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Ovni coopératif pour travailleurs indépendants

Décodages | publié le : 01.02.2017 | Marianne Rigaux

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Ovni coopératif pour travailleurs indépendants

Crédit photo Marianne Rigaux

Les coopératives d’activité et d’emploi attirent de plus en plus d’entrepreneurs isolés. Ces « mutuelles de travail » apportent les avantages du salariat, mais leur modèle économique reste fragile.

En 2012, après dix ans comme salariée, Aurélie Allanic se lance à son compte comme photographe. Souhaitant une transition en douceur, elle rejoint Oxalis, une coopérative d’activité et d’emploi (CAE) basée près d’Annecy. « J’ai choisi d’être en coopérative plutôt qu’auto-entrepreneur pour garder un sentiment d’appartenance à une entreprise. J’avais peur d’être seule. » Comme elle, 250 travailleurs sont « entrepreneurs salariés » à Oxalis. Un statut paradoxal qui séduit dans un contexte d’ubérisation et de précarisation du travail.

La CAE permet à des indépendants de se réunir au sein d’une structure partagée pour s’apporter sécurité et entraide. Les membres disposent du statut – et des avantages – d’un salarié. Les nouveaux entrants bénéficient de l’accompagnement d’une équipe permanente. Concrètement, pour Aurélie Allanic, c’est moins d’administratif, plus de sérénité. « Au quotidien, ma seule tâche est de faire mes factures. Je n’ai pas à chercher une mutuelle, à m’occuper de ma retraite. Et, surtout, j’ai une fiche de paie qui dit CDI. »

La sécurité offerte par les CAE attire tous types de métiers, de peintre en bâtiment à artiste, en passant par webmaster ou urbaniste. Luc Legay, formateur et conseiller en stratégie digitale, a fait partie de la coopérative Port Parallèle de 2006 à 2012, pour lancer son activité sans prendre de risques. « Contrairement à une société de portage, on s’investit dans l’entreprise, on aide les autres », indique-t-il. Lui a créé un réseau social dédié aux membres de la CAE, avec un intranet pour communiquer entre entrepreneurs et un extranet pour être visibles des clients. Le tout bénévolement.

Statut reconnu.

L’ovni organisationnel qu’est la coopérative date du début des années 2000. Mais la loi reconnaît les CAE et le statut d’entrepreneur salarié depuis 2015 seulement. La France compte 10 000 entrepreneurs en CAE dans un peu plus de 100 structures généralistes ou spécialisées sur un secteur, régionales ou nationales. La plupart ont intégré l’un des deux grands réseaux français : Coopérer pour entreprendre (74 CAE, 7 000 entrepreneurs) et Coopéa (34 CAE, 2 500 entrepreneurs), qui dégagent 120 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Le président de Coopérer pour entreprendre, Dominique Babilotte, a fondé trois coopératives depuis 2004. Il vante un modèle adapté au monde du travail actuel. « Il correspond aux problématiques que rencontre notre société : diminution du salariat, montée en puissance du travail autonome. De plus en plus de personnes créent leur activité sans avoir les compétences ni les qualités pour être entrepreneur. Il y a un besoin réel d’être accompagné au sein d’un collectif. » À Coopaname, la plus grosse des CAE, une équipe de 30 permanents accompagne les 750 coopérateurs. Outre son siège dans le XXe à Paris, Coopaname compte cinq établissements en Île-de-France et un au Mans. Les entrepreneurs s’y retrouvent pour des ateliers quotidiens et réunions mensuelles, ou pour travailler dans les espaces de coworking. Pour Noémie de Grenier, sa codirectrice générale, « Coopaname a progressivement basculé vers l’entreprise partagée : les entrepreneurs s’accompagnent entre eux, mutualisent leurs expériences et leurs moyens ».

Coopaname accueille tout le monde, sans préjugé sur le projet. Oxalis est plus sélectif. « On favorise les regroupements cohérents entre les activités et les synergies entre les membres », détaille le président du conseil d’administration, Germain Lefebvre. Dans les deux cas, la CAE parie sur la force du collectif. Ainsi, un graphiste, un développeur et un photographe peuvent faire équipe pour répondre à un appel d’offres et bénéficier de l’apport de la coopérative. « La réponse de trois salariés d’une entreprise qui affiche 10 millions d’euros de chiffre d’affaires apparaîtra plus fiable que celle de trois auto-entrepreneurs », assure Noémie de Grenier.

Subventions.

Les coopératives sont-elles la recette miracle contre la précarisation du salariat ? Elles contribuent à lutter contre l’isolement des entrepreneurs. Pas forcément à ce qu’ils soient mieux payés. À Coopaname, le salaire moyen versé aux 500 entrepreneurs salariés actifs est de 700 euros bruts par mois. Un chiffre qui cache de grandes disparités. Mais reste plus élevé que le revenu moyen des auto-entrepreneurs (410 euros par mois en 2014, selon une récente étude de l’Insee). En échange de ce salaire, déterminé selon l’activité de chacun et lissé sur l’année, les membres de la CAE versent une cotisation qui oscille entre 10 % et 15 % de leur marge brute. « C’est l’équivalent du coût d’un comptable », note Aurélie Allanic. Des cotisations qui constituent l’essentiel du budget des coopératives : 65 % de celui de Coopaname en 2016. Les subventions publiques apportent le reste du financement, mais sont en baisse. « Depuis la loi NOTRe en 2015, les départements n’ont plus le droit de nous financer et plusieurs subventions régionales sont devenues incertaines », explique Noémie de Grenier. En Rhône-Alpes, Oxalis a fait le choix de ne pas dépendre de fonds publics. « On a préféré miser sur le développement économique d’un nombre restreint d’entrepreneurs, plutôt que sur les subventions en faveur des nouveaux entrants », revendique Germain Lefebvre.

Les entrepreneurs salariés, eux, doivent apprécier au mieux les bénéfices de leur engagement dans une CAE. Luc Legay a donné sa démission de Port Parallèle en 2012 pour créer son auto-entreprise. « Mon objectif était de me lancer à mon compte une fois mon modèle éprouvé. Facturer en auto-entrepreneur me coûtait moins cher que via la CAE. » Il garde un souvenir mitigé. « Une grande partie de l’énergie des permanents se concentrait sur les mêmes, qu’il faut porter. Et il y avait une forme de concurrence entre les entrepreneurs d’autant que les comptes sont visibles de tous. » Une transparence pas forcément bienvenue pour les créateurs d’entreprise.

Un CDI spécifique

Les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) ont été reconnues par la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire et son décret d’application du 27 octobre 2015. La loi crée un CDI à part, le contrat entrepreneur salarié associé (Cesa), alors que les CAE utilisaient jusqu’ici le CDI de droit commun. Dans ce contrat, l’entrepreneur salarié et la CAE s’entendent sur les objectifs économiques de l’entrepreneur, les moyens mis en œuvre par la CAE pour le soutenir, la rémunération de l’entrepreneur ainsi que sur sa contribution au financement des services mutualisés. Il peut être licencié s’il n’atteint pas les objectifs définis. Dans un délai maximal de trois ans, il doit devenir associé de la coopérative.

Auteur

  • Marianne Rigaux