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Idées

Des espaces de discussion pour améliorer la santé

Idées | Management | publié le : 02.01.2017 | Emmanuel Abord de Chatillon

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Des espaces de discussion pour améliorer la santé

Crédit photo Emmanuel Abord de Chatillon

Le comportement des managers conditionne la performance de la discussion sur le travail. Elle-même bénéfique pour la santé.

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 16 juin 2013 prône, comme levier d’action sur le bien-être au travail, « la mise en place d’espaces de dialogue et d’expression des salariés ». Ceux-ci peuvent apparaître comme de vieilles lunes, de retour trente ans après les lois Auroux… Cependant, le débat sur les conditions d’émergence, la nature, l’ingénierie et la performance des espaces de discussion semble tout à fait d’actualité, aussi bien scientifiquement qu’empiriquement. Si la définition de ces espaces fait, à peu près, consensus (lieux où les salariés peuvent débattre de et sur leur activité), deux conceptions voisines mais distinctes coexistent. Certains chercheurs estiment, à la suite d’Yves Clot, que ces espaces doivent avant tout rassembler des salariés en dehors de la hiérarchie. D’autres, emboîtant le pas de Mathieu Detchessahar, envisagent plutôt ces espaces comme des lieux où le manager doit prendre sa place pour assurer l’articulation stratégique de ce qui est pensé sur le terrain.

Une autre distinction doit être faite, celle qui différencie des espaces institués à un moment donné pour traiter d’une question de ceux existant continûment ou de façon récurrente. Tenter d’optimiser le fonctionnement d’espaces institués ponctuellement est intéressant mais ne correspond pas aux pratiques de nos organisations.

Source de mal-être

Le quotidien de nos organisations voit coexister deux formes d’espaces récurrents, avec des modalités distinctes. Si les espaces « sans managers » (échanges impromptus, discussions de couloir ou autour de la machine à café…) sont principalement informels, ceux avec managers (réunion de service, entretien d’évaluation…) apparaissent plus formels. Ces espaces qui existent « naturellement » doivent donc être évalués dans leur capacité à produire les conditions du bien-être au travail. Or la performance des espaces de discussion a été essentiellement évaluée qualitativement à la suite de la mise en place de démarches ponctuelles1.

Il manquait donc une évaluation des espaces de discussion quotidiens. Si les travaux de Damien Richard (2012) constituaient une première évaluation donnant à voir la performance de ces espaces, il convenait d’en définir les modalités optimales et les conditions managériales d’obtention de la performance. C’est pourquoi nous avons réalisé une étude (Emmanuel Abord de Chatillon et Céline Desmarais, 2016) pour tenter d’évaluer les liens pouvant exister entre espaces de discussion et santé au travail, et comprendre quelles sont les conditions managériales de leur succès.

Nous avons mesuré à la fois le volume des espaces de discussion potentiels et leur qualité perçue par les salariés. Cela nous donne quatre catégories archétypiques selon le nombre et la qualité de ces espaces (peu de mauvaise ou de bonne qualité, beaucoup de mauvaise ou de bonne qualité). L’analyse statistique montre l’importance du lien entre espace de discussion et mal-être au travail.

Dans les unités de travail disposant de peu d’espaces de discussion, et de mauvaise qualité, l’indicateur de fatigue physique est 58 % plus élevé que dans les unités comptant un nombre élevé d’espaces de qualité. De la même manière, le niveau d’épuisement émotionnel est 71,6 % plus fort lorsque les espaces de discussion fonctionnent mal. L’impact sur le bien-être est plus faible mais tout de même important. Selon notre modèle de bien-être au travail2, la présence d’espaces de qualité est associée à une perception de sens (13 % de plus comparé aux espaces de mauvaise qualité), de lien (16 %), d’activité (19 %) et de confort (21,5 %).

L’impact du management

Si la présence d’espaces de discussion de qualité est clairement associée à un meilleur niveau de santé au travail, il s’agit de savoir comment le management peut s’en emparer. L’analyse des comportements managériaux associés à la performance de ces espaces indique que le management possède un impact fort sur la présence et la qualité des espaces de discussion. Parmi les trois dimensions de la qualité du management mesurées (exemplarité, empathie et management participatif), l’exemplarité a un impact sur la qualité des espaces de discussion mais peu sur la quantité. À l’inverse, un manager empathique sera associé à plus d’espaces de discussion mais à une moindre qualité de ceux-ci. En revanche, le management participatif permet à la fois un volume plus important et une meilleure qualité de ces espaces.

D’après ces résultats, le comportement des managers constitue le moteur principal de la performance des espaces de discussion. Un management de qualité semble permettre à la fois le développement d’espaces de discussion performants, mais aussi, et par cet intermédiaire, une meilleure santé au travail. Cela signifie également qu’un axe majeur du travail de prévention passe par un fonctionnement efficace de la discussion sur le travail. Les lieux de cette discussion existent dans nos organisations, encore faut-il que les managers soient disposés à mieux les gérer…

1. « L’invention d’espaces de dialogue sur les conditions de travail dans l’administration », Y. Lochard, in la Revue de l’Ires, n° 74, 2012/3.

2. « Du sens, du lien, de l’activité et du confort (Slac). Proposition pour une modélisation des conditions du bien-être au travail par le Slac », E. Abord de Chatillon et D. Richard, in Revue française de gestion, vol . 41, n° 249, mai 2015.

Auteur

  • Emmanuel Abord de Chatillon