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Idées

Cinq vœux juridiques pour 2017

Idées | Juridique | publié le : 02.01.2017 | A. F.

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Cinq vœux juridiques pour 2017

Crédit photo A. F.

Si les Français ont les yeux tournés vers les élections présidentielle puis législatives de mai-juin prochain, 2017 sera aussi une année essentielle sur le plan social. Car seront publiés, juste avant les résultats politiques, les très attendus scores de représentativité des syndicats après le cycle 2013-2016 qui s’est achevé avec les élections dans les TPE. Mais aussi, et pour la première fois côté patronal, les scores de chacun au niveau des branches. Des deux côtés, enfin, aucun grand ménage n’est attendu au niveau interprofessionnel. Mais les rapports de force pourraient évoluer, avec une équation inédite pour les nouveaux gouvernants. En ce début d’année agitée, voici cinq vœux d’un juriste du travail.

Que l’alternance juridique ne soit pas automatique

Rompons avec cette mauvaise habitude, gauche et droite confondues. L’arrivée d’une nouvelle majorité ne doit pas automatiquement conduire à prendre le contre-pied du régime précédent pour faire plaisir à ses électeurs et fâcher les acteurs : l’interprétation jurisprudentielle d’un texte prend entre trois ans et… un quinquennat.

Caricature lors de l’alternance 2012 : l’usine à gaz des accords de maintien de l’emploi de 2013, pour bien se démarquer des horribles accords compétitivité-emploi proposés par Nicolas Sarkosy, avec le succès que l’on sait (13 accords en cinq ans). Et si, bien sûr, des textes doivent évoluer, il faut s’en tenir à l’essentiel : « Ne touchez aux lois qu’avec la main tremblante » (Montesquieu, 1588). Surtout à l’égard des lois récentes : Sapin de juin 2013 simplifiant le droit du licenciement économique, Rebsamen d’août 2015 le fonctionnement des IRP, enfin El Khomri donnant priorité à l’accord d’entreprise majoritaire… dont l’actuelle opposition aurait pu être l’auteure.

Stabiliser le volume du code : one in, one out

Comme l’a proposé le rapport Combrexelle, il convient de « limiter le nombre de réformes législatives en fixant un agenda social annuel et en le respectant ». Et pour empêcher l’habituel empilement : « Toute disposition nouvelle du Code doit être gagée par l’abrogation d’une disposition devenue obsolète. »

Énoncée à l’article L. 1, l’obligation pour le gouvernement de consulter les partenaires sociaux avant tout projet de loi n’est certes pas une panacée, mais a sur ce terrain deux avantages. D’abord, un temps obligé de réflexion, et donc de refroidissement médiatique. Ensuite, même en cas d’échec, ces échanges pas toujours officiels permettent de percevoir les enjeux et les lignes blanches pour chacun des acteurs, et donc de mieux border la loi future sur les plans politique et social.

Reconnaître l’imperfection de ce monde

Dans notre monde complexe, l’intelligence consiste aujourd’hui à choisir entre de grands inconvénients, sans chercher à les parer par des textes à rallonge. Voire à ne plus considérer tout employeur comme un fraudeur en puissance en multipliant les interdits. Pis : faire confiance aux acteurs.

Mais la « maison droit du travail » ne tient plus debout si l’on en tripote sans arrêt les fondations. Deux exemples de sape. Ainsi, le nécessaire référendum décisionnel de la loi travail en cas d’accord d’entreprise non majoritaire, qui remet en cause la belle architecture de la loi du 20 août 2008 afin de contourner la radicale opposition de quelques syndicats majoritaires sur le travail le dimanche. Peut-on gouverner une entreprise par référendum clivant, avec réponse binaire sur un texte négocié de 20 pages ?

Autre exemple : même si le monopole syndical au premier tour est loin d’être parfait, a-t-on vraiment mesuré les effets de son éventuelle abrogation ? Dilution automatique des scores, et donc disparition de syndicats réformistes proches des fatidiques 10 % ? Faveur probable pour nos deux extrêmes ? Listes confessionnelles, comme parfois à l’université ? Après l’explosion soixante-huitarde, la loi du 27 décembre 1968 avait fait le choix de favoriser nos grandes centrales plutôt que des atomes plus ou moins libres. Alors, procédons d’abord à une étude d’impact, une vraie : pas, comme d’habitude en France, rédigée par le ministère chargé du projet.

Que la chambre sociale poursuive son retour à la raison

Il est par exemple extraordinaire qu’il ait fallu attendre l’arrêt du 23 novembre 2016 pour abandonner l’idée que « le refus par le salarié d’un poste de reclassement ne pouvait dispenser l’employeur de faire des recherches, ni l’autoriser à les limiter à un secteur géographique ou fonctionnel exigé ou souhaité par l’intéressé ». Et apprendre que « l’employeur peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte ». Idem en matière d’obligation de sécurité de résultat, avec l’arrêt Air France du 25 novembre 2015, treize ans après le revirement du 28 février 2002 qui avait abouti à la création d’un nouvel adage : « À l’impossible, l’employeur est tenu. » De quoi décourager toute prévention. Bref, il n’est plus automatiquement responsable de tout, quels que soient ses efforts de prévention avant le problème et sa réaction immédiatement après.

Adapter le droit au monde qui vient

La demande des (jeunes) collaborateurs d’aujourd’hui ? Ils n’ont rien contre les charrettes, s’ils obtiennent en contrepartie des marges de manœuvre et un nouvel équilibre de vie. La loi travail ayant repris l’essentiel de sa très restrictive jurisprudence sur le forfait jours, la chambre sociale pourrait faire preuve de mansuétude, voire demander leur avis aux intéressés, en s’inspirant par exemple de l’entreprise allemande Bosch autorisant ses salariés à quitter leur poste plus tôt pour s’occuper de leurs proches, puis de reprendre le travail, ce labeur en soirée mais choisi ne donnant pas droit aux primes.

En Allemagne justement, la ministre du Travail a présenté fin 2016 son Livre blanc « Travailler à l’ère 4.0 », clôturant un débat national d’un an. Et proposé aux partenaires sociaux d’ouvrir des expérimentations dérogatoires pendant deux ans, avec un suivi scientifique pour savoir s’il faut modifier les textes. Et sans doute la directive sur la durée du travail de 2003 née un an avant Facebook.

En France, le gouvernement aurait dû remettre fin 2016 au Parlement un rapport « sur l’adaptation juridique des notions de lieu, de charge et de temps de travail liée à l’utilisation des outils numériques ». Adaptation urgente pour ne pas rater la révolution qui s’annonce, et ne pourra créer des emplois que si elle en a le droit.

Jean-Emmanuel Ray

Professeur de droit à l’université Paris I (Sorbonne), où il dirige le master professionnel Développement des ressources humaines, et à Sciences po. Il a publié en septembre 2016 la 25e édition de Droit du travail, droit vivant (éditions Liaisons).

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  • A. F.