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Décodages

Candidat, sois créatif, agile, critique !

Décodages | publié le : 01.02.2017 | Judith Chetrit

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Candidat, sois créatif, agile, critique !

Crédit photo Judith Chetrit

Pour être recruté, il ne suffit plus d’avoir un CV aux petits oignons. Il faut montrer des qualités humaines correspondant aux besoins d’innovation des entreprises. Bienvenue dans l’ère des « soft skills » !

« Nous recherchons un candidat organisé, rigoureux, curieux, créatif, autonome, mais aimant le travail en équipe. » Voilà le genre de mouton à cinq pattes dont les recruteurs raffolent en ce moment. Un candidat non seulement doué mais aussi doté de qualités humaines exceptionnelles. Une sorte de super-héros qui va devoir passer à travers les mailles de plus en plus serrées d’un filet. Car, au-delà des compétences techniques, les entreprises recherchent des « soft skills », ces compétences comportementales qui peuvent être un critère déterminant lors d’un entretien d’embauche. Dans son enquête annuelle The Future of Jobs, le World Economic Forum a listé celles que les salariés devront acquérir d’ici à 2020 pour faire la différence : la gestion de problèmes complexes, l’esprit critique ou encore la créativité.

Lors de l’annonce de 1 700 offres de recrutement en septembre 2016, le cabinet d’audit PwC n’a pas hésité à présenter quatre types de candidats rêvés : « outoftheboxeur », « synergisant », « révolueur », « éconoclaste ». Des néologismes qui montrent le poids croissant du marketing dans les ressources humaines. « Cela correspond aussi à la stratégie actuelle de PwC, qui est d’aller vers plus d’innovation, notamment dans le data, le digital ou la cybersécurité. On ne cherche plus des clones et on diversifie notre mode de recrutement », souligne Virginie Groussard, directrice du recrutement. Le spectre de recherche s’élargit. Les directions commencent à comprendre que l’uniformité ne sert pas la créativité. « La montée en puissance des soft skills est venue avec la mise sur le tapis du sujet de la diversité », abonde à ce propos Guylaine David, directrice de la gestion des talents de Technicolor.

Pour beaucoup de recruteurs, ces compétences ne s’opposent pas aux hard skills. « Ce sont des atouts comme la confiance en soi ou la gestion du stress qui permettent de se démarquer », concède Julien Bouret, coach en bien-être professionnel et coauteur du Réflexe Soft Skills (Dunod, 2014). « C’est ce qui est inhérent à la personne, ce qui se dégage de son parcours de vie », poursuit Thierry Roger, directeur de l’espace emploi de Carrefour, tout en précisant que « le sens de la relation client, la curiosité et l’innovation » font partie d’un « socle commun aux différents métiers du groupe ». Les atouts à mettre en valeur varient selon les entreprises. Ce sont, par exemple, « l’ouverture d’esprit » pour Technicolor ou « l’agilité et l’entrepreneuriat » pour Axa. Les candidats l’ont bien compris. Selon une étude de novembre 2016 du NewGen Talent Center, qui analyse les parcours des jeunes diplômés de l’école de commerce lilloise Edhec, ceux-ci placent « le sens du résultat, la capacité à apprendre et l’habileté relationnelle » sur le podium des qualités humaines requises pour un premier emploi.

Test de personnalité.

Mais débusquer ces atouts est loin d’être simple. « Longtemps, on ne savait pas comment s’y prendre. On s’en remettait à son instinct. Mais on avait alors tendance à prendre des gens qui nous ressemblent », indique Guylaine David. Pour contrer l’arbitraire et la subjectivité, les entreprises se sont outillées. Chez PwC, depuis un an, les candidats passent un test de personnalité, le Papi, où sont évalués au travers de 250 questions leur détermination, leur ouverture d’esprit, leur engagement et leur aptitude à prendre des décisions. « Nous validons ensuite ces hypothèses en entretien », détaille Virginie Groussard. Chez Carrefour, les chargés de recrutement disposent depuis deux ans d’un dispositif imparable. « En entretien, nous demandons au candidat d’identifier une situation positive qui lui est arrivée et de parler de ses émotions, réactions et actions. Nous cherchons ensuite à voir comment les transférer en entreprise », expose Thierry Roger.

Les écoles se mettent au diapason et valorisent des atouts comme la créativité, l’empathie ou l’esprit d’équipe. « Au milieu des années 1980, je formais déjà des dirigeants à la compréhension de leur schéma de performance, à la gestion du temps, note Laure Bertrand, directrice du département soft skills et services pédagogiques transverses du pôle universitaire Léonard de Vinci à la Défense (Hauts-de-Seine). À présent, c’est descendu au niveau des formations initiales. » Cette enseignante a imaginé des cours et ateliers pour les 3 500 étudiants des quatre écoles du pôle. Une à quatre semaines avec des entrepreneurs sociaux, des acteurs ou en atelier d’écriture. « En première année, on apprend l’organisation de son temps et d’une équipe, mais aussi la promotion d’une idée et d’une innovation. On essaie à chaque fois de partir des expériences des étudiants », poursuit Laure Bertrand. Preuve de l’importance grandissante des « humanités », la commission des titres de l’ingénieur exige des écoles reconnues qu’elles y consacrent 30 % des cours.

Ateliers de pleine conscience.

En tête des qualités valorisées : la créativité. La plupart des écoles cherchent à faire intégrer aux étudiants que cet atout n’est pas nécessairement inné mais se travaille. L’Essec a mis en place le centre iMagination, qui accueille des personnalités pour évoquer le parcours des meilleures idées. À Lyon, Centrale et l’EM se sont associées pour créer un learning lab consacré aux nouvelles pédagogies. Et Grenoble École de management a mis en place des ateliers de pleine conscience avec des pédagogies alternatives allant de travaux collaboratifs à des exercices de respiration. Objectif ? Aider les étudiants à mieux se connaître eux-mêmes, à se concentrer et à faire corps avec leur environnement. Les employeurs apprécient. « On retrouve les efforts fournis par l’enseignement supérieur quand on accueille des étudiants en stage ou en apprentissage. Leurs écrits sont plus opérationnels. C’est une génération de millennials intuitive dans son rapport au travail », analyse Muriel Nicou, responsable de la marque employeur d’Axa. Et à en croire Bernard Remaud, président de l’European Network for the Accreditation of Engineering Education, « les vingt-quatre semaines minimum de stage obligatoire sont un bon moyen d’acquérir des soft skills ».

Détenir ces compétences se révèle payant. Selon, une étude de l’Institut de recherche sur l’éducation de Bourgogne de 2016, il existe un lien entre la rémunération et le fait d’avoir une bonne estime de soi, d’être persévérant ou un bon communicant. Mais là, l’université pèche. « C’est la double peine. Les soft skills s’acquièrent d’abord dans le milieu familial ou le cercle d’amis. Or ceux qui en sont le plus dépourvus passent essentiellement par la faculté », relève Jean-François Giret, le directeur. Ou comment des critères prétendument plus ouverts conduisent finalement à renforcer les différences…

Auteur

  • Judith Chetrit