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Les transgenres, mal-aimés de l’entreprise

Décodages | publié le : 01.02.2017 | Valérie Auribault

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Les transgenres, mal-aimés de l’entreprise

Crédit photo Valérie Auribault

Bouleversement personnel, le changement de sexe engendre bien souvent la mise sur la touche des salariés engagés dans ce processus. Sauf dans de très rares entreprises sensibilisées et bienveillantes.

J’ai embauché Christophe il y a quatre ans. Je dois désormais l’appeler Céline. » Une réalité pour certains managers, rarement préparés à un tel bouleversement. La « transition », cette période où un homme ou une femme souhaitant changer de sexe n’a pas encore fini sa transformation, reste un parcours vers l’inconnu. Pour le salarié ou la salariée bien sûr, mais aussi pour l’employeur. Les entreprises font preuve d’une grande méconnaissance du phénomène, qui engendre des discriminations ou du harcèlement au travail. En 2009, une étude européenne révélait que près de 80 % des personnes transgenres étaient victimes de violences verbales, psychologiques ou physiques. L’univers professionnel n’y échappant évidemment pas.

Pour Amélie*, la transition s’est plutôt bien passée. « J’étais en poste au sein d’une plate-forme de télésecrétariat à Paris. Je voulais juste vivre ma vie, explique cet ancien sportif qui a stoppé sa carrière à 35 ans. J’avais entamé un traitement hormonal. Mes collègues remarquaient des changements. J’ai alors décidé de leur expliquer moi-même ce que je vivais. » Jour après jour, Amélie va déjeuner avec chacun d’entre eux. Répondre aux questions les plus intimes, faire face à l’étonnement, sensibiliser. Une démarche payante. « Seuls, les gens tentent de comprendre. Le phénomène de groupe n’est jamais bon », analyse Amélie.

Une autre expérience professionnelle s’est révélée pour elle plus compliquée. Après plusieurs entretiens, Amélie obtient une promesse d’embauche des Compagnons du devoir. Mais le recruteur constate que sa carte vitale comporte un 1 – destiné aux hommes – et non un 2 – assigné aux femmes. « Le directeur régional m’a alors dit que, finalement, je n’avais pas les qualifications requises », soupire-t-elle. Amélie attaque l’association devant les prud’hommes. En juin 2015, elle a été la première personne transidentitaire à avoir obtenu la condamnation d’un employeur pour discrimination liée à l’identité sexuelle. « Je n’ai pas porté plainte pour l’argent, mais pour que justice soit faite », insiste Amélie. Elle a perçu 1 500 euros de dommages et intérêts.

Charte d’engagement.

Il y aurait, en France, entre 10 000 et 15 000 personnes transgenres. Presque autant de souffrances clandestines et de peurs des représailles. « Il faut que le sujet soit mis sur la table en haut de l’entreprise », clame Catherine Tripon, porte-parole de l’Autre cercle, association de professionnels LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans). En 2012, cette dernière a rédigé une charte d’engagement afin de promouvoir la diversité LGBT dans le monde du travail et prévenir les discriminations. De grandes entreprises l’ont signée. Et l’appliquent à des degrés divers.

Au sein d’Air France, l’accompagnement se fait au cas par cas. « Certains salariés demandent à être soutenus dans leur démarche de transition », explique Patricia Chambaudrie, responsable diversité de la compagnie aérienne. Avec l’accord de l’employé concerné, Air France signe alors un contrat moral. Le premier cercle de collègues est sensibilisé et informé. Pour que la transition puisse se faire en douceur jusqu’à l’obtention d’un nouvel état civil. « Il s’agit, avant tout, de respecter la nature humaine, rappelle Cyril Bauchais, président de Mobilisnoo, association LGBT du groupe Orange. Un salarié qui décide de faire son coming out doit pouvoir le faire dans un climat de confiance. »

Dans l’entreprise de télécoms, des modules sont mis en place pour sensibiliser responsables RH, recruteurs et managers. « Il s’agit de prendre conscience de nos représentations par rapport à l’autre et par rapport à l’apparence physique », explique Christine Lamoureux Rabret, directrice de la diversité et de l’égalité des chances chez Orange. Un travail de longue haleine…

Cette bienveillance n’est ni majoritaire ni prioritaire au sein des entreprises françaises. Y compris parmi celles qui disent s’engager. Ce que dénonce Delphine Ravisé-Giard, présidente de l’Association nationale transgenre (ANT) : « Certaines, signataires d’une charte d’engagement LGBT, ne la respectent pas. » Ou sont peu enclines à l’évoquer. Chez EDF, qui a paraphé la charte de l’Autre cercle, on explique ne pas avoir « prévu de communiquer sur le sujet ». Tout au plus, un porte-parole explique que le groupe réalise actuellement un vade-mecum pour « aider les RH et managers concernés par une transition et sensibiliser les équipes ». Une politique réclamée par Energay, l’association LGBT de l’électricien. « EDF est confronté à des salariés qui entrent en transition, même si cela reste minime, note Samuel Tillet, président d’Energay. Pour les personnes concernées, il s’agit d’un sacré parcours personnel. Le travail ne doit pas être excluant. »

Stéréotypes.

Le service public n’échappe pas aux dérapages. « À Avignon, une employée titulaire devait repasser le concours parce qu’elle avait changé de sexe ! », note Magali Carpena Feron, coanimatrice du collectif confédéral de lutte contre les discriminations LGBT à la CGT. Syndicats et entreprises s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas là de véritable transphobie. Mais d’une absolue ignorance. « La méconnaissance génère de l’anxiété, estime Christine Lamoureux Rabret. Mais pas de haine. Nous avons tous des stéréotypes. Il faut en prendre conscience afin que ces ressentis ne biaisent pas la décision d’un recruteur ou l’évaluation d’un responsable RH. En cela, nos échanges avec les associations LGBT sont primordiaux. » Mais la sensibilisation demeure laborieuse. D’autant que « les médecins du travail et les syndicats eux-mêmes ne sont pas formés », dénonce Delphine Ravisé-Giard. La CFDT a édité un guide contre les discriminations LGBT fin octobre 2016. La CGT s’implique également. « Mais lorsque vous avez une grosse actualité à gérer comme celle de la loi travail, les questions de discrimination passent à la trappe », regrette Magali Carpena Feron.

La reconnaissance de la nouvelle identité, avant qu’elle soit officiellement établie, reste du bon vouloir des employeurs. Comme le changement de prénom sur un badge, l’attribution d’un nouvel uniforme ou l’accès aux commodités adéquates. « Pour certains employeurs, l’attitude des personnes transgenres relève de la fraude car l’apparence et les papiers d’identité ne sont pas en corrélation. Si la personne n’a pas fait sa transition jusqu’à l’opération, sa nouvelle identité est niée, regrette Delphine Ravisé-Giard. Nous sommes encore très loin des standards des droits humains exigés par l’Europe. Au Danemark, en Irlande ou à Malte, une simple déclaration de la personne suffit pour que sa nouvelle identité soit reconnue. »

En France, en mai 2016, a été voté un amendement au projet de loi sur la modernisation de la justice visant à faciliter le changement d’état civil pour les transgenres. La preuve médicale n’y est plus exigée, mais « une simple réunion suffisante de faits » devra être présentée au tribunal de grande instance. Une avancée ? Plutôt une « loi floue », estiment les associations, qui souhaitaient que la requête soit effectuée devant un officier d’état civil et non un procureur. Cette nouvelle procédure se révélera en effet longue et fastidieuse, freinant l’obtention rapide d’une nouvelle identité. Et laissant donc les discriminations perdurer.

* Le prénom a été modifié.

Auteur

  • Valérie Auribault