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Paritarisme, un modèle à dégripper

À la une | publié le : 01.02.2017 | Nicolas Lagrange

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Paritarisme, un modèle à dégripper

Crédit photo Nicolas Lagrange

Lourd, coûteux, illisible, inefficace… le système de gestion par les partenaires sociaux d’organismes tels que la Sécu ou l’Agirc-Arrco est la cible de critiques virulentes. Pas toujours fondées.

Nationaliser l’Unedic pour Emmanuel Macron et François Fillon, supprimer les Opca pour le think tank Ifrap, remettre à plat le système du 1 % logement et de la médecine du travail selon l’économiste Jean-Charles Simon… Sale temps pour le paritarisme ! « Complexe, opaque, pléthorique, inefficace » : ces termes peu amènes reviennent sans cesse. Constamment vilipendé, le système paritaire – qui confie la gestion de nombreux organismes aux représentants des organisations syndicales et patronales – serait devenu au fil des années l’instrument du statu quo. Son alibi aussi. Bloquant les réformes, se préoccupant surtout de sa propre survie.

Mais au fait, de quel paritarisme parle-t-on ? D’abord et avant tout du paritarisme de gestion, qui a la main sur 150 milliards d’euros de dépenses chaque année, soit près d’un quart des dépenses de protection sociale en France. C’est le versant le plus visible et le plus emblématique du système paritaire. Lequel comprend aussi des centaines d’instances de branche et d’instances territoriales. Tous niveaux confondus, plus de 200 000 mandats sont occupés par des représentants patronaux et syndicaux (lire l’encadré page 21). Reste le dialogue social en entreprise, que nous avons fait le choix de ne pas traiter : avec près de 767 000 mandats en 2011, selon l’Insee, il relève plus des relations sociales que de la gestion paritaire. Au cœur du paritarisme bashing actuel, cinq reproches tournent en boucle. Des rengaines pas toujours justifiées.

Un champ d’action sous surveillance ?

Retraites, assurance chômage, handicap, assurance maladie, formation professionnelle… Les partenaires sociaux ont la mainmise sur tous les champs du social, accusent leurs détracteurs. Ils siègent aussi dans d’innombrables instances nationales tels le Conseil économique, social et environnemental, de branches telles les commissions paritaires nationales de l’emploi, et locales, dans les lycées pros par exemple. Un système hypertrophié sans équivalent en Europe, que d’aucuns souhaitent sensiblement redimensionner, voire supprimer (lire l’interview page 24). Seul hic, les représentants syndicaux et patronaux ne sont vraiment seuls aux manettes que dans quelques organismes, comme l’Agirc-Arrco, l’Unedic, les institutions de prévoyance ou les Opca. Partout ailleurs, l’État, voire les régions, est présent, diluant le pouvoir des partenaires sociaux, comme dans la formation professionnelle. Et même lorsqu’ils tiennent le gouvernail, c’est sous la houlette des pouvoirs publics, comme à l’Unedic. « Tous les gouvernements font de l’ingérence dans nos négociations, déplore Véronique Descacq, numéro deux de la CFDT. En nous disant ce qu’il faut faire, en particulier sur le régime des intermittents du spectacle. » Même récrimination au Medef, où l’on stigmatise un État impécunieux, qui « ponctionne régulièrement le budget de plusieurs organismes ». Comme au Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, à Action logement ou à l’Agefiph.

« L’État jacobin regarde avec suspicion le paritarisme, pointe Gilles Nezosi, chercheur associé au laboratoire Pacte de Sciences po Grenoble. Il accepte difficilement que les partenaires sociaux aient la main, même s’il leur demande de négocier rapidement et dans un sens bien précis, sur la base d’un document d’orientation souvent très cadré. » Le vaste champ d’action du paritarisme est donc en trompe-l’œil, souvent plus théorique que réel, étant donné l’interventionnisme de l’État.

Des résultats calamiteux ?

Échec sur le dialogue social début 2015. Rebelote mi-2016 sur l’assurance chômage. Compromis a minima sur le logement en 2011 ou sur l’assurance chômage en 2014 : les « antiparitaristes » dressent un piètre bilan des grandes négociations interprofessionnelles, stigmatisant leur propension au conformisme. « Il s’agit d’une aimable plaisanterie, contre-attaque Véronique Descacq. La rupture conventionnelle et la représentativité syndicale en 2008, la complémentaire santé généralisée, les droits rechargeables et les accords de maintien dans l’emploi en 2013, l’accord sur les retraites complémentaires en 2015… Ce sont des changements de grande ampleur ! » Pas forcément visibles du grand public, car quand ça marche, le gouvernement s’en arroge la paternité; et quand les négociations achoppent, il reprend la main tel un sauveur.

Pourtant, bien souvent, le paritarisme réussit là où l’État aurait failli. Sur les retraites complémentaires, aurait-il pris le risque de minorer la pension en cas de liquidation avant 63 ans, alors que l’âge légal est à 62 ans (lire page 22) ? Idem sur la réforme de la formation professionnelle avec la création du compte personnel de formation, de l’entretien professionnel, et la suppression du 0,9 % au plan de formation ? Des mesures adoptées sans l’aval de la CPME (ex-CGPME) et de la CGT. « La recherche permanente de consensus avec, autour de la table, cinq organisations syndicales et trois patronales constitue une gageure, analyse Pierre Ferracci, président de Groupe Alpha (expertise et conseil). Le consensus unanimiste est rarement porteur de résultats probants. »

Mais l’État ou le privé ne feraient-ils pas mieux ? « En privatisant la gestion, il y aurait un vrai risque de privatiser les bénéfices et de nationaliser les pertes », met en garde Jean-Marc Germain, député PS et auteur d’un rapport sur le paritarisme. Quant à l’État, « a-t-il vraiment envie d’être directement aux commandes ? interroge Gilles Nezosi. Serait-il parvenu au même résultat sur les retraites complémentaires sans susciter une forte contestation sociale ? Rien n’est moins sûr. L’implication des partenaires sociaux évite une gestion trop technocratique. Même lorsqu’ils ne sont pas directement gestionnaires, comme dans les organismes de Sécurité sociale, ils exercent une magistrature morale essentielle. Ils peuvent alerter sur les conséquences de telle ou telle décision, faire remonter les difficultés de leurs mandants, saisir la commission de recours amiable… bref, freiner les ardeurs bureaucratiques et rester en prise avec le terrain ». Même s’il ne réussit pas toujours à dégager des compromis, le système paritaire a toutefois accouché de réformes structurantes.

Un système coûteux et opaque ?

Près de 80 millions d’euros pour financer les organisations syndicales et patronales, 200 millions d’euros pour les défraiements de leurs mandataires : le paritarisme coûte cher, pointe le think tank libéral Ifrap. Avec des dérives, dans la gestion du 1 % logement, de la médecine du travail ou encore des fonds de la formation professionnelle. Les partenaires sociaux ne les nient pas, même s’ils soulignent qu’elles sont pour la plupart anciennes et d’ampleur limitée, au regard des énormes masses financières qui sont gérées. « Le coût du système paritaire est infinitésimal par rapport à la contribution des partenaires sociaux, ajoute Jean-Marc Germain. Les mandataires ont des moyens limités. Le plus souvent bénévoles, ils consacrent beaucoup de temps à la défense de l’intérêt général. »

Le socialiste souligne la bonne gestion des organismes paritaires pris individuellement, mais regrette les redondances et le manque de cohérence de l’ensemble, préconisant un contrôle annuel du Parlement sur les comptes prévisionnels des régimes paritaires, via l’examen d’un projet de loi sur les finances sociales. « Le coût du paritarisme, c’est le coût global de gestion des multiples organismes avec toute leur complexité, argumente-t-on au Medef. L’accord de 2012 sur la modernisation du paritarisme a imposé des audits internes et externes aux organismes paritaires interprofessionnels et une obligation de certification et de publication des comptes. Mais on peut encore progresser en matière de transparence. » Audits et certifications pourraient notamment s’appliquer aux structures intermédiaires et aux instances de branche. De quoi renforcer un contrôle encore insuffisant et qui prête le flanc à toutes les critiques sur le coût disproportionné du paritarisme.

Des partenaires non représentatifs ?

Les confédérations patronales et syndicales s’appuient sur un faible nombre d’adhérents, c’est indiscutable. Mais elles soulignent que leur représentativité, désormais assise sur leurs résultats électoraux dans les entreprises, les rend plus légitimes. Et rappellent que faire bénéficier les salariés de façon automatique d’avantages sociaux âprement négociés n’encourage pas à la syndicalisation. Les mandataires sont aussi régulièrement épinglés : majoritairement masculins, éloignés du terrain, faiblement représentatifs, souvent retraités, issus du secteur public, pas toujours soucieux de rendre des comptes. « Les mandats sont de plus en plus techniques et chronophages, les membres du bureau sont les plus impliqués, les autres étant plus distants », relève Jean-François Herlem, référent mandats de Réalités du dialogue social (RDS). Même si la donne évolue. La loi Rebsamen d’août 2015 créant les CPRI (instances de dialogue social) dans les TPE prévoit ainsi une représentation femmes-hommes à parité et issue des TPE.

À leur décharge, enfiler le costume de représentants ne fait pas rêver. À l’exception des mandats nationaux interprofessionnels, les bonnes volontés manquent à l’appel, engendrant cumul et absentéisme. « Le contrôle des organismes de gestion échappe parfois aux administrateurs paritaires au profit de la technostructure, complète Pierre Ferracci. Livré à lui-même, le management prend le lead, ce qui n’est pas sain. » D’où la nécessité d’une systématisation des formations, mais aussi d’une valorisation plus forte de l’investissement dans les mandats.

Impossible à réformer ?

Plus de 200 000 mandataires. Et « autant de sources de blocage pour les réformes, tacle Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’Ifrap, dans Le Figaro du 16 mars 2016. En effet, personne ne souhaite réorganiser, supprimer des strates, fusionner des caisses ou des régimes. Pourquoi le ferait-on ? Ce serait autant de mandats paritaires qui disparaîtraient et avec eux la manne qui finance les grandes centrales salariales et patronales ». Les partenaires sociaux ont-ils un pouvoir d’inertie hors normes ? « Le champ d’action du paritarisme a déjà été revu à la baisse, en particulier sur l’assurance maladie, répond Véronique Descacq, avec l’intégration de représentants d’usagers et de personnalités qualifiées. On peut imaginer un scénario similaire pour les allocations familiales, lesquelles sortent également du strict champ du salariat. Mais pas question pour autant de délaisser ce domaine, car nous devons nous intéresser à la conciliation des temps et à la prise en charge de la petite enfance. Nous avons également vocation à intervenir sur les droits de tous les travailleurs, quel que soit leur statut. En effet, ils peuvent alterner entre salariat, chômage et travail indépendant ou cumuler plusieurs statuts. »

Du côté patronal, Thibault Lanxade, l’un des vice-présidents du Medef, estime qu’il faut aller plus loin dans la réduction du champ d’action du paritarisme, en quittant l’Apec. Une prise de position personnelle. Au siège du Medef, on indique qu’il serait justifié de « vérifier au cas par cas si tous les mandats paritaires restent pertinents. Il n’y a aucune réorganisation arrêtée, mais pourquoi ne pas envisager de simples consultations plutôt qu’une implication active dans la gouvernance, dans les domaines où nos prérogatives sont limitées ? » Dans son rapport parlementaire, Jean-Marc Germain suggère plusieurs évolutions fortes : instauration d’un haut conseil de la négociation collective et du paritarisme, apte à s’exprimer sur l’ensemble du champ social; des lieux de négociations neutres, des agendas partagés et la fin de la primauté patronale sur les projets d’accords; la création d’un régime d’assurance formation pour coordonner l’accompagnement des projets d’évolution professionnelle, sur le modèle de l’assurance chômage.

« Un modèle à ne pas suivre, considère pour sa part Pierre Ferracci. La répartition des compétences n’est pas claire, les partenaires sociaux sont majoritaires au conseil d’administration de Pôle emploi, mais n’ont pas le pouvoir de nommer le directeur général. La confusion règne aussi dans le domaine de la formation professionnelle. Il faut associer tous les acteurs, mais il faudrait surtout désigner un pilote. Par ailleurs, il serait plus efficace de demander aux représentants syndicaux et patronaux d’émettre un avis majoritaire, plutôt que d’enregistrer systématiquement huit avis distincts. Mais je reconnais qu’il s’agit là d’un objectif utopique ! » Au bout du compte, si le système paritaire a déjà partiellement évolué, un gros travail d’étude, de rationalisation et de clarification semble indispensable pour lui assurer un avenir serein.

Une constellation de mandats

L’association RDS a élaboré en 2011 le Dictionnaire des instances d’exercice des mandats (DIEM), estimant le nombre de mandats syndicaux et patronaux à plus de 200 000. Près de 70 000 mandats se rapporteraient aux organismes paritaires interprofessionnels. À peu près autant seraient exercés dans les instances paritaires des branches professionnelles. Et plus de 100 000 mandats seraient liés à des instances territoriales (européennes, nationales, régionales, départementales et locales), strictement paritaires ou non. « Il n’existe aucun bilan exhaustif, il s’agit bien d’une estimation, avertit Jean-François Herlem, l’un des artisans du DIEM. Et encore, nous n’avons pas intégré les milliers de mandats relatifs au secteur agricole. » Tout compris, avec les mandats en entreprise, dans les tribunaux de commerce, etc., on frôlerait le million de militants engagés. Pas rien.

Auteur

  • Nicolas Lagrange