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Emploi: la vraie galère des bac + 8

Décodages | publié le : 01.02.2017 | Adeline Farge

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Emploi: la vraie galère des bac + 8

Crédit photo Adeline Farge

Entre recrutements en chute libre et stéréotypes tenaces, les titulaires de doctorat peinent à trouver du travail en France. Les écoles doctorales tentent de les aider à élargir leur horizon et à se vendre.

Diplômé de l’École normale supérieure de Lyon en 2006 et titulaire d’un doctorat en physique en 2010, Elian a vu son avenir dans la recherche publique réduit à un enchaînement de contrats précaires. Échaudé, à 33 ans, il a remisé son ambition au placard pour se lancer, après un « postdoc » aux États-Unis, dans la quête d’un poste de développeur informatique. Las. Depuis son retour en France au mois de juin, ses candidatures sont restées lettre morte. Seule l’Éducation nationale lui a offert un poste de vacataire, avec une rémunération loin de ses qualifications : « Mon doctorat ne vaut rien. Un recruteur m’a même demandé ma mention au bac. »

Ce début de carrière chaotique est le lot commun des 12 000 personnes qui décrochent un doctorat chaque année. Dans un référé adressé en janvier 2016 à la ministre de l’Enseignement supérieur, la Cour des comptes s’est d’ailleurs alarmée d’une insertion professionnelle aussi « décevante ». Le taux de chômage des bac + 8 trois ans après leur entrée dans la vie active avoisine les 9 %, soit légèrement mieux que la moyenne nationale, selon l’enquête Génération 2013 du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq). Et seuls 43 % des chanceux qui ont été recrutés un an après leur soutenance occupent un emploi pérenne, notait l’Apec en 2015. « Le doctorat reste un sésame efficace pour s’insérer sur le marché du travail. Les docteurs ont moins souffert de la crise économique que les diplômés de master ou de licence », pondère Julien Calmand, chargé d’études au Cereq.

Bien que les grands groupes se laissent séduire de plus en plus par leurs compétences, nos têtes bien pleines enregistrent un taux de chômage trois fois plus élevé que leurs congénères de l’OCDE. En cause : un manque de reconnaissance de la part des entreprises. « Les docteurs sont perçus comme des rats de laboratoire spécialisés sur des sujets déconnectés de la réalité. Des patrons craignent qu’ils ne soient pas capables de travailler avec leurs équipes, déplore Mathieu Nivon, chargé de promotion du doctorat à l’université de Lyon. Ces images renvoient à une image dépassée de la recherche. »

« Pas opérationnels ».

Ces préjugés dissuadent bon nombre de recruteurs de les embaucher. « Les docteurs ne sont pas opérationnels. Ils n’arrivent pas à mettre en pratique leurs théories et ne sont pas en phase avec nos contraintes de productivité », tacle Sabir Tapory, dirigeant d’Insia, PME spécialisée dans les technologies de la virtualisation. Les responsables ont tendance à privilégier les diplômés des écoles d’ingénieurs ou de commerce, qu’ils connaissent mieux pour être souvent issus du même sérail. « Certaines entreprises n’ont jamais recruté de docteurs et, pour se rassurer, elles se rabattent sur des profils moins spécifiques. Les RH n’ont pas de grilles de lecture, comme les classements des grandes écoles, pour décrypter leur CV », souligne Philippe Gambette, administrateur de l’Association nationale des docteurs.

Pourtant, l’État a mis le paquet pour créer des dispositifs incitatifs. Les employeurs qui intègrent en CDI un jeune docteur dans leur équipe de recherche et de développement bénéficient durant deux ans d’une aide financière à travers le crédit d’impôt recherche. Les conventions industrielles de formation par la recherche ont fait aussi la preuve de leur efficacité. Parmi ceux qui en ont bénéficié, 96 % ont décroché un emploi un an après leur thèse, et les deux tiers travaillent dans le privé, note le ministère de l’Enseignement supérieur. « Ces experts de très haut niveau contribuent à notre compétitivité internationale. Ils sont capables de creuser un sujet complexe et de développer des solutions innovantes », se félicite Didier Roux, directeur de la recherche et de l’innovation de Saint-Gobain.

Les écoles doctorales, qui dans les universités fédèrent un ensemble d’équipes prenant en charge la formation par la recherche des étudiants, se mobilisent aussi pour combler le fossé entre leurs ouailles et les entreprises. Car si les filières universitaires ont mauvaise presse auprès des employeurs, les doctorants ne voient pas non plus d’un très bon œil l’idée de rejoindre le secteur privé. « Ils redoutent de devoir orienter leurs projets de recherche selon les stratégies de l’entreprise et de perdre leur liberté pour se plier à des exigences de rentabilité », note Michel Desarmenien, directeur du collège doctoral du Languedoc-Roussillon. Naturellement, 64 % des jeunes docteurs se projettent dans la recherche publique, plus prestigieuse à leurs yeux. Sauf qu’avec environ 2 000 postes de titulaire ouverts par an les places sont chères. En 2015, parmi ceux qui avaient soutenu leur thèse quatre à six ans avant, seuls 39 % avaient accédé à ce Graal et près de la moitié travaillaient dans le privé, selon l’Apec.

Réseau et codes.

Dur de faire le deuil de sa vocation… Si beaucoup doivent élargir leur horizon, tous ne sortent pas la tête de leur labo pour plancher sur un plan B. Propulsés sur le marché du travail, ils ne disposent ni du réseau ni des codes pour s’insérer rapidement. Les écoles doctorales leur donnent donc des pistes sur la rédaction de CV, la préparation d’entretiens d’embauche, mais aussi la vulgarisation de thèse. « Les docteurs se centrent sur les résultats de leurs travaux alors qu’ils ont développé des compétences en matière d’ouverture d’esprit, de gestion de projet, de communication… On leur apprend à se vendre dans un langage compréhensible par les recruteurs », détaille Vincent Mignotte, directeur de l’Association Bernard Grégory, qui œuvre au rapprochement du monde académique et des entreprises.

En parallèle, les salons de recrutement dédiés aux bac + 8, à l’image du PhD Talent Career Fair, se multiplient. « Nous leur montrons qu’il existe d’autres perspectives de carrière tout aussi intéressantes que celle d’enseignant-chercheur », insiste Sylvie Pommier, directrice du collège doctoral de l’université Paris-Saclay. Les docteurs briguent surtout des postes de cadres dans l’industrie, les services aux entreprises ou la santé. R & D, conseil, ingénierie, marketing, RH, informatique… Les débouchés sont vastes mais les salaires plafonnent à 2 200 euros nets en moyenne. Pas étonnant que nos cerveaux préfèrent s’envoler vers des pays où le doctorat est davantage valorisé. « Un an après leur thèse, 40 % des docteurs partent travailler à l’étranger, dont 20 % dans une entreprise, précise Marc Joos, responsable du pôle innovation et études du cabinet de recrutement Adoc Talent Management. En Allemagne ou aux États-Unis, le doctorat est le titre le plus prestigieux de l’enseignement supérieur. Ils pourront accéder aux postes à responsabilité. » À défaut d’assurer un emploi à coup sûr, le doctorat ouvre les portes de l’international. Bien regrettable pour une France qui se rêve plus innovante…

Auteur

  • Adeline Farge