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La course au service

Dossier | publié le : 01.01.2001 | M. Le B.

Après avoir fait une irruption massive sur le marché de l'e-recrutement, les sites d'emploi sont aujourd'hui contraints de réviser leur offre. Pour se faire une place dans cet univers ultraconcurrentiel, ils doivent prouver leur capacité à apporter un réel service au recruteur.

Trente-quatre mille francs : c'est avec ce modeste pécule que Julien Danon et Antonio Boaventura ont créé, il y a trois ans, Réservoir Job. Un site de recherche d'emploi pour les jeunes diplômés qui comportait à ses débuts quatre malheureuses pages en HTML. Inutile de dire que le projet de ces deux diplômés de l'Institut supérieur de gestion n'a pas suscité l'enthousiasme des investisseurs : « À l'époque, personne ne croyait au recrutement par Internet, rappelle Antonio Boaventura. Nous avons donc développé le site à mesure que nous réussissions à convaincre les entreprises. » Difficile d'imaginer alors que, deux ans plus tard, le groupe norvégien Step Stone, fraîchement débarqué en France pour conquérir le marché du recrutement en ligne, jetterait son dévolu sur Réservoir Job. Le site nordique a déployé des moyens colossaux, se dotant d'une force de frappe de 80 commerciaux et investissant 30 millions de francs en publicité, autant que son chiffre d'affaires dans l'Hexagone.

Cette entrée en force, qui a provoqué bien des grincements de dents chez les concurrents de StepStone, est à la hauteur des enjeux de ce nouveau marché. En quatre ans, le recrutement en ligne a en effet connu une croissance exponentielle. Pas moins de 350 sites ont ouvert en France depuis 1996, parmi lesquels une centaine de job boards (banques généralistes d'offres d'emploi et de CV), Monster, Cadremploi, Cadres Online et Jobpilot en tête. Leur objectif commun : dominer le marché du recrutement, à l'instar des sites américains. Selon le cabinet d'études Forrester Research, les « jobsites » sont déjà à l'origine de la moitié des embauches outre-Atlantique, où ils génèrent un chiffre d'affaires de 2 milliards de dollars. Un phénomène nullement comparable à ce qui se passe en France, où les sites d'emploi représentent à peine 5 % du marché du recrutement. Explication : seulement 10 % de la population française est aujourd'hui connectée au Web, contre la moitié aux États-Unis.

La multiplication des sites d'emploi anticipe donc un fort développement du Net : « Il y a trop d'acteurs aujourd'hui dans ce secteur. Il est clair qu'une quinzaine suffirait », estime Jean-Yves Jarril, cofondateur du site RH Info, à l'origine d'un comparatif sur les sites d'emploi. « Ce volume important nuit au marché, puisqu'il rend l'offre difficile à analyser et provoque des réticences de la part des recruteurs, qui ne savent pas comment faire leur choix. » Trois acteurs du marché (Monster, Jobpilot et Newmonday) ont décidé de clarifier les règles du jeu, en créant l'Association des professionnels pour la promotion de l'emploi sur Internet (Appei), à l'initiative d'une charte de qualité dont les engagements portent sur la vérification des annonces, le respect de l'anonymat des candidats et la transparence sur les tarifs. Des engagements encore timides qui peinent à attirer de nouveaux sites adhérents.

De nombreux sites sont déjà à vendre

Si la plupart des acteurs de l'e-recrutement ne parviennent pas à se démarquer, c'est qu'ils se sont positionnés sur le même créneau : la publication d'offres et de CV. Tous ont parié sur le volume pour séduire les entreprises, se livrant à une bataille de chiffres. Panels d'audience réalisés par les instituts de sondage ou par les sites eux-mêmes ou encore mesures certifiées par Cybermétrie, émanation de Médiamétrie, chacun vante ses scores en termes de trafic afin d'attirer les recruteurs… et les investisseurs. Lesquels commencent à ne plus y voir très clair non plus. « Le développement des sites étant lié à leur capacité d'investissement, notamment pour accroître leur force commerciale, on peut prévoir une réduction du nombre d'acteurs d'ici à trois ans », prédit Jean-Yves Jarril. Et les rumeurs vont déjà bon train sur les premières victimes. « Depuis le deuxième trimestre 2000, je reçois régulièrement des dossiers de sites à vendre », indique le responsable d'un job board européen. « Certains commencent à dégraisser, confie un de ses concurrents. Il nous arrive de recevoir des CV de commerciaux d'autres sites, qui, sous prétexte de tester notre service pour analyser la concurrence, se révèlent être en quête d'un autre job. »

En attendant, les responsables des sites commencent à comprendre que leur avenir ne passe plus par le simple listing d'offres et de CV, mais plutôt par la vente de services à valeur ajoutée. Cadremploi, l'un des premiers sites créés en 1996 (près de 70 000 CV et 13 000 offres en novembre), a montré l'exemple en révisant sa stratégie. Pendant quatre ans, ce job board s'est limité à publier les annonces de ses actionnaires (des cabinets de recrutement, des agences de conseil en communication sur l'emploi et les titres de presse en régie chez Publiprint – le Figaro, le Monde, CB News…). « Depuis le mois de juin, nous mettons en ligne les offres directement venues des entreprises, explique Thibaut Gemignani, le directeur général. Ce qui contribue à développer notre revenu tiré des petites annonces, qui génèrent aujourd'hui la plus grosse part de nos 20 millions de francs de chiffre d'affaires. » Prenant ainsi un peu de distance par rapport à ses créateurs, le site compte bien être un peu plus qu'un simple support. « Nous souhaitons offrir davantage de fonctionnalités aux recruteurs comme aux candidats, même si notre rôle n'est pas de remplacer les professionnels du recrutement », ajoute Thibaut Gemignani.

Cadres Online, l'autre « acteur historique » du marché, adopte peu ou prou la même logique. Détenu par Havas, le site publie, depuis 1996, les offres des titres du groupe de presse. En octobre dernier, il a commencé à traiter directement avec les entreprises. Sans pour autant froisser ses partenaires, grâce à une astuce commerciale : toute annonce mise en ligne par un recruteur est couplée avec une offre de presse. Le site réfléchit également à la création d'une CVthèque, paramétrable pour personnaliser la recherche du recruteur.

Même l'ANPE, qui possède la plus grande base d'offres d'emploi avec 120 000 annonces par mois, est en train de bouleverser sa stratégie Internet. « D'ici au premier trimestre 2001, les offres pourront être saisies directement par les entreprises, sans l'intermédiaire des agences, annonce Éric Huynh, responsable des e-services. Les recruteurs pourront aussi consulter une banque de curriculum vitae et accéder à des profils particuliers en fonction de certains critères. » La gratuité du site, elle, pourrait bien être remise en cause : « Notre statut nous empêche de vendre des services aux individus, mais pas aux entreprises », rappelle Éric Huynh. L'autre site « institutionnel », celui de l'Apec (Association pour l'emploi des cadres), va bientôt permettre aux recruteurs d'accéder directement aux CV des candidats, mais aussi à leur « projet professionnel », mis en ligne après avoir été élaboré avec un conseiller de la maison.

L'importance des pedigrees

Dans cette course au service, certains partent avec une longueur d'avance. C'est le cas de Monster, arrivé en France en 1999 et filiale de l'américain TMP Worldwide. Le leader mondial du recrutement s'est développé en France par croissance externe, avalant tour à tour Jobsésame, un site pour jeunes diplômés, quatre agences de communication en recrutement (Austin Knight, LBW, Sources et Curriculum), deux chasseurs de têtes (Tasa et Daniel Porte) puis deux cabinets de recrutement (Cogeplan et Pereire Conseil). Monster peut ainsi fidéliser les entreprises avec une palette de services liés au recrutement. Résultat : le site réalise l'un des plus gros chiffres d'affaires du marché (40 millions de francs) et atteint un volume d'offres comparable à celui de l'ANPE.

Pour offrir du service, les sites puisent dans leurs compétences propres en ressources humaines. Dans ce domaine, les sites « issus du milieu RH » partent avec un véritable avantage, à l'instar de Cybersearch, cabinet de recrutement qui met en ligne les annonces de ses 600 entreprises clientes (40 millions de chiffre d'affaires en 2000). Jobline, le concurrent suédois de Monster, a été créé par la société Universum, qui réalise, pour le compte d'entreprises dans le monde entier, des études d'image auprès des jeunes diplômés. « Le développement de notre chiffre d'affaires doit aujourd'hui passer par la qualification de CV et la recherche de candidats. On peut donc très bien imaginer que, d'ici à deux ans, la diffusion d'annonces sera gratuite », pronostique Alistair Shrimpton, le directeur général du site. Jobline vient d'ailleurs d'embaucher deux e-recruiters, des consultants chargés d'assister les DRH dans le tri des CV.

D'autres acteurs, aux capacités d'investissement plus modestes, ciblent des marchés de niche. Créé par deux anciens chargés de recrutement, Ouest Job a ainsi choisi de se concentrer sur le recrutement régional, d'abord dans un périmètre délimité par Caen, La Rochelle et Brest. Devant le succès de l'opération (50 entreprises clientes payant chacune un forfait mensuel de 4 500 francs pour la diffusion d'annonces), le site a décidé de s'étendre dans le Nord et dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca). « L'intérêt, pour les recruteurs, est de bénéficier d'une offre plus ciblée, argumente Gwénaëlle Hervé, cofondatrice d'Ouest Job. Les candidats présentent l'avantage d'être motivés par l'annonce et aussi par la région. D'ailleurs, seulement la moitié d'entre eux sont issus du Grand Ouest. »

Certains sites préfèrent cibler une catégorie de candidats, comme les sites portails de Go Éditions et de l'Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes diplômés (Afij), destinés aux jeunes diplômés. Avec Le Village Emploi, Claude Lévy, ex-responsable du recrutement et de la formation d'un grand groupe, a préféré se positionner sur les profils marketing et commerciaux. Son site attire encore un nombre limité d'offres (environ 300, pour 6 000 CV déposés), mais il demeure optimiste sur sa capacité à fidéliser les recruteurs : « Grâce à nous, ils peuvent boucler un recrutement en quinze jours, affirme-t-il. Nous générons pour l'instant assez de profit pour financer des campagnes publicitaires et bientôt passer de quatre à huit salariés. »

Violation des données et concurrence déloyale

Dans cette bataille commerciale, les start-up du recrutement en ligne jouent sur un autre tableau : la technologie. Parmi elles, Emailjob réussit à gagner la guerre des tarifs (le prix de l'annonce est plafonné à 1 000 francs, soit deux fois moins cher que la moyenne), tout en affichant le plus gros chiffre d'affaires du marché (55 millions de francs). « Notre atout est d'avoir créé un moteur de recherche intelligent, capable de repérer les synonymes et les familles sémantiques, explique Didier Ryckelynck, un ancien informaticien, concepteur de cet outil. Le site ne fait par exemple aucune différence entre un chef de pub et un chef de publicité, ou bien entre Excel et Microsoft. C'est une garantie d'efficacité supplémentaire. »

D'autres types d'intervenants sont en train de bouleverser le marché de l'e-recrutement : les éditeurs de logiciels ASP (application service provider), téléchargeables à partir du Web pour assurer la gestion administrative des recrutements. Tout le processus est automatisé : définition du besoin, validation des profils, publication de l'offre, tri des CV et sélection des candidats. « En intégrant ce type de solution, les sites d'emploi devraient bientôt détenir 30 % du marché du recrutement », prévoit Gwenn Bézard, responsable de la Net économie à L'Atelier Paribas.

En France, Jobpilot fait figure de précurseur grâce au rachat, cet automne, de Virtual Village, un concepteur de solutions ASP, acquis afin de vendre cet outil à ses clients. Depuis quelques mois, le britannique Job Partners vend un programme du même type, baptisé Active Recruiter. « Contrairement aux solutions proposées par les job boards eux-mêmes, comme Jobpilot ou PlanetCareer, notre outil permet aux entreprises de publier leurs offres sur plusieurs sites, avec lesquels nous avons conclu des partenariats », précise Raphaël Béchennec, P-DG de Job Partners France. Promise à un bel avenir, l'offre de Job Partners montre que le service au recruteur passe par la maîtrise de la masse d'informations désormais disponible sur Internet.

Un message sur lequel s'appuie également le « métamoteur » Keljob. À l'instar des moteurs de recherche Yahoo ! et Lycos, ce site fait remonter vers le candidat des offres piochées dans tout le Web. Non sans faire de vagues. Les entreprises y gagnent en visibilité, mais les sites, eux, crient à la violation des bases de données et à la concurrence déloyale. Cadremploi a déjà entamé une action en justice, Cadres Online s'apprête à le suivre. « Ces sites ont du mal à comprendre que nous venons réguler le marché par le service, pour le bien des utilisateurs, déplore Jacques Birol, vice-président de Keljob. Nous souhaitons établir une logique de partenariats et ne visons pas à les éliminer du marché. » Mais, dans ce contexte de concurrence sans merci, il est peut-être encore trop tôt pour marcher main dans la main. Même si c'est dans l'intérêt des utilisateurs.

Lexique des services offerts par les sites

• Accès à la CVthèque : l'entreprise peut consulter la base de CV déposés par les candidats sur le site et effectuer une recherche par mots clés et/ou par critères.

• « Push » ou alerte mail : l'entreprise reçoit automatiquement par e-mail les CV correspondant aux profils recherchés, selon les critères et/ou les mots clés préalablement enregistrés.

• Gestion des candidatures : « bureau virtuel » permettant à l'entreprise de gérer les candidatures, d'en faire le suivi voire de tenir des statistiques sur le retour de ses offres.

• Assistance à la recherche de profil : qualification et premier tri de CV en ligne.

• Conseil en recrutement : intervention d'un consultant.

• Gestion en ligne des recrutements : automatisation des processus de recrutement (définition de profil, tri de CV, prise de rendez-vous, compte rendu et sélection des candidats).

• Présentation institutionnelle de l'entreprise.

• Interactivité avec les candidats : interviews vidéo des recruteurs et/ou « chats » avec les candidats.

Un très grand choix de prestations
Les sites généralistes

Auteur

  • M. Le B.