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La longue marche du travail du dimanche

Décodages | publié le : 01.02.2017 | Alexia Eychenne

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La longue marche du travail du dimanche

Crédit photo Alexia Eychenne

La loi Macron sur le travail dominical commence à faire effet. En 2017, tous les grands magasins parisiens ouvriront sept jours sur sept. Le signe d’une accélération du mouvement, après plus d’un an de négociations embrouillées.

Coup dur pour les adversaires du travail du dimanche. Dans les dernières heures de 2016, après mille tergiversations, l’Unsa a signé l’accord sur l’ouverture du Printemps sept jours sur sept. Rejoignant la CFDT et la CFE-CGC. Il ne manquait plus à la direction qu’un paraphe pour atteindre les 30 % de représentativité prévus par la loi. L’enseigne historique du boulevard Haussmann comptait jusque-là parmi les derniers villages d’irréductibles opposants. Un signe que les digues cèdent : tous les grands magasins parisiens ont désormais les mains libres pour ouvrir le week-end. Les Galeries Lafayette ont signé un accord en mai 2016 pour une mise en œuvre début 2017. Le Bon Marché ouvrira à partir de mars, le Printemps vers avril. Le BHV a été le premier à passer le cap dès juillet. Un effet domino rendu possible par la loi Macron d’août 2015. Le texte a assoupli les règles en créant 21 zones touristiques internationales (ZTI). Les commerces de plus de 11 salariés y sont autorisés à ouvrir tous les jours à condition qu’un accord majoritaire fixe les compensations. La bijouterie et la couture parisienne ont signé un accord de branche. Ce n’est pas le cas des grands magasins. Les pourparlers, pilotés par l’Union du grand commerce de centre-ville (UCV), ont échoué. Résultat, « les négociations ont été renvoyées aux entreprises », regrette Jacques Biancotto, président de la branche commerce de la CFE-CGC. D’où un processus chaotique de plus d’un an. Chaque enseigne a dû trouver un compromis sur les majorations, les récupérations, les conditions de rétractation ou les créations d’emploi. Une simple formalité ou un casse-tête selon le paysage syndical.

Salariés volontaires.

Au BHV, les salariés avaient rejeté par référendum un premier projet. La direction est passée outre, rouvrant des négociations jusqu’à obtenir gain de cause, grâce au soutien de SUD-Solidaires. Un ralliement qualifié de « grand n’importe quoi » par SUD commerces et services, hostile au travail dominical… Au Bon Marché, la CFDT et la CFE-CGC, qui représentent 63 % des salariés, ont permis de valider l’accord. Les Galeries Lafayette, en revanche, se sont embourbées dans un imbroglio juridique. La CGT, FO et le Syndicat commerce indépendant démocratique (Scid) ont fait valoir leur droit d’opposition. Mais la direction a contesté la représentativité du Scid, désaffilié de la CFDT depuis les élections. Le tribunal d’instance de Paris a donné raison aux Galeries, qui ont donc snobé le veto syndical. Mais le feuilleton continue. « La direction se fait justice elle-même en appliquant l’accord, mais la question n’a pas été tranchée en cassation », prévient Alexandre Torgomian, secrétaire général du Scid…

Dans l’habillement, la parfumerie et le commerce audiovisuel, les négociations ont aussi été menées au cas par cas. Parmi les premiers à ouvrir, Darty, Sephora et Inditex (Zara, Bershka…). Chez Nespresso, en revanche, le projet est contré par la CGT et la CFDT. Les salariés volontaires pour travailler le dimanche ne manquent pas chez le roi des dosettes. « La plupart des vendeurs sont des débutants dont le salaire ne dépasse pas 1 500 euros brut », pointe Karima Merghoub, déléguée syndicale CFDT. Mais, selon elle, le texte proposé par la direction crée une inégalité entre les salariés qui travaillent régulièrement le dimanche et ceux présents les douze jours déjà autorisés par la maire. « Les premiers auraient été majorés à 125 %, les seconds à 100 % seulement, indique Karima Merghoub. Comment les volontaires auraient-ils été choisis pour chaque date ? On aurait créé une zizanie pas possible ! »

La Fnac aussi a longtemps résisté. La CGT, FO et SUD ont fait jouer leur veto au texte signé en juillet, mais ils ont perdu leur droit d’opposition lors des élections de fin 2016, ouvrant la voie à un accord. Entre-temps, la situation s’est envenimée au magasin des Champs-Élysées, avec plusieurs semaines de grève. En cause, un embrouillamini lié à la superposition de dispositifs : les vendeurs n’ont pas droit à un repos en plus lorsqu’ils travaillent le week-end, contrairement à ceux des Fnac qui n’accueillent les clients que lors des dimanches de la maire. Sacré bazar.

Les opposants au travail du dimanche pourraient avoir de plus en plus de mal à défendre leurs places fortes. Chaque nouvelle ouverture fournit des armes à ses partisans. Comme chez Orange, dont une boutique de 2 000 mètres carrés en pleine ZTI Haussmann fait face à l’Apple Store, ouvert le dimanche depuis l’été. « En restant fermé, on a l’air ringard et incapable de s’adapter aux usages, tranche Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC Orange, qui réclame un accord. Nous ne sommes pas favorables à une généralisation du travail dominical, mais nous pensons qu’il y a des points névralgiques où il a un sens. » Les négociations bloquent pour l’instant sur les contreparties.

Mais cette contagion inquiète le Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris (Clic-P), alliance de syndicats anti-travail dominical. « On observe que des demandes de dérogations se multiplient auprès de la préfecture », assure Céline Carlen, secrétaire générale de la fédération CGT du commerce et des services. C’est le cas du magasin Tati du boulevard Barbès, exclu du découpage de la ZTI de Montmartre. Au Printemps, éligible au travail du dimanche sauce Macron, c’est l’Unsa qui a fait pencher la balance. Le syndicat a fini par craquer au nom de la concurrence. « On ne pouvait pas laisser le Printemps avec un tel handicap face aux Galeries Lafayette », juge Georges Das Neves, délégué central de l’Unsa-Printemps. L’accord signé a permis de pérenniser l’ouverture de deux autres sites du Printemps, à Marseille et à Deauville, eux aussi situés en zone touristique. Et qui devaient de toute façon être couverts par un nouveau texte avant août 2017. « Ne pas signer aurait conduit à une impasse », selon Georges Das Neves.

Traitements différents.

Pour l’heure, aucun bilan n’a été dressé. Ni sur les retombées ni sur les conditions de travail. Au BHV, la direction reste muette. Son accord distingue les salariés qui travaillent parfois le dimanche et les équipes de fin de semaine. Les premiers sont payés double et ont une récupération. Pour les seconds, seuls quinze jours sont majorés à 100 %, les autres à 50 %. En janvier, la CFTC estimait qu’il était trop tôt pour tirer des leçons. Opposée au travail dominical, la CGT juge de son côté les premiers mois « mitigés ». « Une centaine de salariés ont été recrutés, mais il y a beaucoup de turnover, décrit Florine Biais, déléguée syndicale. Les effectifs permanents ont été un peu réduits, ce qui entraîne une charge de travail plus lourde le dimanche. »

Jean-Claude Bigel, secrétaire général de SUD-Solidaires BHV, signataire inattendu du texte, refuse de s’exprimer. Il indique toutefois que son syndicat pourrait dénoncer l’accord… « La direction s’était engagée oralement à ne pas toucher aux objectifs de vente, promettant que le chiffre d’affaires du dimanche serait compté en plus, avance Florine Biais. Dès juillet, on a pourtant vu les objectifs grimper et les variables baisser. Les signataires ont commencé à tousser ! »

Autre point de crispation, la différence de traitement entre salariés maison et démonstrateurs embauchés sur les stands, qui représentent parfois plus des deux tiers des effectifs. Seuls les premiers sont couverts, comme ce sera le cas au Printemps, aux Galeries et au Bon Marché. Concernant les seconds, si leur employeur n’a pas signé d’accord, leur stand reste fermé. « Cela a été le cas les premiers dimanches, assure Florine Biais. Le BHV compense parfois avec son personnel, mais la charge de travail devient vite intenable. » Pour les démonstrateurs couverts par un accord, rien ne garantit que leurs contreparties soient à la hauteur de celles des salariés de l’enseigne.

« Dans les faits, les compensations se ressemblent, avec des heures au moins payées double », assure Jacques Biancotto, de la CFE-CGC. Mais les syndicats ne disposent pour l’heure d’aucune information sur le sujet. Georges Das Neves, de l’Unsa-Printemps, ne peut qu’espérer que son employeur aura « un regard scrutateur » sur les négociations menées par les marques. Comme un vœu pieux.

Les oubliés du dimanche

Les vendeurs ne sont pas les seuls professionnels concernés par l’extension du travail dominical. « En ouvrant les magasins sept jours sur sept, on va créer de nouveaux besoins dans les transports, la garde d’enfants, la sécurité ou encore le nettoyage », prévient Alexandre Torgomian, secrétaire général du Syndicat commerce indépendant démocratique (Scid), farouche opposant au travail du dimanche. Autant de métiers qui vont devoir renoncer à leur repos hebdomadaire, pour un bénéfice souvent mince. La question se pose chez les professionnels de la petite enfance, qui pourraient être de plus en plus sollicités par les parents amenés à travailler le dimanche.

La loi Macron oblige les entreprises à couvrir une partie de leurs frais de garde, sous forme de chèques emploi service universel. Mais les compensations salariales garanties par les conventions collectives du secteur sont bien inférieures à celles négociées par les syndicats dans les enseignes. Les assistants maternels employés par des particuliers-employeurs doivent être payés 25 % plus cher. Les employés des crèches sont un peu mieux lotis, avec une majoration de 50 %. Sursollicités depuis les attentats, les agents de sécurité sont aussi de plus en plus nombreux à travailler le dimanche à l’entrée des grands magasins. Tout comme le personnel de ménage, autre prestataire mobilisé pour l’occasion. Or les conventions collectives de ces secteurs comptent parmi les moins protectrices pour les salariés. Celle de la propreté n’accorde que 20 % de majoration des heures du dimanche, et celle de la sécurité 10 % seulement…

Auteur

  • Alexia Eychenne