

À chacune sa réorganisation. L'Association française contre les myopathies et Aides remettent cette année leur politique de ressources humaines sur le tapis. Pour l'AFM, il s'agit de revoir toute la classification en vigueur. « Le besoin grandissant de professionnalisme, l'évolution des métiers nous amènent à réviser la grille actuelle afin de la rendre plus cohérente », souligne la DRH, Monique Karkatcharian.

Pour Aides, le changement est plus profond encore. Après seize années d'organisation en comités régionaux indépendants, la fédération souhaite se transformer en une seule association. « Nous sommes déjà passés de 33 à 26comités, et leur nombre pourrait encore diminuer si nous ne réagissons pas, explique Vincent Pelletier, directeur adjoint de la fédération Aides. Cette fusion-absorption est nécessaire pour sauvegarder l'ensemble de la structure. » Dans le cadre de cette nouvelle organisation qui permettra à Aides de maintenir une présence régionale et d'intervenir à l'échelon départemental, l'ancienne fédération, basée à Pantin, servira de « holding » de tête. La mutualisation des moyens va certes créer des doublons d'emplois dans les services fonctionnels. « Mais nous allons gérer la transition en douceur en favorisant les non-remplacements en cas de départ », précise Vincent Pelletier. L'autre gros chantier pour Aides concerne l'harmonisation du statut du personnel et, en particulier, des différents régimes d'application des 35 heures. 15 comités sur les 26 ont voté leur adhésion à cette nouvelle organisation. D'autres, comme Dauphiné Savoie et l'Ile-de-France, ont choisi de conserver leur indépendance tout en gardant le label de l'association.

Auteur

  • Frédéric Rey