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Les syndicats de flics dépassés par la colère de leurs ouailles

Décodages | publié le : 01.02.2017 | Rozenn Le Saint

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Les syndicats de flics dépassés par la colère de leurs ouailles

Crédit photo Rozenn Le Saint

Deux ans après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher de la porte de Vincennes, les forces de l’ordre sont sur les rotules. Leur désarroi s’exprime à travers un mouvement spontané qui témoigne du discrédit des centrales traditionnelles.

Ils portent un brassard orange fluo avec écrit « police » sur le bras gauche, comme sur le terrain. Et sur le bras droit, « MPC », pour Mobilisation des policiers en colère. Comme l’association créée le 7 novembre 2016. Comme le groupe Facebook qui les a appelés à manifester le 13 décembre. Une date qui n’a pas été choisie au hasard. C’est le triste anniversaire des six mois de l’assassinat d’un couple de policiers à son domicile de Magnanville (Yvelines). Maxime* a habité dans une ville voisine avant d’être muté sur les bords de la Manche. « Personne ne sait où je travaille dans le village, c’est trop risqué », souffle ce gardien de la paix d’une brigade de police-secours. Il a fait le voyage à Paris avec quatre autres agents car, en Normandie, le mouvement n’a pas pris. « Les collègues ont peur de se voir refuser des avancements s’ils manifestent », déplore le trentenaire.

En deux ans, les « flics » sont passés du statut de héros à celui de bourreau. Les violences autour des cortèges contre la loi travail ont entaché une image qui s’était valorisée après les attentats de Charlie. Depuis, ça craque de partout. Le Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO), né en 1996 après une vague de suicides, a reçu 1 153 policiers en « interventions post-événementiels » au cours de l’année 2015. C’est 140 % de plus qu’en 2014, quand le ministère de l’Intérieur a lancé un plan de lutte contre la souffrance au travail ! Cette action a permis de faire passer de 63 à 70 le nombre de psychologues au SSPO affectés à l’écoute de policiers qui, virilité du milieu oblige, rechignent encore à s’épancher. En revanche, une autre mesure du plan, qui consistait à mettre à disposition des casiers individuels pour que les volontaires y déposent leur arme de service à la fin de la journée, a été suspendue du fait de l’état d’urgence. Qui les autorise à les porter en permanence. Or si le pistolet n’amène pas au suicide, il le facilite… Un policier par semaine se donne la mort. « Mes collègues m’ont désarmé, j’étais à deux doigts de passer à l’acte. Je ne supportais plus la pression, témoigne un agent vendéen. De cinq dans notre brigade, nous sommes passés à deux, à travailler sans filet. »

Demande de protection.

Les sous-effectifs nourrissent la révolte. Mais pas seulement. Le « manque de réponse pénale » à la suite des interpellations est aussi en cause. « Parfois, on a l’impression de travailler pour rien. Les personnes qu’on interpelle trois fois ressortent systématiquement libres. La quatrième fois, on se demande si ça vaut le coup de procéder à leur arrestation », regrette Alain, un autre Normand. « On se fait foncer dessus par une voiture et si on répond, on prend plus que n’importe quel voyou. La hiérarchie préfère voir un policier mort qu’un délinquant blessé », renchérit Maxime.

Au-delà de ces récriminations sur la réaction judiciaire et le manque de reconnaissance de leurs missions, les policiers réclament plus de protection. Surtout après l’attaque de quatre agents à coups de cocktails Molotov à Viry-Châtillon (Essonne) en octobre. « La dimension matérielle, avec les exigences de remplacement d’armements et de renforcement de la légitime défense, est très forte », confirme Jacques de Maillard, directeur adjoint du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). Le 21 décembre, deux jours après l’attentat de Berlin, le projet de loi sur la légitime défense des policiers a été présenté en conseil des ministres. Il leur permet d’utiliser leur arme après sommation pour arrêter une personne récalcitrante dont ils ont la garde ou un chauffard fonçant sur eux. Le texte, qui répond aux revendications de la rue, devant être débattu en début d’année au Parlement.

Deux sur trois encartés.

Bien peu par rapport à cette colère qui se répand comme une traînée de poudre, sous des formes qui dépassent les syndicats traditionnels : groupe Facebook, envoi massif de textos de rendez-vous, rassemblements non déclarés en préfecture, parfois le visage masqué. Sur sa page Facebook, le MPC revendique d’ailleurs de lancer « la première manifestation nationale policière, asyndicale et apolitique ». Médiatique, le mouvement est cependant loin de faire l’unanimité. « La mobilisation du MPC est surtout forte chez les gardiens et gradés, les corps de catégorie B. Les officiers et commissaires sont moins impliqués, analyse Jacques de Maillard. Elle révèle le caractère très hiérarchisé de l’institution policière et la segmentation syndicale. La division des syndicats est profondément structurée par des logiques de corps entre commissaires, officiers, gardiens et gradés. Et chacun passe un temps considérable à critiquer les autres. »

Au rassemblement parisien, deux policiers sur trois environ sont syndiqués. Comme dans l’ensemble de la profession. Logique, vu qu’ils siègent dans les commissions paritaires gérant mutations et avancements. « On adhère davantage à un syndicat s’il rend service. Au sein des administrations où il joue un rôle dans la gestion de carrière, les taux de syndicalisation sont élevés », souligne Dominique Andolfatto, enseignant chercheur en sciences politiques, auteur avec Dominique Labbé de Histoire des syndicats (1906-2010) (Seuil, 2011). Parmi le groupe de Normands mécontents, seul Alain n’est pas encarté. Maxime est chez Alliance, Najiba « chez l’autre », donc FO. Mais les syndicats, ils n’y croient pas. « Si on adhère, c’est pour être sûrs de ne pas avoir de bâtons dans les roues quand on demande une mutation. C’est soi-disant grâce à FO que j’ai été mutée… À entendre ses responsables, je lui dois aussi ma titularisation, alors que je n’étais pas encore syndiquée », peste Najiba. Un ressentiment général envers les syndicats majoritaires, jugés « loin du terrain », et leurs pratiques, « clientélistes ».

Trois centrales sont à couteaux tirés : Alliance a remporté un tiers des voix aux élections professionnelles de 2014, suivie de près par FO, qu’elle a détrônée, puis par l’Unsa Police (13 %). En quatre ans, FO a dégringolé de 10 points. Notamment au profit de syndicats alternatifs comme la Fédération professionnelle indépendante de la police (Fpip), qui a récolté 3,35 % des voix, ou encore France Police. Ce Petit Poucet n’a certes enregistré que 0,95 % des votes, mais pour une première, ça laisse augurer une belle marge de progression. « Stratégiquement, les policiers n’ont pas intérêt à voter puisque nous ne sommes pas représentatifs. Nous avons bien plus de sympathisants que ce que reflètent les résultats », soutient Michel Thooris, son secrétaire général. Lui et son acolyte de la Fpip alimentent les cortèges. C’est même le numéro un de France Police qui prévient la presse par texto du lieu des rassemblements, souvent gardé secret pour éviter les débordements. Des syndicats « antisystème » aux yeux de certains agents, et qui au moins n’ont pas trempé dans des magouilles. Contrairement à Joaquin Masanet, ex-patron de l’Unsa, mis en examen pour « trafic d’influence », « faux et usage de faux » et « abus de confiance aggravé » (lire Liaisons sociales magazine, n° 165, octobre 2015).

Le mouvement spontané des policiers suscite des convoitises. Des petits malins en ont profité pour se mettre en scène, même s’ils ne sont pas les mieux placés pour porter leur voix. Tel Rodolphe Schwartz, ancien adjoint de sécurité, contractuel de la fonction publique qui n’a jamais été titularisé et a quitté la police en 2014. L’extrême droite, Front national en tête, s’est aussi incrustée. Le 26 octobre, Marion Maréchal Le Pen a rejoint le cortège devant l’Assemblée nationale, forte d’un récent sondage du Centre de recherches politiques de Sciences po : 57 % des policiers seraient prêts à voter bleu marine aux élections présidentielles de 2017, contre 30 % en 2012. Le patron de France Police figure à la 70e place dans la liste des membres élus du comité central du FN. « J’écris quelques notes sur la sécurité à Marine Le Pen », admet Michel Thooris.

Récupération.

Conscients du danger qui les guette, les syndicats traditionnels, eux, ne savent pas trop comment éteindre l’incendie et répondre à un désarroi qu’ils n’ont pas vu venir. Yves Lefebvre, secrétaire général d’Unité SGP Police-FO, n’a pas répondu à nos sollicitations. Jean-Claude Delage, son homologue à Alliance, non plus. Sûrement gêné par des accusations qui remontent à la surface : il se serait davantage préoccupé de sa carrière personnelle que de celle de ses ouailles. En 2010, alors âgé de 48 ans, Jean-Claude Delage est devenu « responsable d’unité locale de police », le grade le plus élevé dans le corps des sous-officiers… Pour contrer les tentatives de récupération, celle qui se fait simplement appeler Maggy et qui est à la tête du MPC indique que, politiquement, « l’association vote blanc ».

Mais comme dans tout conflit, le plus dur, c’est de tenir sur la durée. « Le mouvement, minoritaire même s’il est très repris car suscité par l’émotion, s’essouffle », glisse le service de communication de la police. Le 13 décembre, devant les Invalides, ils étaient seulement quelques centaines à avoir répondu présent à la rafale de SMS. Grimés en blanc ou pas, ils auront au moins réussi à faire entendre une autre voix.

Stress maximal, prise en charge minimale

Dans les écoles de police, la formation aux risques psychosociaux est « très insuffisante », déplore Véronique Daumérie, déléguée nationale de la section action sociale d’Alliance. « On a tendance à médicaliser le suicide, mais on ne se pose pas suffisamment de questions sur le management et les conditions de travail », regrette quant à lui Pierre Dartigues, secrétaire national du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure. Pourtant, depuis 2015, tous les commissaires et lieutenants en devenir passent quelques jours à l’établissement de soins pour policiers qui souffrent d’épuisement professionnel ou de conduites addictives situé au Liège (Indre-et-Loire). Et ce, dans le but de les sensibiliser au burn-out et aux risques liés à la consommation de drogues, d’alcool surtout.

Le centre du Courbat propose aussi un séjour de quinze jours spécial post-attentat. Et début septembre, cet établissement, géré par l’Association nationale d’action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l’Intérieur, sorte de CE des fonctionnaires sous l’égide de la place Beauvau (lire Liaisons sociales magazine, n° 165, octobre 2015), a mis en place un atelier hebdomadaire de psycho-éducation sur les troubles post-traumatiques.

Le centre de soins du Courbat, en Indre-et-Loire, accueille les policiers en souffrance.

* Les prénoms des policiers ont été modifiés à leur demande.

Auteur

  • Rozenn Le Saint