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Le grand retour de la question du travail

Idées | Juridique | publié le : 01.02.2017 | Pascal Lokiec

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Le grand retour de la question du travail

Crédit photo Pascal Lokiec

Alors qu’il avait déserté le débat politique, le thème du travail est revenu depuis quelques semaines sur le devant de la scène, la plupart des candidats se proclamant même « candidats du travail ». On peut néanmoins douter que tous savent bien distinguer emploi et travail, ces deux concepts renvoyant à des réalités bien différentes. D’un côté, le travail désigne l’activité, de l’autre, l’emploi, l’un des statuts (le salariat) sous la forme duquel cette activité est exercée. De fait, un même travail peut être effectué en vertu d’un contrat de travail, d’un contrat de prestation de service, comme pour un travailleur indépendant, à titre bénévole, etc.

Tout pour l’emploi

Durant ces dernières décennies, la préoccupation, ô combien légitime, du chômage, a occulté la question du travail. L’explication en est simple : en période de plein-emploi, on peut s’intéresser aux conditions de travail. Mais, en période de chômage, cette priorité disparaît. La question est évidemment délicate : doit-on condamner les emplois au rabais, aux conditions de travail et de rémunération précaires, ou les accepter, quitte à soumettre certains salariés à un « sous-droit du travail » ? Les mini-jobs en Allemagne et les zero hour contracts au Royaume-Uni en fournissent un bel exemple…

La question de l’emploi, c’est à la fois la question de l’accès et de la perte d’emploi. Si la loi El Khomri a abordé ce second aspect du sujet, en assouplissant la définition du motif économique de licenciement, le début de campagne pour la présidentielle est, sans surprise, jalonné par des propositions visant à faciliter encore plus le licenciement par la création d’un contrat de travail sécurisé, dont les modalités de rupture seraient prédéfinies et progressives. Va-t-on assister au retour du serpent de mer qu’est le contrat de travail unique ? La logique sous-jacente à la plupart des propositions de ce type est bien connue : il faut réduire les protections de ceux qui ont un emploi pour faciliter l’accès au marché du travail de ceux qui en sont dépourvus.

Pas assez pour le travail

Si la question de l’emploi doit évidemment rester centrale, elle ne doit pas occulter celle du travail. Aborder celle-ci, c’est d’abord parler des conditions de travail, à commencer par la santé et la sécurité. Ce thème, qui a accompagné les débuts du droit du travail au XIXe siècle, n’a pas disparu, comme l’illustrent les cas de burn-out, voire de suicide. Le temps de travail doit également être pris en compte. Mais il faut se garder d’une approche strictement quantitative focalisée sur le nombre d’heures travaillées. Une flexibilité au-delà des limites du raisonnable porte potentiellement atteinte à la santé des salariés et à leur vie personnelle. Et ces limites ne peuvent se résumer aux règles minimales prévues par le droit de l’Union européenne (temps de travail limité à 48 heures, repos quotidien et hebdomadaire, temps de pause…).

Même si elle a d’ores et déjà focalisé l’attention (dans le contexte notamment du forfait jours), la question de la charge de travail en mérite encore bien davantage. En outre, la question du travail, c’est aussi celle de la rémunération, et de ses multiples déclinaisons, en particulier la majoration des heures supplémentaires, si discutée lors des débats sur la loi travail, et le niveau du salaire minimum, avec en creux la discussion autour de l’adoption d’un salaire minimum européen. Ce dernier point pose la question du dumping social, contre lequel beaucoup reste aussi à faire, à la fois sur le fond (faut-il adopter une conception plus extensive de la rémunération notamment ?) et sur la procédure (insuffisance des moyens de contrôle).

Faut-il aller plus loin ?

Les questions du travail et de l’emploi sont évidemment imbriquées, comme l’illustrent les fameux accords dits de maintien de l’emploi ou ceux de préservation et de développement de l’emploi. Ils mettent en balance temps de travail et rémunération d’un côté, maintien et développement de l’emploi de l’autre. Ce lien est au cœur d’enjeux fondamentaux pour l’avenir des sociétés modernes.

Autre aspect de la discussion, sur fond d’ubérisation de nos sociétés prospère d’abord la thèse selon laquelle le travail subordonné serait sur la voie de la disparition. Demain, nous ne serons plus subordonnés mais autonomes – dans l’organisation de notre temps, de nos congés, dans la fixation de notre lieu de travail. Quels que soient l’exactitude de ce pronostic et le besoin de mieux protéger les travailleurs indépendants – qui ressort également de certains des programmes en vue de la présidentielle –, il faut raison garder sur la fin du salariat.

Outre que subordination et autonomie ne sont pas toujours antinomiques (autonomie n’est pas synonyme d’indépendance), et que bon nombre de travailleurs restent subordonnés au sens le plus classique du terme (la personne à la caisse du supermarché), il appartient au droit de reconnaître les nouvelles formes de contrôle. Un concept – celui de contrôle – utilisé dans les pays anglo-saxons en lieu et place de celui de subordination. Il permet de comprendre que celle ou celui qui est autonome dans l’organisation de son travail, mais doit réaliser dans un délai déterminé des objectifs fixés à l’avance, est soumis à une forme de pouvoir qui n’a rien à envier à la classique subordination.

Un revenu universel ?

Sur fond de développement technologique, de robotisation, prospère une autre idée, qui reste très controversée. Thèse selon laquelle le travail serait amené à devenir une denrée rare. Si bien que les sociétés futures ne pourraient plus fonctionner sur le travail. Il faudrait par conséquent concevoir des approches alternatives, notamment déconnecter la rémunération du travail. Là se trouve le gisement du fameux revenu universel.

Prudence est ici de mise. Le concept cache de multiples réalités mais, pris dans sa version la plus ambitieuse – il ne s’agirait pas seulement de fusionner les minima sociaux mais d’assurer un revenu à tous –, il appelle de très importantes précautions, à la fois par ce qu’il dit de la place du travail et par les risques qu’il fait peser, entre autres, sur le financement de la protection sociale. Entre l’essor d’une véritable sécurité sociale professionnelle, visant notamment à faciliter les transitions entre différentes formes d’emploi, ou entre emploi et chômage, et la construction d’un régime fondé sur le non-travail, il y a un fossé qu’il est sans doute prématuré de franchir.

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles.

Auteur

  • Pascal Lokiec