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Chronique du déclassement ouvrier

Idées | Livres | publié le : 02.01.2017 | A. F.

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Chronique du déclassement ouvrier

Crédit photo A. F.

Deux ex-ouvrières de Levi’s témoignent du traumatisme de la fermeture de leur usine. Cette rencontre donne corps à une analyse fine de la dérégulation libre-échangiste.

Ouvrières à l’usine Levi’s de La Bassée, dans le Nord, Nadine Jurdeczka et Michèle Sevrette ont vu leur vie basculer le 29 septembre 1998, en apprenant la fermeture de leur usine pour cause de délocalisation en Turquie. Malgré tous leurs efforts, les presque quinquas ne s’en sont jamais relevées, plongeant dans la précarité et les petits boulots de nuit en intérim. Sans jamais retrouver de CDI dans l’industrie ni de revenus équivalents. Le contraire aurait été surprenant dans une région déjà sinistrée, surtout avec leurs faibles qualifications et ces décennies passées à répéter les mêmes gestes sur les machines à coudre (vingt-cinq ans pour Nadine, dix-huit ans pour Michèle). « Suivez une formation ! Vous ne savez pas coudre ! Chez Levi’s, vous faisiez toujours la même chose. Ce n’est pas du travail, ça ! » leur renvoie-t-on lorsqu’elles frappent à la porte de petites entreprises locales de confection.

Le traumatisme du licenciement, le « trou noir » de ne plus y être, et bien d’autres souvenirs très personnels, les deux ouvrières les racontent dans l’Entraide, corédigée avec Emmanuel Defouloy, journaliste à l’AFP, qu’elles ont rencontré lors d’un atelier d’écriture proposé par Pôle emploi. La première partie leur est réservée, croisant les textes jaillis de leur plume, colère ou désarroi. Mais elles sont aussi très présentes dans la seconde partie, un essai sur le piège du libre-échange. Car là réside la raison de leur licenciement. Levi Strauss a délocalisé sa production de jeans en Turquie deux ans à peine après la suppression des dernières protections commerciales européennes vis-à-vis de ce pays.

« Au début des années 2000, le phénomène était encore mal compris. Presque invisible. Quinze ans après, il apparaît clairement que les reculs sociaux et les dégâts humains engendrés ont été dramatiquement sous-estimés », écrit Emmanuel Defouloy. Il nous raconte, par le menu, l’essor de la dérégulation libre-échangiste puis l’engrenage infernal de cette mise en concurrence d’ouvriers français, turcs ou chinois, qui pèse sur les salaires, les conditions de travail des premiers, accélère la désindustrialisation… Une somme hyperdocumentée, incarnée par Nadine et Michèle.

L’Entraide. Deux ouvrières dans le piège du libre-échange, Nadine Jurdeczka, Michèle Sevrette et Emmanuel Defouloy. Riveneuve Éditions. 318 pages, 18 euros.

Auteur

  • A. F.